Diane a les épaules
Diane a les épaules n'est pas une œuvre militante. Son réalisateur Fabien Gorgeart s'est inspiré de l'actualité et de son entourage pour livrer un film qui interroge des notions de la famille et la maternité redessinées.
Le motif de la paternité et/ou de la maternité traverse tous vos films. Pourquoi cette récurrence ?
Il y avait comme une évidence à ce que j’y revienne pour mon premier long métrage. J’ai en effet souvent traité ces questions, mais de façon différente à chaque fois et jamais frontalement, plutôt par des moyens détournés. Je pense que ces problématiques, dans le fond, m’offrent un champ particulier d’exploration de mes personnages. Ce n’est pas tant le fait de désirer devenir parent qui m’intéresse, mais celui de procréer, que le corps soit en capacité de le faire ou pas, que ce soit pour soi ou pour les autres. Ensuite, il y a la question de savoir si devenir parent est une fonction ou une nature, qui m’intrigue depuis l’enfance, lorsque des enfants de l’Assistance publique accueillis dans notre famille étaient pour moi comme des frères et sœurs. Ma mère avait donc des rapports maternels de deux types : naturels envers mon frère et moi et “de fonction” avec ces enfants. Et dans le film, Diane affirme être capable de compartimenter les choses, de savoir séparer sa tête de son ventre, etc.
Le thème de la GPA est-il né de l’actualité de la Loi Taubira sur le mariage pour tous et ses conséquences ?
J’étais très intéressé par ce thème et l’idée de ce personnage féminin est venue à la fois de l’actualité et de choses qui avaient pu se passer autour de moi. Mon film ne se veut surtout pas militant, mais j’avais la volonté d’inscrire la figure de Diane dans cet espace contemporain de réflexion : comment la notion de famille peut être redessinée, est-ce qu’une femme qui porte un enfant pour d’autres est en situation de profonde liberté ou de total asservissement ! Cela pose des questions très fortes et puis, il y a aussi cet effet de transformation du corps qui est passionnant à filmer.
Je ne voulais pas de surenchère dans l’empathie à son égard, avant qu’on découvre la "mission" qu’elle a acceptée. J’avais donc envie qu’elle commence, en quelque sorte, par lancer un pied de nez au monde... Diane est tout sauf une sainte, même si ce qu’elle fait est de l’ordre du don, d’une générosité extrême. J’ai écrit ce rôle pour Clotilde, c’était mon moteur principal, car nous avions travaillé ensemble sur l’un de mes courts métrages et j’ai beaucoup d’admiration pour elle. Je voulais explorer des choses que l’on n’aurait pas encore vues d’elle. Son énergie et son potentiel comique, par exemple, plutôt que son image de beauté diaphane et élégante. Je voulais jouer de contrastes pour en faire une sorte de Bruce Willis de la GPA !
"Être nuit et jour porté à son film"
Pour éviter de faire un "film à thèse" et cela pose des questions très concrètes de dramaturgie. Je ne voulais rien expliquer du choix de Diane, ne pas donner la moindre raison. Afin d’entrer tout de suite dans sa dynamique, jusqu’à cet accouchement qui intervient un mois trop tôt, comme si elle était en décalage permanent. Au début du film, Diane est déjà lancée et fonce, tête baissée, jusqu’à ce que le vertige de ce qu’elle a entrepris la reprenne... J’aime les trajectoires où on est rattrapé par ce que l’on a commencé et je voulais avant tout montrer ce neuvième mois, alors que Diane a déjà accouché et où survient la naissance d’une émotion, d’un lâcher-prise...
D’où ce dernier plan resserré sur le personnage seul dans sa voiture...
Oui, tout se passe sur son visage, alors que tout le film donne à voir son corps, qui se déforme et se disloque. J’ai pensé au film de Takeshi Kitano Aniki, mon frère, tourné aux États-Unis et dont le dernier plan montre un personnage dont les nerfs lâchent et qui fond en larmes dans une voiture. Il y a de façon similaire une véritable montée de tension autour d’un personnage, qui "tient" encore et encore avant de craquer.
Était-il difficile de faire exister, face à Diane, le personnage masculin ?
De la même manière que pour Clotilde, j’ai écrit pour Fabrizio Rongione, dont la nature même m’a directement inspiré. Il devait avoir une sorte de force tranquille, être prêt à encaisser et promettre de tout assumer, jusqu’à ce qu’il se fragilise et craque lui aussi. Au moment de l’accouchement, il comprend qu’il est allé un peu trop loin dans l’appropriation de cette histoire... Le film raconte aussi en creux ce qu’est la création d’un lien d’harmonie avec quelqu’un. C’est une histoire d’amour, même si Diane se fiche un peu de Fabrizio au début. Mais quand il n’est plus là, il lui manque... Il est pour elle le non-père de son non-enfant !
L’extrait du film de John Ford Le fils du désert semble en dire beaucoup sur ce qui se joue pour les personnages...
Cet élément était présent dès le premier traitement, Fabrizio se projette complètement à travers cette scène précise : lui aussi est le troisième homme… Il me plaisait que le film soit dans son ensemble comme une mise en abyme de celui de John Ford, qui est certainement l’un des réalisateurs que je préfère. C’était un luxe de payer les droits de ce passage, mais c’était une évidence…
Diane a elle-même quelque chose d’une figure de western…
Ce personnage se dessine en fait d’après deux schémas très différents, d’abord le cinéma d’Éric Rohmer, que j’aime beaucoup et où les figures féminines affirment toujours fermement les choses, et puis les rôles joués par John Wayne chez Ford, à savoir quelqu’un qui n’agit pas forcément par générosité, mais simplement parce qu’il s’en juge plus capable que les autres et entend assurer pour la communauté entière... Ainsi Diane fait-elle un enfant pour ses amis qui ne peuvent pas le faire ensemble, elle s’occupe de tout ! Mais cette assurance et ces certitudes se fissurent peu à peu en se confrontant au réel...
Comment voyiez-vous les futurs parents que sont Jacques et Thomas ?
J’ai voulu écrire ces personnages le plus simplement possible : c’est juste un couple. Ils ont l’air de se sentir bien ensemble et sont beaucoup plus normaux que Diane et Fabrizio, qui jouent à apparaître comme un couple hétéro-normé, comme par exemple dans la scène du magasin de bricolage, mais sans l’être vraiment… Le désir de Thomas et Jacques d’avoir un enfant va de soi, il n’y a même pas à le remettre en question. Et personnellement, je suis rassuré de voir l’enfant dans les bras de Jacques à la fin du film. Celui-ci pouvait sembler éloigné du centre de l’histoire, et pourtant il est là, légitime, et il était important pour moi que ce soit lui qui chante au bébé la comptine...
Quel regard portez-vous sur la fidélité que vous avez nouée avec la Région Nouvelle-Aquitaine ?
Sincèrement, je pense que je serais en train de faire autre chose si la Région ne m’avait pas apporté son soutien sur Comme un chien dans une église. C’était la toute dernière chance que je me donnais et cette aide m’a permis de faire le film, ce qui a déclenché ensuite beaucoup de choses. La Nouvelle-Aquitaine est devenue ma terre de cinéma et il était hors de question pour moi de ne pas y inscrire mon premier long métrage. Et c'est quand j'étais en résidence au Chalet Mauriac que j’ai pris la décision de me lancer sur ce film et posé les bases du scénario. Les lieux et l’atmosphère m’ont inspiré, m’imprégnant de ce sentiment d’isolement que je voulais donner à mon personnage, au milieu de nulle part, à un moment charnière de sa vie.
Comment avez-vous trouvé cette incroyable villa où se réfugie Diane ?
Le Lot-et-Garonne a décidé de soutenir le projet et j’ai eu un coup de foudre pour cette maison située à proximité d’Agen. Elle a cette espèce d’arrondi, comme un cercle de plus posé autour de Diane et qui fait évidemment écho à son ventre qui grossit. Elle pouvait aussi donner une sensation d’enfermement progressif et c’était un formidable décor de cinéma à filmer.