La collection Troubadours des éditions Fédérop, cette poésie haute du temps jadis
La collection Troubadours des éditions Fédérop s’est enrichie, ces derniers mois, de deux titres supplémentaires qui dessinent peu à peu le riche paysage de cette littérature du temps jadis. Deux titres donc : Haut & Fort, Chansons de Bertran de Born et La Dame-Graal, Chansons de Rigaud de Barbezieux.
Comme pour tous les recueils précédents, l’édition bilingue est proposée en occitan et en français. La présentation, par Jean-Pierre Thuillat pour Bertran de Born et par Katy Bernard pour Rigaud de Barbezieux, est impeccable. Et le lecteur, qui n’est pas toujours un spécialiste aigu de cette poésie enfouie dans les siècles, trouvera beaucoup d’intérêt à la mise en perspective, pour comprendre une époque, une littérature, un dessein de poète.
Ces chansons, il faut les comprendre, les recevoir, les absorber, comme des évocations, riches de points communs mais aussi de singularités fortes.
Ainsi lit-on Le Néant et la joie de Guillaume d’Aquitaine en découvrant que le prince troubadour expérimenta de nombreuses voies poétiques : le chant d’adieu, le chant grivois, le chant d’amour, le chant de pur néant. De lui, ces mots qui traversent les siècles et qui continueront de le faire quelle que soit notre destinée :
"Je fais un chant de pur néant :
Il n’est de moi ni de nul autre,
Il n’est d’amour ni de jeunesse,
Ni de rien d’autre,
Puisqu’il fut trouvé en dormant
Sur un cheval."
Encore se régale-t-on de Fou d’amour de Bernart de Ventadorn, né en Limousin, l’un des troubadours le plus lyrique et virtuose du XIIème siècle. Enfin, aime-t-on, d’un enthousiasme sans fin, ce qu’écrit, dans son Fin’amor, Arnaut Daniel, gentilhomme, jongleur, amateur de rimes difficiles qui aima une grande dame de Gascogne, épouse du seigneur Guilhem de Bouvila, laquelle ne le lui rendit pas. Cela le peina :
"Je suis Arnaut qui ramasse le vent
Et chasse le lièvre avec un bœuf
Et nage à contre courant"
Alighieri, justement. Dans la Divine Comédie, au chant XXVIII de L’Enfer, il campe un Bertran de Born, fauteur de troubles et de discordes, mort à l'abbaye de Dalon aux alentours de 1210. Cette préoccupation historique se double d’un intérêt poétique certain. Nous n’en avons pas la preuve scientifique. Simplement une intuition. En poésie, cela suffit. Dans ce recueil, se mêlent chansons amoureuses, bien sûr, et aussi ces fameux sirventès, qui étaient des manifestes politiques et guerriers. Des revendications. Lyriques elles aussi, dans leur genre, dans la signification de leur temps. Radicales, dirait-on aujourd’hui :
"La paix ne me plaît guère
C’est la guerre qui m’attire
Car ne tiens ni ne crois
En aucune autre loi."
"Plein d'une angoisse cruelle,
je fais un sirventès cuisant.
Dieu ! Qui pourrait dire
et connaître mon tourment ?
Car, quand j'y songe,
je suis en grand souci
et ne puis décrire
mon indignation ni ma tristesse
de voir ce monde troublé
où l'on corrompt la religion,
les serments et la foi :
si bien que chacun pense à dominer
son semblable en malveillance et,
sans raison ni droit,
à détruire les autres et soi-même.
(…)"
"Mieux-que-Dame, ne me laissez mourir ;
Languir est ce qui fait le plus souffrir,
Je voudrais donc, si Amour y consent,
Que vous sachiez quels maux a qui attend."
Haut & Fort, Chansons de Bertran de Born
Édition bilingue occitan-français
Présentation et traduction de Jean-Pierre Thuillat
Fédérop, 208 pages, 15 euros
La Dame-Graal, Chansons de Rigaud de Barbezieux
Édition bilingue occitan-français
Présentation et traduction de Katy Bernard
Fédérop, 128 pages, 14 euros