Mois du doc : "Nostos" de Cyril Lafon, une Odyssée contemporaine
En présentant Nostos à Gironde-sur-Dropt et Pau à la fin du mois de novembre dans le cadre du Mois du film documentaire, Cyril Lafon rend compte de la nostalgie du retour que vivent de jeunes Grecs partis vivre dans d’autres pays européens.
Le film s’ouvre avec une longue séquence sur la mer et de très belles images de la Grèce. Pourtant, le reste du film ne montre quasiment pas de plans dits de "carte postale"…
Cyril Lafon : Il s’agit des images prises lors de mon premier voyage à Ithaque. On arrive sur cette île, celle de l’Odyssée et d’Ulysse, le héros antique. Les premiers plans du film représentent une Grèce idyllique, comme un livre d'enfance qu'on ouvre : la Grèce du mythe, des récits mythologiques. Ma nostalgie, mais aussi celle d’Anna et Giorgos. Nous avons voulu, à la prise de vue et à l'étalonnage, donner non pas un côté "carte postale", mais plutôt féérique, irréel, comme s'il s'agissait de mes images mentales. Le film s’articule d’ailleurs sur la rupture entre cette image fantasmée du pays et celle plus réaliste, plus naturaliste, que vit Dimitris.
Nostos exprime une nostalgie, non pas celle d’un territoire mais celle du temps qui passe. Comment expliquez-vous cette distinction ?
C.L. : Le personnage de Giorgos, le chanteur d’opéra également peintre, l’évoque explicitement dans un entretien avec moi. La nostalgie, pour quelqu’un qui, comme lui et Anna, est exilé depuis dix ans ou plus à l’étranger, se manifeste par la perte d’un contact avec le lieu. Un lieu qu’ils ont connu avant et qui a évolué, où les gens ont évolué. Ils essaient de retrouver cette image pourtant perdue. La nostalgie s’exprime donc sur un lieu mais un lieu que l’on sait transformé par le temps et par son expérience de vie. Il s’agit de la même nostalgie que celle de Proust dans À la recherche du temps perdu : on revient dans les lieux de notre enfance avec une image nouvelle forgée par le temps et l’expérience.
Ces expériences de vie sont celles des trois personnages que vous filmez, auxquelles s’ajoute votre propre expérience au moyen d’une voix off. Comment articuler sans déséquilibre le récit de ces quatre vies ?
C.L. : Dès l’écriture, nous savions qu’on aurait sans doute besoin d’une voix off pour m’introduire en tant que quatrième personnage. Il s’agissait alors de ne pas écraser les témoignages par la voix off mais les laisser vivre et, en même temps, montrer quel était mon parcours. On a trouvé le moyen de cette articulation au montage puisque la voix n’a été écrite qu’à ce moment-là. Nous avons d’abord travaillé sur les raccords entre ces trois personnages qui ne se connaissent pas et qui sont loin. Il fallait trouver un mode de circulation entre eux, un moyen de les associer et les différencier par l’image et le son.
Le film tient davantage sur l'équilibre entre ces trois personnages : la nostalgie d'une Grèce d’enfance fantasmée d'Anna et Giorgos s'oppose à l'apparente absence de nostalgie de Dimitris, qui, lui, est revenu en Grèce. Sans Anna et Giorgos, le film se bornerait à être un film sur la Grèce en crise et perdrait toute poésie. Sans Dimitris, le film oublierait la Grèce d'aujourd'hui. Le personnage de Dimitris est ainsi la colonne vertébrale du film. On a commencé le montage avec lui pour structurer le film. Il est celui qui rappelle toujours ce qu'est la Grèce aujourd'hui. L'effet de réel.
"J’ai vu, à travers une population également d’origine émigrée, un miroir de sa propre émigration. Une émigrée parmi d’autres émigrés."
Le personnage d’Anna vit une sorte de double acculturation en évoluant dans le Chinatown parisien. Elle est notamment filmée donnant des cours d’anglais aux enfants de la communauté asiatique, ce qui offre des séquences très fortes…
C.L. : Comment filmer la Grèce est une question que je me suis posée dès le départ. Mais comment filmer Paris est venue un petit peu après, d’autant que le Paris d’Anna est celui du quartier chinois, là où elle donne des cours d’anglais aux enfants asiatiques. J’ai vu, à travers une population également d’origine émigrée, un miroir de sa propre émigration. Une émigrée parmi d’autres émigrés. Le fait qu’elle enseigne l’anglais dans une épicerie chinoise en France nous montre que c’est un personnage isolé, assez retranché dans sa nostalgie, ce qui s’illustre très manifestement lors du défilé du carnaval chinois.
Sur les trois personnages suivis – et le quatrième qui s’exprime, un seul est finalement rentré en Grèce. Il fallait que vous montriez une expérience de retour pour donner plus de corps à la nostalgie des autres ?
C.L. : Le plaisir du documentaire est de ne pas savoir comment il va se terminer. Au fil des routes, des voyages, on voit évoluer les personnages et on essaie de comprendre cette évolution. Dimitris était déjà rentré en Grèce avant le début du film. Ce qui m’intéressait chez lui était de suivre ce qu’il allait faire de son retour. D’autant qu’il savait très bien que son retour pouvait être déceptif. En revenant, sa foi et son regard sur le militantisme – en tant que moteur d’évolutions de la société grecque – évoluent fortement. Son expérience professionnelle au sein du Parlement lui fait prendre conscience que la réforme prend plus de temps, que le pouvoir se pratique avec plus de patience. C’est à ce moment-là qu’il est déçu, qu’il a peut-être la nostalgie des années antérieures de luttes. Mais aussi la nostalgie d’une vie à l’étranger, le désir de repartir.
Les deux autres personnages, Anna et Giorgos, n’ont pas fait leur retour. Giorgos est persuadé qu’il le fera un jour, après avoir accompli son chemin d’artiste. Le retour serait sinon un échec. Anna, quant à elle, décide comme beaucoup de gens de rester entre deux pays. Elle préfère garder une double culture, ce qu’elle dit à la fin du film : qu’elle aime que sa patrie, son pays, lui manque. Anna est toujours en mouvement, c’est la jeune femme dans la mondialisation. C’est un personnage en quelque sorte aérien dans ce film, alors que Giorgos est plutôt lié à la mer, à l’eau, et Dimitris, c’est la terre, les pieds dans le sol, dans son champ d’oliviers et même dans la ville. Et c’est aussi celui qui a les pieds sur terre.
Le personnage de Dimitris donne d’ailleurs une dimension politique au film…
C.L. : Il donne corps à cette dimension politique dès le début du film en refusant l’Antiquité pour dire que la liberté est une chose pour laquelle on doit se battre tout le temps et que naître dans le pays qui a inventé la démocratie ne résout pas la situation. On le voit davantage ensuite quand je le suis dans Exárcheia, quartier anarchiste et libertaire d’Athènes, où il a fait ses études. Je ne voulais pas que la crise et les difficultés de la Grèce soient exclues du film, mais qu’elles apparaissent en toile de fond. Mais je ne voulais pas non plus réduire ce film à cette situation parce que le sujet est la Grèce et non la Grèce dans la crise.
C.L. : Comment filmer la Grèce est une question que je me suis posée dès le départ. Mais comment filmer Paris est venue un petit peu après, d’autant que le Paris d’Anna est celui du quartier chinois, là où elle donne des cours d’anglais aux enfants asiatiques. J’ai vu, à travers une population également d’origine émigrée, un miroir de sa propre émigration. Une émigrée parmi d’autres émigrés. Le fait qu’elle enseigne l’anglais dans une épicerie chinoise en France nous montre que c’est un personnage isolé, assez retranché dans sa nostalgie, ce qui s’illustre très manifestement lors du défilé du carnaval chinois.
Sur les trois personnages suivis – et le quatrième qui s’exprime, un seul est finalement rentré en Grèce. Il fallait que vous montriez une expérience de retour pour donner plus de corps à la nostalgie des autres ?
C.L. : Le plaisir du documentaire est de ne pas savoir comment il va se terminer. Au fil des routes, des voyages, on voit évoluer les personnages et on essaie de comprendre cette évolution. Dimitris était déjà rentré en Grèce avant le début du film. Ce qui m’intéressait chez lui était de suivre ce qu’il allait faire de son retour. D’autant qu’il savait très bien que son retour pouvait être déceptif. En revenant, sa foi et son regard sur le militantisme – en tant que moteur d’évolutions de la société grecque – évoluent fortement. Son expérience professionnelle au sein du Parlement lui fait prendre conscience que la réforme prend plus de temps, que le pouvoir se pratique avec plus de patience. C’est à ce moment-là qu’il est déçu, qu’il a peut-être la nostalgie des années antérieures de luttes. Mais aussi la nostalgie d’une vie à l’étranger, le désir de repartir.
Les deux autres personnages, Anna et Giorgos, n’ont pas fait leur retour. Giorgos est persuadé qu’il le fera un jour, après avoir accompli son chemin d’artiste. Le retour serait sinon un échec. Anna, quant à elle, décide comme beaucoup de gens de rester entre deux pays. Elle préfère garder une double culture, ce qu’elle dit à la fin du film : qu’elle aime que sa patrie, son pays, lui manque. Anna est toujours en mouvement, c’est la jeune femme dans la mondialisation. C’est un personnage en quelque sorte aérien dans ce film, alors que Giorgos est plutôt lié à la mer, à l’eau, et Dimitris, c’est la terre, les pieds dans le sol, dans son champ d’oliviers et même dans la ville. Et c’est aussi celui qui a les pieds sur terre.
Le personnage de Dimitris donne d’ailleurs une dimension politique au film…
C.L. : Il donne corps à cette dimension politique dès le début du film en refusant l’Antiquité pour dire que la liberté est une chose pour laquelle on doit se battre tout le temps et que naître dans le pays qui a inventé la démocratie ne résout pas la situation. On le voit davantage ensuite quand je le suis dans Exárcheia, quartier anarchiste et libertaire d’Athènes, où il a fait ses études. Je ne voulais pas que la crise et les difficultés de la Grèce soient exclues du film, mais qu’elles apparaissent en toile de fond. Mais je ne voulais pas non plus réduire ce film à cette situation parce que le sujet est la Grèce et non la Grèce dans la crise.