POLA à Brazza : la Fabrique bientôt dans ses quartiers
Après quasiment vingt ans de semi-nomadisme sur Bordeaux et sa métropole et des déménagements en cascade, la Fabrique POLA va enfin pouvoir prendre ses quartiers de façon durable. Une installation qui ancrera un peu plus dans l'écosystème culturel cet espace de rencontres créatives incontournable.
Ce sont 4000 m² de chantier au cœur d'un parc en devenir. 4000 m² dans un quartier qui s'éveille et symbolise à lui seul le renouveau bordelais, entre pont Chaban, caserne Niel, quais de Brazza et Cité du Vin. Ce chantier, c'est celui de la future maison de la Fabrique POLA et de ses habitants, à savoir 19 structures et environ 80 travailleurs qui œuvrent au quotidien dans le secteur des arts visuels. Le bâtiment, déjà investi par Zébra3, Buy-Self et la Nouvelle Agence, opère depuis plusieurs mois sa transformation discrète. L'immense tag Brazzaville qui le caractérisait a disparu, laissant place à de vastes fenêtres. Tout autour, les jeunes arbres du Parc aux angéliques et une série de fresques street art toutes fraîches offrent leurs couleurs aux flâneurs qui investissent les quais.
Car POLA, c'est avant tout un lieu, une proximité entre des associations, des professionnels, artistes et autres, et un certain sens de la communauté, articulé autour du champ des arts visuels. Le périmètre qu'en dessine l'association est vaste, généreux même, puisque s'y côtoient des activités et savoir-faire manuels et des processus de fabrication novateurs, basés sur les technologies actuelles. Chacun y a sa place, tant que les compétences et les énergies circulent, et c'est ainsi que POLA a su réunir, au fil des années, architectes, médiateurs, peintres, juristes, éditeurs ou encore informaticiens autour de ce projet singulier. Si la fabrication des œuvres reste à l'honneur, les activités développées dépassent de loin la seule création artistique, l'idée étant d'accompagner les habitants dans tous les aspects de leurs métiers : ainsi, au-delà des espaces et outils mutualisés, les artistes, qu'ils habitent POLA ou non, ont accès à des services complémentaires comme l'accompagnement administratif et juridique, ou le soutien à la diffusion.
"L'écosystème POLA va enfin pouvoir prendre ses quartiers de façon durable, et investir des espaces consacrés."
Aujourd'hui, après quasiment vingt ans de semi-nomadisme sur Bordeaux et sa métropole et des déménagements en cascade, l'écosystème POLA va enfin pouvoir prendre ses quartiers de façon durable, et investir des espaces consacrés. Le bâtiment, dont l'architecture a été conçue par une structure habitante de POLA, la Nouvelle Agence, a été pensé avec l'ensemble des habitants, réunis en groupes de travail. "Ça a été super", s'enthousiasme Blaise Mercier, directeur de la Fabrique depuis 2015, à propos de cette concertation. "Ce dialogue a permis de repenser les envies individuelles de chacun en fonctions collectives", poursuit-il. Le projet se veut communautaire, à l'image du fonctionnement de la Fabrique ; d’ailleurs, "le projet architectural des nouveaux locaux ressemble à un village", souligne-t-il quand la question du vivre-ensemble est évoquée. La complémentarité entre les activités est de mise, tout en cherchant à conserver l’équilibre entre espaces individuels et lieux de convivialité, à l’image des services proposés. Et aux classiques ateliers, bureaux et lieux de vie vont s’ajouter une cantine, une salle de conférence, et même une Polamobile pour sortir des murs et irriguer le territoire.
Cette installation dans un lieu consacré est "importante, et d'autant plus pour ceux qui portent le projet depuis plus de vingt ans", tient à rappeler Blaise Mercier. C'est l'occasion, explique-t-il, non seulement de se doter d'un outillage de qualité, tant en termes de production artistique que d'accompagnement professionnel, mais aussi de réunir les nombreux savoirs-faire de ses habitants dans un équipement unique.
"Fabrication", "savoir-faire", "compétence" : la Fabrique enfonce certains clichés sur le monde de l'art à grand coup de lexique. Blaise Mercier assume cette position, qui casse l'image de "l'artiste inspiré, isolé, qui vit en dehors des réseaux économiques et sociaux". Ici, on fabrique : des bandes dessinées, des installations, des objets, de la compétence. "Aujourd'hui, les artistes vivent rarement de la vente de leurs œuvres, mais plutôt de leurs savoirs-faire et de leurs compétences". Cela à travers, par exemple, l'expertise, la formation ou l'animation d'ateliers... toute une gamme d'activités qui pourront être programmées et valorisées dans le futur bâtiment. "Nous nous concentrons sur le prisme de la fabrication et du faire. C'est une dimension qui est intéressante, aussi, en matière de pédagogie, dans notre volonté de faire accéder les publics de façon désacralisée à l'art."
"On se voit comme un lieu traversé plutôt que comme un lieu de destination finale."
Car c'est là, peut-être, la plus grande nouveauté de ce nouvel espace : l'ouverture aux publics, non plus informelle et par à-coups comme ce fut le cas jusqu'à présent, mais programmée, constante. "On se voit comme un lieu traversé plutôt que comme un lieu de destination finale". Les joggeurs et promeneurs des quais de Brazza sont attendus, donc, mais aussi les habitants des quartiers, les écoles. "On a construit une véritable stratégie autour de cet accueil, avec la création d'une mission Territoire et publics, pour gérer l'interface avec les habitants du quartier." La situation du bâtiment, au cœur d'un parc, sera un atout majeur dans cette volonté d'ouverture à tous. Quant aux autres acteurs culturels du territoire, ils n'ont pas été oubliés, puisque la Fabrique prévoit d'accueillir de nouveaux habitants. Les concepteurs du lieu ont pris soin de maintenir des zones sans fonction pré-établies, des lieux intermédiaires, "des espaces de respiration et d'évolutions", précise son directeur.
Le challenge est désormais de s'installer sans se figer. POLA tient à garder son identité et sa capacité à évoluer, tout en mettant en œuvre un véritable travail de programmation culturelle, à destination des professionnels comme du grand public. "Sur la rive droite, maintenant, on nous connaît, et c'est assez agréable d'arriver en se sentant attendu", explique Blaise Mercier. Pour ceux qui auraient tout de même échappé à l'information, il sera difficile de passer à côté des nombreux événements prévus pour l'inauguration pendant l'été 2019, qui se fera "sur la durée, et dans l'espace" ainsi que le lancement de la saison culturelle à la rentrée de septembre. Rendez-vous donc dans quelques mois, quais de Brazza, pour fêter la nouvelle installation d'un des acteurs culturels emblématiques du territoire.