Éric Holder, l'écrivain de la fragilité, s'en est allé...
Retour sur les pas de côté de cet auteur discret et attachant, figure majeure d'une littérature tendre et épurée, et amoureux inconditionnel du Médoc qui l'a accueilli.
Le 22 janvier 2019, Éric Holder quittait prématurément sa terre d'adoption, le Médoc, décédant chez lui, à Queyrac, au cœur des vignes, à l'âge de 58 ans. Éric Holder n'arpentera plus les berges du ruisseau des Douze Pieds, lui qui s'était fait charmer depuis une quinzaine d'années par ce bout de terre en bord d'estuaire.
La vie littéraire de cet écrivain précoce a débuté à l'adolescence, premier manuscrit refusé par André Bay chez Stock qui l'amènera en 1984 à inaugurer les éditions du Dilettante, nées sous le spectre d'Henri Calet dont il louait la langue concise et belle, avec ses Nouvelles du Nord. S'en suivront de nombreux romans, certains salués par des prix littéraires, comme La Belle Jardinière pour le prix Novembre ou Duo Forte pour le prix Fénéon. Il accédera à une notoriété plus large grâce à l'adaptation cinématographique de plusieurs de ses romans, du plébiscité Mademoiselle Chambon à L'Homme de chevet. Sa prose sonde avec tendresse et lucidité les sentiments et les variations de l'âme humaine, toujours avec une écriture minimaliste frisant l'orfèvrerie stylistique. Ses romans sont des incursions dans l'envers des gens, souvent autour de leurs sentiments amoureux, et la poésie cachée et altérable de notre monde.
"Il est habité par un esprit de la Côte propre à sa région de cœur, la décrivant souvent comme un espace de western."
La vie personnelle d'Éric Holder est consanguine à ses fictions. Nombreuses sont ses œuvres ayant été inspirées par le Médoc et ses environs. Il est habité par un esprit de la Côte propre à sa région de cœur, la décrivant souvent comme un espace de western. Une terre telle un bout du monde, très proche de cet écrivain vivant besace en bandoulière et cultivant une très forte vie intérieure. L'œuvre du romancier peut contenir dans cette citation de Kafka qu'il aimait scander comme un étendard de création : "La littérature : un coup de hache dans la mer gelée qui est en nous." Bousculer le confort du quotidien et accéder au cœur même de l'Humain. Dans La Baïne, son héros, Parisien, comme tout Médocain vient de Paris et n'est pas Médocain depuis des générations, va se confronter à la fragilité de la vie, à son incertitude, telle la force trompeuse du courant de la lagune si bien connue des autochtones. Dans son dernier roman, La Belle n'a pas sommeil, l'écrivain puise au plus près de son expérience. Décrivant le quotidien d'un bouquiniste installé dans les bois sur une presqu'île – la lumière et le vent sont ceux du Médoc –, ce roman servi par une langue brillante et érudite, découvre tout un pan de la vie de l'écrivain, étant lui-même bouquiniste. Cette prose rendant les petits riens qui font l'existence nous plonge dans cette activité si chère à Éric Holder. Les Bordelais pouvaient notamment le croiser ou échanger avec lui Place de la Victoire autour de son étal de livres choisis avec une passion frôlant le fétichisme. Il était imprégné du territoire et l'occupait à sa façon. Dans ses derniers romans bien sûr, avec notamment Bella Ciao ou la Saison des Bijoux – ode aux camelots d'hier et d'aujourd'hui – mais également via son activité de passeur de livres, lui qui était tant attaché à l'objet comme à la défense d'une langue parfois oubliée, révélant toujours la poésie du monde. Dans ce dernier roman, comme un testament inconscient, il rend vie à ce monde qui tend à disparaître. Que ce soit ses relations simples, comme avec le garde champêtre, à celles plus inattendues, il façonne un peu plus son œuvre autour de la délicatesse et de l'amour. Dans La Belle n'a pas sommeil, Lorraine, la jeune bourlingueuse, va révéler chez le vieux sédentaire bouquiniste le luxe de rêver encore... Car ce personnage de Lorraine est celui qui sait conter, et c'est bien là qu'Éric Holder est le plus doué. Conter, écrire, raconter… de façon universelle.
"Vous allez me trouver angélique, mais tant pis. Je trouve qu'ici, dans le Médoc, on pratique l'affection. Si l'on n'a pas vingt marques d'affection dans une journée, la vie est ratée. L'affection ne se manifeste pas par le langage mais par des gestes, des attentions..."
Les personnes qui l'ont rencontré captaient tout de suite un côté généreux et attentif, décelant dans le quotidien un potentiel sensible, pudique et mirifique. Il aimait renvoyer l'amour qu'il recevait et disait : "Vous allez me trouver angélique, mais tant pis. Je trouve qu'ici, dans le Médoc, on pratique l'affection. Si l'on n'a pas vingt marques d'affection dans une journée, la vie est ratée. L'affection ne se manifeste pas par le langage mais par des gestes, des attentions..." Troublante citation qui résumerait parfaitement l'ambition de toute son œuvre !
Comment ne pas rendre hommage à l'écrivain des sentiments sans parler de sa moitié, son amour de presque toujours. S'étant rencontrés à l'adolescence, Éric Holder et Delphine Montalant se sont construits leur éden du quotidien avec intégrité et conviction. Delphine Montalant disparut trois mois avant le décès de son compagnon de route, elle qui avait créé son éponyme maison d'édition. Étrange croisée des chemins, liés à la vie à la mort, partageant ce combat de tâcherons du livre, Éric Holder mettant d'ailleurs sur le même niveau une journée harassante de travail dans la vigne et la tâche d'un écrivain, qui rentre chez soi et qui travaille. Le couple a pris, comme aimait le répéter l'auteur, l'autocar de la réalité et le train de la fiction. Le Médoc restera pour lui un territoire de liberté, un lieu de résistance, un sujet intrinsèquement romanesque...