Rêves de jeunesse
Avec Rêves de jeunesse, programmé par l’ACID lors de la dernière édition du Festival de Cannes, Alain Raoust offre un regard personnel sur la jeunesse, en mêlant le rire aux larmes. En salle ce mercredi 31 juillet, le film est soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine et accompagné par ALCA.
Une jeunesse désillusionnée, un village rural qui perd ses enfants, des adultes désabusés par la vie… Le tableau dressé par Rêves de jeunesse est-il surtout la critique d’un système ultra violent ?
Alain Raoust : En affirmant ses désirs, la jeunesse en éprouve aussitôt les limites tracées par la société. De nombreux films ont abordé le sujet à la manière d'un motif, à l’instar des Tricheurs de Marcel Carné. Une grande partie de la production de la nouvelle vague - Pierrot Le Fou en est un exemple - comme d'abondants films des années post 68, qu'ils soient français - je pense à Garrel notamment avec Marie Pour Mémoire - allemands avec Fassbinder, américains avec Monte Hellman et son Macadam À Deux Voies, ou bien des réalisateurs comme Antonioni avec Zabriskie Point, ou Skolimowski avec Le Départ.
Dans les années 80, Rusty James de Coppola est un film sur le même thème, tout comme Stranger Than Paradise de Jarmusch. Bref, la liste serait trop longue à dresser jusqu'à aujourd'hui et des cinéastes comme Jean-Paul Civeyrac, Bertrand Bonello, Mia Hansen Løve. Ce qui ressort de cette short list est la différence de forme entre ces films, de ton, de genre aussi, et, peut-être, de ce que les cinéastes ont décidé d'opposer à la désillusion. Personnellement, j'ai tenté de ne pas m'arrêter au simple constat d'une jeunesse perdue, sans but ni repère à laquelle je ne crois pas trop. Choix personnel assumé et aussi regard sur la jeunesse d'aujourd'hui qui ne me semble pas si désillusionnée que cela mais plutôt à la recherche de modèles de vie venant souvent contrarier les schémas des aînés. Ce décalage peut engendrer l'impression d'une jeunesse désillusionnée mais, encore une fois, je ne pense pas qu'elle le soit. Du moins pas plus qu'à la fin des années 90, au début des années 80 ou bien dans les années 70.
Critique d'un système ultra violent ? Disons que je me suis inspiré d'événements marquants de ces dernières années et qui restent d'actualité. Répressions dans les ZAD à Sivens comme NDDL [Notre-Dame-des-Landes, ndlr], violences policières, plongeon dans un monde ultra libéral où la concurrence est la norme, casse sociale, impossibilité politique de penser l'écologie comme un humanisme.
La dimension politique du film est renforcée par plusieurs références à l’actualité politique française…
A.R. : Elles ne sont pas forcément voulues… Par exemple, l'actualité politique française teintée de jaune s'est invitée dans le film. Nous avons tourné en septembre 2018 sur 20 jours et les événements que nous avons connus ces derniers mois n'avaient pas d'existence visible. Tout au plus pouvait-on sentir une colère sourde, souterraine, diffuse dans notre société depuis longtemps. Par exemple, en lisant les textes du Comité Invisible, on pouvait très bien se rendre compte d'une certaine préparation à l'insurrection. Dans un autre registre, le texte du Collectif Catastrophe intitulé Puisque tout est fini, alors tout est permis témoignait d'une rupture d'une certaine jeunesse avec des modèles jugés dépassés, mortifères, anxiogènes. Avec Cécile Vargaftig, coscénariste du film, nous nous sommes inspirés de ces textes. Dans un autre registre, certaines phrases du Président Emmanuel Macron nous ont fait sourire et nous n'avons pas résisté à la tentation de les recycler, déchetterie oblige : "premiers de cordée", "penser printemps", "je traverse la rue je vous trouve un travail".
Alain Raoust : En affirmant ses désirs, la jeunesse en éprouve aussitôt les limites tracées par la société. De nombreux films ont abordé le sujet à la manière d'un motif, à l’instar des Tricheurs de Marcel Carné. Une grande partie de la production de la nouvelle vague - Pierrot Le Fou en est un exemple - comme d'abondants films des années post 68, qu'ils soient français - je pense à Garrel notamment avec Marie Pour Mémoire - allemands avec Fassbinder, américains avec Monte Hellman et son Macadam À Deux Voies, ou bien des réalisateurs comme Antonioni avec Zabriskie Point, ou Skolimowski avec Le Départ.
Dans les années 80, Rusty James de Coppola est un film sur le même thème, tout comme Stranger Than Paradise de Jarmusch. Bref, la liste serait trop longue à dresser jusqu'à aujourd'hui et des cinéastes comme Jean-Paul Civeyrac, Bertrand Bonello, Mia Hansen Løve. Ce qui ressort de cette short list est la différence de forme entre ces films, de ton, de genre aussi, et, peut-être, de ce que les cinéastes ont décidé d'opposer à la désillusion. Personnellement, j'ai tenté de ne pas m'arrêter au simple constat d'une jeunesse perdue, sans but ni repère à laquelle je ne crois pas trop. Choix personnel assumé et aussi regard sur la jeunesse d'aujourd'hui qui ne me semble pas si désillusionnée que cela mais plutôt à la recherche de modèles de vie venant souvent contrarier les schémas des aînés. Ce décalage peut engendrer l'impression d'une jeunesse désillusionnée mais, encore une fois, je ne pense pas qu'elle le soit. Du moins pas plus qu'à la fin des années 90, au début des années 80 ou bien dans les années 70.
Critique d'un système ultra violent ? Disons que je me suis inspiré d'événements marquants de ces dernières années et qui restent d'actualité. Répressions dans les ZAD à Sivens comme NDDL [Notre-Dame-des-Landes, ndlr], violences policières, plongeon dans un monde ultra libéral où la concurrence est la norme, casse sociale, impossibilité politique de penser l'écologie comme un humanisme.
La dimension politique du film est renforcée par plusieurs références à l’actualité politique française…
A.R. : Elles ne sont pas forcément voulues… Par exemple, l'actualité politique française teintée de jaune s'est invitée dans le film. Nous avons tourné en septembre 2018 sur 20 jours et les événements que nous avons connus ces derniers mois n'avaient pas d'existence visible. Tout au plus pouvait-on sentir une colère sourde, souterraine, diffuse dans notre société depuis longtemps. Par exemple, en lisant les textes du Comité Invisible, on pouvait très bien se rendre compte d'une certaine préparation à l'insurrection. Dans un autre registre, le texte du Collectif Catastrophe intitulé Puisque tout est fini, alors tout est permis témoignait d'une rupture d'une certaine jeunesse avec des modèles jugés dépassés, mortifères, anxiogènes. Avec Cécile Vargaftig, coscénariste du film, nous nous sommes inspirés de ces textes. Dans un autre registre, certaines phrases du Président Emmanuel Macron nous ont fait sourire et nous n'avons pas résisté à la tentation de les recycler, déchetterie oblige : "premiers de cordée", "penser printemps", "je traverse la rue je vous trouve un travail".
"Dans l'équipe, chacun a très vite compris que je voulais réaliser un drame qui soit gai."
Le film mêle un message politique fort et une esthétique poétique appuyée par de longs silences et des décors naturels somptueux. Avez-vous pensé le personnage taiseux de Salomé pour appuyer cette intention ?
A.R. : L'esthétique dont vous parlez est le fruit d'un travail collectif. J'ai eu la chance de pouvoir travailler avec une équipe jeune et très inventive. Je pense à Lucie Baudinaud à l'image, Caroline Leroy au décor. Dans l'équipe, chacun a très vite compris que je voulais réaliser un drame qui soit gai. J'espère que cela se sent au final. Mêler le rire aux larmes. Je dirais volontiers que Salomé est le personnage pivot qui permet des changements de registre, de ton, non pas parce qu'elle serait taiseuse mais parce qu'elle est à l'écoute des autres. Elle est le lien qui permet au spectateur de passer d'un personnage à un autre. Elle est ce que chacun voudra lier de lui-même à elle. Elle est ce que chacun reconnaîtra d'elle en lui.
Le thème des retrouvailles et de l’anomie des personnages rappelle L’été indien. Y a-t-il une filiation entre vos deux films ?
A.R. : Peut-être, je ne sais pas. Comment le formuler… Ce n'est pas à moi de le dire… À un moment, les films vous échappent, ils vivent leur vie. Ils composent, selon le moment, l'époque, le contexte, une histoire qui n'est pas forcément envisagée par l'auteur. C'est probablement ce qui rend ce métier formidable. Mais puisque vous me poser la question et qu'elle éveille en moi un lien auquel je n'avais pas pensé, je crois plutôt que Rêves De Jeunesse est plus proche de mon premier long métrage, Attendre Le Navire, resté inédit à ce jour malgré sa présence dans de nombreux festivals. Un film sur le collectif, l'utopie, avec Pierre Clémenti, Pascal Greggory, Benoît Régent, une sorte de folie tournée en 1990/91. J'avais 24 ans… J'y vois pourtant une différence notable : l'humour s'est enraciné dans ma vie.
Le film a été soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine et a fait appel à des sociétés néo-aquitaines. Qu’est-ce que ces soutiens ont apporté au film ?
A.R. : Tout simplement - et c'est majeur - la possibilité que le film soit tourné. Sans l'aide de la Région Nouvelle-Aquitaine, Rêves De Jeunesse n'aurait pas vu le jour. L'apport de la Région a été crucial d'autant qu'il arrivait en dernier financement. Quand nous sommes passés en commission avec Tom Dercourt, producteur (Cinéma Defacto) du film, nous savions que l'enjeu était de taille. Vous pouvez très bien imaginer notre joie quand nous avons appris l'engagement de la Région à nos cotés. Et la joie, quand on fait un film, du moins pour moi, est la source de l'imaginaire. Aujourd'hui, la Région Nouvelle-Aquitaine accompagne le film dans sa distribution. Soutien précieux pour aller vers le public, ce cher public qui prolonge la vie d'un film. L'ouvre à une autre lecture.
A.R. : L'esthétique dont vous parlez est le fruit d'un travail collectif. J'ai eu la chance de pouvoir travailler avec une équipe jeune et très inventive. Je pense à Lucie Baudinaud à l'image, Caroline Leroy au décor. Dans l'équipe, chacun a très vite compris que je voulais réaliser un drame qui soit gai. J'espère que cela se sent au final. Mêler le rire aux larmes. Je dirais volontiers que Salomé est le personnage pivot qui permet des changements de registre, de ton, non pas parce qu'elle serait taiseuse mais parce qu'elle est à l'écoute des autres. Elle est le lien qui permet au spectateur de passer d'un personnage à un autre. Elle est ce que chacun voudra lier de lui-même à elle. Elle est ce que chacun reconnaîtra d'elle en lui.
Le thème des retrouvailles et de l’anomie des personnages rappelle L’été indien. Y a-t-il une filiation entre vos deux films ?
A.R. : Peut-être, je ne sais pas. Comment le formuler… Ce n'est pas à moi de le dire… À un moment, les films vous échappent, ils vivent leur vie. Ils composent, selon le moment, l'époque, le contexte, une histoire qui n'est pas forcément envisagée par l'auteur. C'est probablement ce qui rend ce métier formidable. Mais puisque vous me poser la question et qu'elle éveille en moi un lien auquel je n'avais pas pensé, je crois plutôt que Rêves De Jeunesse est plus proche de mon premier long métrage, Attendre Le Navire, resté inédit à ce jour malgré sa présence dans de nombreux festivals. Un film sur le collectif, l'utopie, avec Pierre Clémenti, Pascal Greggory, Benoît Régent, une sorte de folie tournée en 1990/91. J'avais 24 ans… J'y vois pourtant une différence notable : l'humour s'est enraciné dans ma vie.
Le film a été soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine et a fait appel à des sociétés néo-aquitaines. Qu’est-ce que ces soutiens ont apporté au film ?
A.R. : Tout simplement - et c'est majeur - la possibilité que le film soit tourné. Sans l'aide de la Région Nouvelle-Aquitaine, Rêves De Jeunesse n'aurait pas vu le jour. L'apport de la Région a été crucial d'autant qu'il arrivait en dernier financement. Quand nous sommes passés en commission avec Tom Dercourt, producteur (Cinéma Defacto) du film, nous savions que l'enjeu était de taille. Vous pouvez très bien imaginer notre joie quand nous avons appris l'engagement de la Région à nos cotés. Et la joie, quand on fait un film, du moins pour moi, est la source de l'imaginaire. Aujourd'hui, la Région Nouvelle-Aquitaine accompagne le film dans sa distribution. Soutien précieux pour aller vers le public, ce cher public qui prolonge la vie d'un film. L'ouvre à une autre lecture.