Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary
Rémi Chayé a imaginé l’enfance de Martha Jane Cannary, alias Calamity Jane, dans son second long métrage, en salle ce mercredi 19 mars, soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine et accompagné par ALCA. Il nous explique, aux côtés de Claire La Combe (Maybe Movies), pourquoi il a choisi de revisiter l'histoire de cette jeune femme éprise de liberté et de justice.
À l’instar de Tout en haut du monde1, votre deuxième long métrage raconte l’histoire d’une jeune héroïne au 19e siècle, avide de liberté, dans de grands espaces sauvages. Qu’est-ce qui vous inspire dans ces personnages et dans cette époque ?
Rémi Chayé : C’est un concours de circonstances qui m’a mis sur la route de Calamity Jane. J’ai eu l’idée de cette histoire après avoir vu un documentaire qui lui était consacré sur Arte. J’étais à la recherche de pistes pour un deuxième film et en regardant ce documentaire, j’ai vu le potentiel énorme de cette histoire. J’ai appris qu’elle avait fait la route de l’Oregon et j’ai tout de suite imaginé l’histoire d’une adolescente qui s’émancipe de sa situation de jeune fille pour vivre comme les garçons, s’habiller et faire comme eux.
J’aime l’idée de créer des contre-modèles de jeunes filles qui ne sont pas des princesses. Cette idée m’intéresse. Et puis le 19e siècle est une période que j’aime bien en général, où les espaces étaient encore sauvages, non connectés. La civilisation préindustrielle ou en transition m’intéresse, tout cela me passionne beaucoup. Et même, si je me laissais aller, j’aurais une petite nostalgie pour cette époque.
Vous avez tiré le fil de l’adolescence de Calamity Jane avec vos deux coscénaristes. Quel a été le travail de documentation alors qu’il existe peu de témoignages sur son enfance et son adolescence ?
R.C. : Le documentaire d’Arte s’attardait peu sur son enfance, comme toutes les nombreuses biographies d’ailleurs. Il n’y a pas beaucoup de traces historiques, de détails ou encore d’anecdotes. Il y a sa sœur qui a raconté pas mal de mensonges pour excuser la vie dissolue de Martha Jane. Elle-même a dit qu’elle avait de la tendresse pour cette partie de sa vie car c’est à cette période qu’elle a appris à chasser et à conduire des charriots et des chevaux. On a juste deux repères historiques données par Robert W. Etulain, qui fait la part des choses entre le mythe, la légende et la réalité. Il détermine précisément le moment où la famille Cannary est partie de la ferme du Missouri après un procès provoqué par la famille pour une histoire d’héritage. Et on les retrouve deux ans plus tard dans le Montana.
Avec Sandra Tosello et Fabrice De Costil, les coscénaristes, nous avons travaillé sur une pure fiction. On invente tout en étant le plus respectueux possible du contexte historique et de ce qu’on a imaginé être la personnalité de Martha en transposant un maximum de choses qui lui sont arrivées à l’âge adulte : son goût pour les uniformes par exemple, son attirance pour les soldats, sa tendance à raconter des bobards. On essaie d’être le plus juste possible par rapport à l’idée qu’on s’en fait : sa générosité, son sens de la justice, sa spontanéité. Mais on invente tout. C’est pour ça que le sous-titre du film est : UNE enfance de Martha Jane Cannary. Il pourrait y en avoir d’autres.
"Au départ, je ne voulais pas faire un western parce que j’en ai probablement une image un peu simpliste, assez macho."
Quelles ont été alors vos sources d’inspiration pour ce nouveau long métrage, véritable western traversant l’Ouest américain ?
R.C. : On s’est documenté sur l’époque. On a lu de nombreux ouvrages, tels que The Oregon trail de Francis Parkman, récit de deux journalistes effectuant le voyage, des livres sur les femmes dans l’Ouest, sur sa vie. Évidemment, le cinéma a été une source d’inspiration avec des films comme Jeremiah Johnson de Sydney Pollack. Au départ, je ne voulais pas faire un western parce que j’en ai probablement une image un peu simpliste, assez macho. Ce ne sont pas des sujets avec lesquels je suis le plus à l’aise. De plus, dans le projet initial, il n’y avait pas l’idée de travailler sur l’imagerie western : le village rue, le duel… On a plutôt joué avec le personnage de Martha Jane, avec son plaisir de déguisement par exemple. Avec le genre, les apparences. Qu’est-ce que cela veut dire être une fille ou être un garçon ? On tourne plus autour du personnage très attachant de Martha Jane Cannary que de l’imagerie western.
Claire La Combe : Le western n’est pas que la description qu’en fait Rémi. Nous avons beaucoup échangé pendant la phase de développement. Il y a évidemment les grands espaces, très présents dans le film, mais également une histoire de liberté, de conquête. Dans un western, il y a toujours un personnage qui va vers l’Ouest, qui vit une histoire pour découvrir sa vie. Sur ces critères, Calamity y répond très bien. Le genre road-movie est également présent dans le film.
R.C. : Au départ, les producteurs ne souhaitaient pas que nous allions vers ce genre de film. Nous étions davantage sur une succession de rencontres et presque un journal de voyage. Claire et Henri Magalon2 voulaient qu’on aille vers une dramaturgie. On est donc reparti sur la création d’une quête et nous avons ainsi développé toute l’histoire autour du vol et de la quête pour prouver son innocence.
Vous écrivez à six mains. Les dialogues sont enregistrés avant le travail d’animation. Comment s’articule le travail d’écriture avec la fabrication ?
R.C. : Entre l’écriture et la fabrication, il y a une étape intermédiaire primordiale : l’animatique. Il s’agit du story-board, du brouillon du film en croquis et voix maquettes. Cela permet de se projeter dans ce que sera le film. Et c’est également là que se découvrent tous les réglages à effectuer. Une fois que le story-board est finalisé, on enregistre une pièce radiophonique par des acteurs qui ne voient pas le film. Ils travaillent à partir de nos indications. Ensuite, les animateurs entrent en scène. Ils ont la possibilité d’entendre la voix des personnages en même temps qu’ils animent ces derniers et ils peuvent ainsi vérifier que cela fonctionne bien.
C.L.C. : L’animatique est une étape primordiale avant la mise en production. C’est une part importante de notre budget dans la phase de développement. Pour Calamity, l’écriture du scénario et la réalisation du story-board ont pris trois ans, de 2015 à 2018. Mais ce temps est essentiel dans la vie du film. C’est la base de tout et la base doit être solide. Rémi a travaillé en toute confiance avec une équipe de quatre story-boarders3.
R.C. : C’est beaucoup lié à l’équipe avec laquelle on travaille. Ce sont des personnes qui questionnent sans cesse les motivations des personnages, les raisons, la pertinence de la mise en scène, le pourquoi du comment. Cela aide à pousser toujours plus loin le scénario. On a réussi à effectuer des allers-retours entre les scénaristes et l’équipe des story-boarders avec un joli dialogue. Sans oublier le monteur, Benjamin Massoubre, qui a donné le rythme du film au montage. C’est un plaisir de travailler avec une telle équipe et du coup, on arrive avec un film déjà très solide à l’animatique.
C.L.C. : Cette méthode est très française, contrairement aux Américains qui peuvent jeter des images très tard dans la fabrication. Ils refont beaucoup. En ce qui nous concerne, l’animatique est une très bonne méthode d’un point de vue créatif mais également financier. Un dessin en noir et blanc du story-board coûte moins cher à jeter qu’un dessin où un animateur a déjà effectué la pose d’un personnage, plus un animateur qui a fait les intervalles, plus la couleur, plus le décor, etc. En moyenne, il y a à peu près dix personnes qui travaillent sur une image et plus il y en a, plus l’image coûte cher.
"Le studio et Rémi ont mis en place un processus de fabrication qui correspond à Rémi, preuve de l’expérience et l’efficacité de 2 Minutes dans la livraison des fichiers et de l’animation traditionnelle."
Vous aviez mis dix ans pour réaliser le premier long métrage. Pour celui-ci, il aura fallu cinq ans de développement et de production. Il faudra deux ans et demi pour le prochain ? Plus sérieusement, qu’est-ce qui a changé entre les deux films ?
R.C. : Le principal changement pour moi, c’est d’avoir un producteur à la genèse du projet. Pour le premier long, j’avais mis cinq ans à trouver un producteur. J’ai donc gagné ce temps-là car Henri Magalon, après Tout en haut du monde, m’avait dit qu’il serait ravi de retravailler avec moi pour mon prochain projet. Après, le temps restant est incompressible. Entre le temps d’écriture et de l’animatique, il faut compter trois ans. Ce délai est absolument nécessaire pour nos films et dans notre façon de travailler. On a besoin de cette temporalité.
C.L.C. : Pour la production, les choses se sont faites relativement rapidement. Nous avons sollicité les partenaires historiques, ceux qui nous avaient déjà accompagné sur Tout en haut du monde. Ils avaient très envie de faire partie de cette nouvelle aventure. Cela nous a permis de boucler le financement rapidement, ce qui est plutôt rare. Nous avons également pris le temps pour la finalisation du scénario en écrivant une deuxième version afin d’avoir une matière solide avant de passer à l’animatique. Il est certain que les temps de fabrication de l’animation se raccourcissent mais nous ne pourrons pas faire moins que deux à trois ans. Les financements reçus nous ont permis de nous concentrer sur des développements techniques et ainsi de résoudre les problèmes quand ils se présentaient. Si on faisait plus court, ce serait l’artistique qui en pâtirait alors que ce temps de création doit se réaliser dans les meilleures conditions possible.
Qu’a permis le soutien de la Région Nouvelle-Aquitaine en plus de contribuer à l’économie du film ?
C.L.C. : Le soutien de la Région a été primordial dès le début du projet. Le film a été accompagné par une aide à la production, indispensable au film alors que tout le dessin d’animation, les ombres et la 3D étaient fabriqués sur place. Sans l’accompagnement de la Région, nous aurions dû en délocaliser une partie. Pour la fabrication, nous avons travaillé avec le studio angoumoisin 2 Minutes avec qui nous avions déjà collaboré pour Tout en haut du monde. Le studio et Rémi ont mis en place un processus de fabrication qui correspond à Rémi, preuve de l’expérience et l’efficacité de 2 Minutes dans la livraison des fichiers et de l’animation traditionnelle. Cela avait du sens de retravailler avec eux car la première expérience s’était très bien passée. Sur Calamity, il y avait une question économique, bien sûr, mais la question initiale était de savoir avec qui Rémi souhaitait travailler et le studio 2 Minutes s’est imposé naturellement. C’est dans notre vision des choses de travailler sur le long terme avec les graphistes et les artistes en région. Notre relation remonte à près de dix ans avec les professionnels de Nouvelle-Aquitaine et d’Angoulême. Ce sont des professionnels aguerris en qui nous avons confiance.
"D’un point de vue professionnel, avoir remporté le Cristal d’or à Annecy est très important pour faire voyager le film à l’international."
Avoir remporté le Cristal d’or lors du dernier Festival d’Annecy apporte-t-il une plus-value lors de la sortie du film [Cet entretien a déjà été publié le 13 octobre 2020, à l'occasion de la première sortie en salle du film, ndlr] ?
C.L.C. : D’après notre distributeur, le prix d’Annecy a peu d’impact sur le grand public. Mais nous avons tenu à mettre le logo du prix sur l’affiche car c’est un vrai gage de qualité dans le monde de l’animation. Cela ne se transforme pas forcément en plus d’entrées dans les salles. En revanche, d’un point de vue professionnel, c’est très important pour faire voyager le film à l’international. Avec un tel prix, le film acquiert une plus-value indéniable lors des ventes internationales. Cela va susciter de l’intérêt pour le film et son réalisateur. Et enfin, d’un point de vue économique, ce prix aide à obtenir des financements pour le prochain projet. Tout en haut du monde avait remporté le prix du public à Annecy et ça nous a vraiment aidé pour Calamity.
Vous éditez un artbook autour du film ? Pourquoi une telle démarche et qu’apporte-elle de plus au film ?
C.L.C. : Ce projet a été pensé dès le début car on s’est rendu compte que cela avait manqué pour le premier film de Rémi. De plus, ce genre d’objet artistique est très attendu dans le monde de l’animation pour voir comment se fabrique le film. Pour le festival d’Annecy, nous avions édité en ligne une trentaine de pages mises en scènes par Carine Baudet, graphiste et Caroline Vié, journaliste cinéma à 20 Minutes. Le succès a été tel en France, au Japon ou encore aux États-Unis, que nous avons décidé d’éditer cet artbook. Il y a également une novellisation sous forme de roman jeunesse sortie chez Bayard, partenaire du film avec J’aime Lire. Christophe Lambert a écrit pour les enfants, un texte illustré avec les images du film.