Merci maman !
Dans Merci maman !, film produit par Prima Luce avec TV7 à la suite du dispositif Premiers films en région porté par ALCA dans le cadre du Fipadoc, Sophie Glanddier accompagne sa mère de plus de quatre-vingt ans sur les traces de sa propre mère qui l’a abandonnée à la naissance. La réalisatrice marseillaise revient avec Prologue sur la fabrication de ce documentaire personnel et engagé.
Quand avez-vous décidé de partir à la recherche des origines de votre mère ?
Sophie Glanddier : On en parlait depuis un bon moment, depuis que je suis adolescente, en fait. On se disait : "On va chercher un jour" ; mais ma mère repoussait toujours. Quand elle a eu 78 ans, ça a été un déclencheur. Elle s’est dit que sa propre mère venait d’avoir 96 ans et que c’était sa dernière chance de la retrouver si jamais elle était encore en vie.
C’est à ce moment que vous avez décidé de filmer ?
S.G. : Je suivais une formation au Créadoc [formation dédiée à l’écriture et à la réalisation documentaire, à Angoulême, ndlr] et je voulais en faire mon film de fin d’études. Mais on me l’a déconseillé. Ma mère était prête, mais c’était moi qui ne l’étais pas. Finalement, après avoir fini mes études et avoir réalisé un autre film, je lui ai dit : "Fais-toi pousser les cheveux."
Pourquoi ?
S.G. : Je voulais que ma mère ait une belle et longue chevelure pour le film. Moi, j’imaginais que Phoebe – la mère de ma mère – avait eu son bébé Phyllis en 1937, puisqu’elle avait disparu parce qu’elle avait été raflée. C’était ce que je croyais à l’époque. Je pensais aux camps, à ces monceaux de cheveux. Je voulais que ma mère ait de beaux et longs cheveux pour le film.
Une première piste vous conduit donc en Pologne ?
S.G. : Dans les années 1984-1986, j’avais enquêté sur les Hertzberg, le nom de famille maternel, et j’avais trouvé que la plupart étaient issus d’une petite ville à la frontière ukraino-polonaise, Lviv. Alors on s’est rendues en Pologne, sans plus d’informations. Là-bas, il s’est révélé que ma mère trainait un peu les pieds. Moi, je voulais qu’elle s’intéresse à la culture juive, mais ça ne l’intéressait pas. J’avais envie de tout arrêter. Mais j’avais reçu des financements, j’étais obligée de continuer par respect pour mon producteur qui m’avait fait confiance. Pourtant je voyais bien que rien de ce que j’avais prévu au départ ne marchait. Mon producteur Antonio [Magliano, Prima Luce, ndlr] me téléphonait : "Tout va bien ?" ; et moi : "oui, oui…". En fait, j’étais désespérée. Jusqu’à notre rencontre avec Anouk, le miracle du film. C’était comme si l’univers nous l’avait envoyée. En tout, l’enquête a duré un an.
"Que ce soit en poterie ou dans le cinéma, dans la création ce qui m’intéresse c’est l’imperfection."
Votre enquête était un peu artisanale, non ?
S.G. : Oui, tout ce que je fais est très artisanal. Je suis une fille artisanale. Je suis une bricoleuse professionnelle. Je n’aime pas les trucs trop carrés. Je recherche l’erreur, le défaut. Que ce soit en poterie ou dans le cinéma, dans la création ce qui m’intéresse c’est l’imperfection.
Comment s’est effectué le travail de montage ?
S.G. : J’avais beaucoup filmé. Je me suis retrouvée avec 500 heures de rushes. J’ai d’abord tout dérushé, tout visionné sans rien faire. J’ai laissé reposer. Puis j’ai commencé à choisir mes images uniquement de mémoire. Il fallait que je me fie à mon intuition – "Tiens, je me souviens de ça !" – et j’allais chercher l’image. C’est comme ça que j’ai réalisé mes premiers "ours" [prémontages, ndlr].
Vous avez travaillé seule ?
S.G. : J’avais mon assistant François qui me dégageait des préoccupations techniques et qui me donnait son avis. Sinon je travaillais seule. Je testais des essais de narration et je voyais si ça marchait. Puis je jetais et je recommençais tout à zéro. J’ai dû monter comme ça six versions du film. C’est un peu comme un peintre qui fait des essais avant de se mettre à peindre. La monteuse Jeanne Oberson me faisait aussi des retours. Et sur la fin, j’ai eu la chance de faire une dernière session de travail avec la réalisatrice Daniela de Felice.
Ce qui est marquant dans votre film, c’est la légèreté avec laquelle vous abordez un sujet grave et douloureux : l’abandon, la déchirure familiale…
S.G. : Je n’aime pas le pathos. Mes deux premiers films abordaient des questions difficiles : Le Canapé de Mohamed parlait de la dépression et Jess, vent de face traitait de l’exclusion. Comme pour Merci maman !, j’ai traité ces sujets sur le mode de l’humour.
L’image de votre film est simple, sans apprêt, "à la bonne franquette". Pourquoi ?
S.G. : Oui, j’ai commencé à filmer de cette manière pour mon film sur Mohamed. Puis, pour Jess je me suis dit qu’il fallait devenir "pro" et je me suis appliquée à faire de belles images. Mais j’ai tout jeté. Je n’aime pas distraire le spectateur avec de l’esthétisme. Pour Merci maman !, j’ai filmé avec une petite "Action Cam" [une caméra miniature semi-professionnelle, ndlr].
Votre producteur était d’accord avec ça ?
S.G. : Non ! Il voulait que je tourne avec une belle caméra et toute une équipe. Alors j’ai fait exprès de filmer des trucs dégueulasses et il a craqué. Je préfère filmer à ma manière. Chaque scène du film est un petit rien. Mon film ne marche que par la juxtaposition de ces petits riens.
Dans une scène, vous discutez avec un ami en calant votre téléphone contre votre ordinateur grâce à une rouleau de papier toilette…
S.G. : Oui, je voulais absolument caser cette image dans le film. Il y a plein de détails qu’il faut pouvoir repérer, comme dans un jeu des sept erreurs. Comme ces quelques secondes où ma mère choisit son vernis à ongles. La vie est pleine de ces moments insignifiants. Malgré toute cette histoire personnelle lourde à porter, la vie continue. Le film se construit sur ces couches d’insignifiant et de drôlerie.
"Chaque génération de réfugiés qui s’intègre dénigre la nouvelle génération et la rejette. C’est une catastrophe."
Il y a aussi des références plus sombres à l’actualité politique : à un moment, on entend en fond sonore la télévision parler de Donald Trump et de la séparation des enfants d’immigrés clandestins à la frontière mexicaine…
S.G. : Oui, je colle aussi la photo de ma mère dans la rue, près d’autocollants de SOS Méditerranée. Les réfugiés, c’est le vrai sujet du film. Chaque génération de réfugiés qui s’intègre dénigre la nouvelle génération et la rejette. C’est une catastrophe. C’est une discussion que j’ai parfois avec ma nouvelle famille anglaise. Ils ont oublié, eux aussi, qu’ils sont arrivés avec la valise en carton et le chapeau en astrakan. On n’apprend rien. C’est dramatique.
Votre film repose beaucoup sur la personnalité de votre mère : positive, énergique, résiliente…
S.G. : Yvonne, c’est un bulldozer. Elle va toujours de l’avant. Je ne prends pas de pincettes avec elle. Il faut dire que pour le film, je forçais parfois un peu le trait. Il fallait que les scènes varient en intensité, alors parfois je la prévenais avant de tourner : "Attention, je vais un peu te secouer, c’est pour le film alors ne pleure pas". Je lui donnais des indications de jeu. On jouait nos propres personnages. Dans la vraie vie, elle est comme ça : c’est un chien de chasse qui ne lâche pas sa proie. Je savais qu’elle n’abandonnerait pas ce projet.
Pourtant, elle a aussi ses blocages. Vous deviez parfois la secouer pour que l’enquête se poursuive ?
S.G. : Ses réticences tenaient surtout au fait qu’elle n’a aucune dextérité face à un ordinateur. Toutes les recherches sur Internet, c’est moi qui les ai faites. Et puis, bien sûr, il y aussi son angoisse face à cette enquête sur son identité.
Comment le reste de la famille a-t-il vécu cette quête des origines ?
S.G. : Oh là là ! Toute ma famille m’a engueulée. On me disait : "Tu vas déstabiliser Yvonne pour tes ambitions personnelles". Je n’ai eu aucun soutien de mes frère et sœur. Bon, maintenant, ils sont tous très contents, bien sûr. Surtout ma sœur qui a toujours rêvé d’être Anglaise ! Comme elle, grâce au film, je découvre que suis juive et Anglaise !
Le film a été tourné à Toulon où habite votre mère, à Paris, en Pologne et en Angleterre. Quel est votre lien avec la Région Nouvelle-Aquitaine qui a soutenu la production du film ?
S.G. : J’ai longtemps habité Angoulême où j’ai tourné mes deux premiers films et où je me suis formée à la réalisation. La production Prima Luce est implantée à Bordeaux. Et je les ai rencontrés grâce à une séance de pitch "Premiers films en région" au Fipadoc à Biarritz. Et le film a été soutenu par TV7 Bordeaux qui lui a consacré toute une émission au moment de sa diffusion.
Quels sont vos prochains projets ?
S.G. : Je voudrais parler de la gouvernance au féminin. Je suis en train de suivre un groupe de jeunes femmes d’une trentaine d’années qui ont créé une structure dont l’organisation est horizontale, à Marseille. Et j’utilise ma caméra comme un outil de résolution des conflits. Ce sera un film qui parlera de la liberté au féminin.
(Photo : Quitterie de Fommervault)