Patrick Fort, l'écriture à taille humaine
L’écrivain landais construit à pas lents mais sûrs une œuvre où l’Histoire, l’humain, la guerre, l’Espagne – parfois tous les thèmes sont unis – dialoguent au rythme d’une littérature sincère et vraie. Depuis deux romans, les éditions Gallimard ont choisi de l’accueillir dans son catalogue.
Le 21 novembre 1811, deux coups de feu retentissent près du lac Wannsee, à quelques kilomètres de Berlin. Heinrich von Kleist, après avoir tiré sur Henriette Vogel, vient de se donner la mort. Ernst Friedrich Peguilhen, ami des défunts, leur exécuteur testamentaire, essaye de comprendre l’inexplicable. Tout en questionnant les faits malgré la police qui mène une enquête minutieuse et le pouvoir royal qui veut étouffer l’affaire avant que l’opinion publique ne s’en empare. À l’époque, ce fait divers avait défrayé la chronique. Bien évidemment, la personnalité du dramaturge, romancier et poète Heinrich von Kleist (1777-1811), représentant très singulier du romantisme allemand, était pour beaucoup dans cet émoi. Patrick Fort en a fait un livre qui mêle fiction et documentation historique. Gallimard l’a publié en 2018.
Avant de connaître cette belle opportunité d’être édité par la grande maison, dans la blanche, Patrick Fort a connu le cheminement des écrivains pour qui rien ne tombe du ciel dans les bras et qui ne rencontrent pas la gloire parce que la mode ceci, parce que l’air du temps cela. Patrick Fort, lui, est un écrivain au travail. Et son parcours parle pour lui. Dès 2005, et jusqu’en 2015, il a publié aux éditions Le Solitaire, essentiellement des nouvelles. Il a aussi contribué à d’autres maisons. En 2016, Arcane 17 a publié un premier roman, Après nous. Le texte s’intéresse à Celestino Alfonso, membre du fameux Groupe Manouchian. "Je voulais écrire sur les Résistants de l’Affiche Rouge, confie l’auteur. Je me suis arrêté sur la personnalité de Celestino. Il n’y avait pas grand-chose sur lui. J’ai retrouvé des personnes de sa fille. J’ai eu des contacts avec sa petite-fille. Et il y a quelques temps, j’ai reçu un courrier dans lequel un homme me disait avoir connu Celestino, lorsqu’il était enfant et que le Résistant fréquentait une épicerie près du camp où il se trouvait dans le Lot-et-Garonne. C’est formidable ce que les livres peuvent."
"Patrick Fort accomplit, livre après livre, ce singulier et térébrant exercice que permet l’écriture sensible, laquelle est haute quand elle donne une deuxième chance à un personnage."
Dans le fond, tissant ce magnifique écheveau de l’improbable errance que l’on nomme aussi la vie, Patrick Fort accomplit, livre après livre, ce singulier et térébrant exercice que permet l’écriture sensible, laquelle est haute quand elle donne une deuxième chance à un personnage. Encore plus haute quand elle donne corps à ce troisième personnage absolument mystérieux dont parle le poète T.S.Eliott et qui chemine dans l’ombre de deux autres qui avancent sur une route. Qui est-il ? Il faudra encore des siècles de littérature pour le deviner.
Comme rien ne se fait au hasard, c’est Didier Daeninckx qui a préfacé, à sa demande, Après nous. Et alors, un beau tissu s’annonçait déjà. La rencontre allait se passer avec Gallimard. Patrick Fort raconte : "J’avais écrit Le Voyage à Wannsee. Je tenais à plonger dans la vie de Kleist. Sa mort m’a toujours intrigué... Hélas, mon éditeur de l’époque ne m’a pas suivi dans ce projet. J’étais alors en relation avec l’écrivain Alain Blottière. Je lui en ai parlé. Je lui ai envoyé le texte. Il m’a vivement conseillé de l’adresser à Gallimard. Ce que j’ai fait..." Gallimard a dit oui. Le Voyage est paru avec cette citation de von Kleist extraite du Prince de Hombourg : "La vie n’est qu’un voyage, et bien court. Il est vrai !" Une forme de résumé, de précipité même, de la vie et de la mort de l’auteur romantique qui contraste brutalement avec ce qui est gravé sur sa tombe, non loin du lieu des coups de feu fatals : Nun, o Unsterblichkeit, bist du ganz mein. "Maintenant, ô immortalité, tu es toute à moi !" Un vers lui aussi extrait du Prince de Hombourg.
Dans la foulée, l’éditeur parisien a également reçu Le Foulard rouge en 2020. Changement radical de lieu, de drame, d’époque. Cette fois, Patrick Fort s’arrête sur la vie de Giovanni Fontana. Le vieil homme vit retiré du monde, dans les Landes, au bord de la mer. À Contis. Il a vécu l’errance et l’exil, la guerre d’Espagne et l’engagement dans la Résistance. Cinquante ans plus tard, une lettre le ramène à l’endroit où son destin a basculé, où il a trouvé puis perdu l’amour de sa vie. Giovanni Fontana doit retourner à Gurs, un paisible village du Béarn. Gurs et son camp d’internement, ouvert de 1939 à 1945, puis rasé pour qu’il n’en subsiste plus la moindre trace. C’est ici que l’attend Maylis, la femme qui le hante.
"Avec ce Foulard rouge, Patrick Fort revient à l’un de ses thèmes de prédilection : l’Espagne et ses vicissitudes infernales telles que le siècle dernier les a écrites dans le sang."
Une fois encore, dans un style fluide qui flatte le récit et engramme le scénario, Patrick Fort explore les ressorts de l’amour, de l’impossible oubli, de l’espérance, du combat et de tout ce qui fait homme dans cette vallée de larmes. Avec ce Foulard rouge, Patrick Fort revient à l’un de ses thèmes de prédilection : l’Espagne et ses vicissitudes infernales telles que le siècle dernier les a écrites dans le sang. Pourquoi ce goût de l’Espagne et de la guerre ? Aujourd’hui installé à Mont-de-Marsan – il travaille au sein du Conseil départemental des Landes –, Patrick Fort est né il y a cinquante ans près de Lourdes. Enfant, il se rendait souvent chez sa grand-mère qui vivait dans une cité, entourée de voisins espagnols. "La plupart d’entre eux avaient connu et fait la guerre civile dans leur pays, se souvient l’écrivain. Ils n’en parlaient pas mais j’ai baigné dans ce milieu..." Et l’infusion a fonctionné. Tout le reste est donc venu naturellement à la plume. À la maison, son père glissait des livres entre ses mains. Beaucoup. Plus tard, un professeur d’allemand lui a fait découvrir Kleist. Mais aussi Goethe, qui ne fut guère aimable avec le premier. Le philosophe Lichtenberg dont on ne conseillera jamais assez la lecture. Et chez les contemporains : Dürrenmatt, Grass, le futur Prix Nobel de littérature. Un professeur d’anglais l’a aussi conduit sur la piste d’Orwell, d’Hemingway, de Faulkner, de Dos Passos. Puis, Patrick a fait des études de lettres. Il voulait alors devenir professeur de français. À la faculté de Pau, il s’est engagé dans un mémoire sur le thème de la paternité dans le théâtre de Victor Hugo. Ses préférences le portaient déjà vers le roman du XIXe siècle. Le roman en majesté. Maupassant, Hugo, Zola, Balzac. Flaubert, le grand maître. Tous les autres.
"J’ai toujours écrit, se souvient Patrick. Dès le collège, c’étaient des pièces de théâtre, des poèmes, un journal. Dans le même temps, je lisais énormément. Les deux se nourrissent."
Et l’écriture ? "J’ai toujours écrit, se souvient Patrick. Dès le collège, c’étaient des pièces de théâtre, des poèmes, un journal. Dans le même temps, je lisais énormément. Les deux se nourrissent. À la faculté, avec des amis, nous avons créé une revue..." Et le temps a passé. Quand la trentaine est arrivée, Patrick s’est mis à écrire des nouvelles, parfois puisées au genre fantastique, la plupart du temps ancrées dans l’Histoire : la guerre d’Espagne donc, les Cagots - ces parias des parias, vaincus absolus de l’Histoire, intouchables parmi les intouchables -, la guerre de 1914. À ce sujet, on lui doit notamment un texte sur la vie stupéfiante de Vincent Moulia. Un Landais de Nassiet, près d’Hagetmau, médaillé de la Grande Guerre, pourtant condamné à mort en raison d’une obscure participation à un chahut le 1er mai, évadé avant d’être exécuté, terré dans une grotte après avoir traversé la France jusque chez lui, dénoncé, réfugié en Espagne jusqu’à la guerre civile, revenu en France et finalement réhabilité au crépuscule de sa vie grâce à une émission d’Alain Decaux... Tout le goût de l’humanité de Patrick Fort se trouve certainement dans cette triste épopée qui brisa un homme et aussi, beaucoup de ceux de sa famille. Tout le goût des autres. Tout le goût des simples et des cœurs purs que charrient les flots de la vie et dont il convient de se souvenir un jour.
Le Foulard rouge s’ouvre par une citation de Jules Supervielle, tirée de Boire à la source et qui exprime combien la mission de Patrick Fort est noble. Nécessaire :
Souvenirs, oui, vous faites parfois un bruit plus pénétrant
que la réalité.
Vous connaissez mieux le chemin de notre oreille et de
notre cœur.