Retour aux sources de l'écriture
Invité de la résidence d'écriture de l'association périgourdine Les plumes de Léon, Thomas Flahaut a travaillé cet automne à son projet de roman, Je ne suis déjà plus là. Une résidence accompagnée d'une aide à la création en résidence, dispositif porté par ALCA destiné à soutenir les auteurs et les résidences d'écritures sur le territoire néo-aquitain.
À égale distance du village troglodytique de la Madeleine à Tursac et de Lascaux à Montignac, Saint-Léon-sur-Vézère n'est pas seulement le voisin des deux plus importants sites paléolithiques qu'offre la vallée de la Vézère. Ce village de près de 500 habitants, cintré par le cours d'eau qui lui a donné son nom, connaît depuis plus d'un an et demi une activité littéraire foisonnante, au gré de rencontres, spontanées ou en festival, mais aussi de résidences d'écriture que met en place l'association Les plumes de Léon, fondée et présidée par Béatrice Ottersbach1.
C'est dans ce cadre privilégié que Thomas Flahaut, originaire de Montbéliard dans le Doubs, presque trentenaire mais déjà auteur de deux ouvrages – Ostwald (2017) et Les Nuits d'été (2020), tous deux parus aux éditions de l'Olivier –, a posé ses valises du 15 septembre au 15 novembre derniers. Il y a travaillé l'écriture de son prochain livre, Je ne suis déjà plus là, bénéficiant d'une bourse dotée par ALCA. Comme lui, deux autres auteurs invités par une structure membre du Réseau des résidences d'écritures de Nouvelle-Aquitaine ont pu bénéficier cet automne d'une rémunération afin de leur permettre de mener à bien un projet d'écriture personnel2.
Thomas Flahaut a appris à aimer la littérature au lycée, non pas par la lecture de classiques mais par la pratique du théâtre, "un lieu où l'on peut user concrètement de la langue et penser avec le texte". Après avoir entrepris des études théâtrales à Paris dans l'idée de devenir acteur, objectif rapidement abandonné tant il se trouve "mauvais", il étudie les lettres à Strasbourg puis l'art à Bienne, en Suisse, (où il travaille de nuit à l'usine pour payer ses études, ce qui a inspiré Les Nuit d'été) et termine son parcours universitaire à Lausanne et à Bienne où il vit depuis sept années. "Transfrontalier", comme ses parents avant lui qui ont travaillé dans des usines suisses, Thomas a grandi dans un territoire industriel "où la nature n'existe plus vraiment", qu'il raconte dans son premier roman.
Pourquoi alors quitter cet environnement le temps d'une résidence à la campagne qu'il n'a pas connue ? "Je n'avais jamais fait de résidence auparavant et l'opportunité s'est présentée à la suite d'un échange avec Joël Bacqué que j'ai rencontré à un festival où j'intervenais en médiation. Il m'a recommandé à Béatrice [Ottersbach, ndlr] et j'ai saisi cette occasion sans hésiter, fasciné à l'idée de découvrir cet endroit. Être accueilli en résidence d'écriture au cœur de la vallée de la Vézère, ce n'est pas la même chose que de travailler en résidence dans une bibliothèque à Bruxelles par exemple", explique Thomas, qui s'est donc approprié le lieu pour avancer sur son projet d'écriture, Je ne suis déjà plus là. Sorte de manuel de disparition où l'on apprend à vivre hors des radars, parasité petit à petit par la forme d'un roman réaliste, ce texte en vous deviendrait progressivement un texte en je : "Cette idée reste plus ou moins, il faut que je l'éprouve par le travail de la forme qui est une vraie contrainte. Mais à la fin, c'est le romanesque qui l'emporte."
"Étant proche de Lascaux, j'ai emporté Un monde à portée de main de Maylis de Kerangal dont le style contaminant des phrases m'a aidé à trouver un élan presque chamanique pour rédiger le début de ce livre."
Quand il est arrivé en résidence, Thomas souhaitait avant tout "profiter du fait qu'il n'avait rien d'autre à faire, à part écrire, pour tenter d'écrire autrement", c'est-à-dire ne pas se soucier dans l'immédiat des recherches qu'il avait pu faire en amont de personnes disparues. "J'ai finalement préféré les laisser de côté, ce que permet évidemment la fiction, et me concentrer sur une écriture en flux de conscience. Concrètement, je m'imposais trois ou quatre heures de rédaction par jour où j'écrivais de longues phrases sans me relire, et ce très vite. C'est ce que j'ai fait pendant ce mois et demi. Cela m'a permis de disposer d'une matière importante de textes qui sont en fait une tentative de se mettre à la place de quelqu'un qui souhaite disparaître, continuer à vivre mais en se faisant oublier du monde." Thomas a aussi lu des écrits l'invitant à suivre cette méthode : "Étant proche de Lascaux, j'ai emporté Un monde à portée de main de Maylis de Kerangal dont le style contaminant des phrases m'a aidé à trouver un élan presque chamanique pour rédiger le début de ce livre." De retour chez lui en Suisse, Thomas essaie "de conserver la même dynamique" mais ce n'est "pas facile, parce que la vie recommence" : "Même si je suis confiné et que j'ai rapporté cette solitude à la maison, il faut que je maintienne l'énergie de la résidence pour continuer à avancer."
L'écriture du projet de Thomas Flahaut s'est également enrichie lors des rencontres qu'a organisées Les plumes de Léon avec son invité. Deux d'entre elles ont eu lieu dans les bibliothèques de Saint-Léon et de Sarlat où l'auteur se souvient dans un sourire "avoir échangé avec des personnes qui avaient lu tous [ses] livres" : "Je n'en ai pas écrit beaucoup mais tout de même, c'est assez rare !" Une troisième rencontre s'est ajoutée au programme à la demande d'un professeur du lycée de Terrrasson où les élèves animent une émission de radio et ont interviewé Thomas : "C'était vachement cool parce qu'ils étaient extrêmement concentrés, prenaient des notes et posaient des questions pertinentes." Expliquer le métier d'écrivain à des jeunes éloignés des grands centres-villes, qui "ressemblent au collégien ou au lycéen" qu'il était, est source de plaisir pour cet auteur qui reconnaît parfois "quelques difficultés à entrer dans l'âge adulte". Un attrait pour la médiation qui se prolonge en festival où il intervient régulièrement pour parler des autres, de ses pairs dont il chronique aussi le travail sur un site – Les Monstres, attention écrivains méchants – lancé par ses amis Sophie Divry, Aurélien Delsaux et Denis Michelis.
De cette première résidence, Thomas Flahaut retient beaucoup de choses, des "hululements des chouettes et des brames des cerfs la nuit" à cette "fascination pour un héritage préhistorique qui n'a pas été détrompée et dont le rapport très vocal, très méditatif, à l'écriture a nourri [son] travail." Sans compter les nombreuses rencontres lors des temps de médiation et en-dehors, grâce à Béatrice Ottersbach qui lui a présenté "des gens du coin" qu'il n'aurait pas pu rencontrer autrement. "C'était très précieux et nourrissant, à l'image de tout le travail mené par Béatrice pour faire vivre la littérature dans ces villages", conclut Thomas qui espère revenir au plus vite, notamment "pour assister au festival, l'été prochain."
1Les plumes de Léon
Béatrice Ottersbach entourée de Catherine Farin (à sa gauche), Salomé Berlemont-Gilles (à sa droite), Roland Buti, Marissol Mottez, Loren Capelli et Hélène Gestern (en haut, de gauche à droite). © ALCA Nouvelle-Aquitaine
L'association Les plumes de Léon, créée en 2018 et présidée par Béatrice Ottersbach, éditrice franco-allemande installée à Paris et dans le Périgord où puisent ses racines, propose chaque année trois rendez-vous littéraires le long de la vallée de la Vézère, dont une au Château de Losse, mais aussi des résidences d'écriture en langues française et allemande ainsi qu'un festival estival.
La crise sanitaire n'a finalement pas empêché la tenue de la deuxième édition du festival, qui a réuni à la fin de ce mois d'août sous le thème "Mouvances" Laurent Binet, venu présenter Civilizations (Éditions Grasset), l'auteur suisse Roland Buti (Grand National, Éditions Zoé), Salomé Berlemont-Gilles (Le Premier qui tombera, Éditions Grasset), Hélène Gestern (Armen, Éditions Arléa) et Loren Capelli (Cap !, Éditions courtes et longues) qui a animé une journée jeunesse gratuite, avec le soutien de la Drac Nouvelle-Aquitaine. Non itinérantes contrairement à la première édition en raison des restrictions sanitaires, les rencontres étaient animées par Béatrice Ottersbach et Catherine Farin, et ont réuni de nombreux spectateurs sur le site exceptionnel du village troglodyte de la Madeleine, à Tursac. Rendez-vous en juin 2021 pour une troisième édition de nouveau itinérante, si la situation sanitaire le permet.
Le festival sera aussi l'occasion de croiser les auteurs accueillis dernièrement en résidence. De Fleur Breteau, accompagnée de la romancière allemande Julia Franck, à Thomas Flahaut, qui était en résidence cet automne en même temps que le traducteur allemand Henning Ahrens. Entre ces deux duos, l'association a invité Emmanuelle Grangé, auteure des romans Son absence (2017) et Les Amers remarquables (2019) aux Éditions Arléa, et qui va publier au printemps prochain un roman qu'elle a écrit confinée à Saint-Léon.
2Louise Collet a été accueillie au sein de la résidence Vagabondage 932, à Coulounieix-Chamiers, en Dordogne, et Marc Vallès a séjourné à la Maison des auteurs de Limoges (Les Francophonies) et à la Maison des écritures de La Rochelle.