Ceux qui n'avaient pas trouvé place
Journaliste et critique littéraire, Olivier Mony vient de publier aux éditions Grasset Ceux qui n’avaient pas trouvé place, à la fois un (presque) premier roman très bordelais et un coup de maître quelque peu sulfureux.
Par divers aspects, bien que par ailleurs il en diffère, le personnage central de ce roman pourra faire penser aux énigmes troubles et aux profils perdus qui constellent l’œuvre romanesque d’un Patrick Modiano. Le narrateur s’y exprime non sans ironie avec des accents parfois tendres, parfois pudiquement mélancoliques, et en même temps très acerbes. C’est un avocat bordelais, désormais propriétaire d’une villa sur la presqu’île du Cap Ferret, qui a appartenu dans sa jeunesse, au tournant des années 1960, à un groupe d’amis de la bonne société dont l’avenir confortable était à pas mal d’égards tracé d’avance, notamment du côté de la magistrature et du barreau en relation avec le monde des affaires. Les amis se retrouvaient dans un café en vue de la cité de Montaigne et Montesquieu lors de leurs joyeux moments d’oisiveté hédoniste avec un compagnon qui ne passait pas inaperçu, le déjà flamboyant Serge Elkoubi, fils d’un coiffeur natif de la communauté juive sépharade de Constantine. Vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, celui-ci avait survécu à sa déportation à Auschwitz pour faits de Résistance, mais ne tenait pas à en faire état. La relation du père et du fils oscillait douloureusement entre conflit et ignorance ou incompréhension réciproque. Au passage, est évoqué un antisémitisme pas plus latent que résorbé de certaines franges de la population bordelaise, ainsi que l’éducation probable de quelques-uns des jeunes amis dans de réputées institutions religieuses du cru, marianistes ou jésuites, ou encore l’obscure et équivoque présence d’une certaine pègre locale.
Séducteur au charme très apprécié des jeunes femmes du groupe, Serge apparaissait et disparaissait habituellement à bord d’une Ford Mustang rouge avec laquelle il aimait à se livrer à des compétitions de vitesse. Bientôt, de petits commerces illicites en trafics louches, il se voit gratifié d’un séjour de plusieurs mois à la maison d’arrêt du département en dépit de la défense de son ami avocat. À sa libération, commence une errance qui le mène d’abord en Espagne. Afin de s’épargner une incarcération à la prison de Madrid, il accepte d’être commis un temps par les autorités factotum d’un général de l’O.A.S. en exil qui est personna grata du Caudillo (le Général Salan). Un peu plus tard, Serge s’immergera dans la société cosmopolite et cultivée des îles Baléares devenues un épicentre de la vague hippie. Puis, à la faveur de changements d’identité, il voyagera en Amérique du Sud avant de se fixer à Bali à la tête d’une entreprise de vente de confection. De là, il se fixera enfin aux Antilles, où le narrateur le retrouvera une dernière fois miné par la toxicomanie dans sa luxueuse résidence de l’île de Saint-Martin.
"Mon héros, Serge Elkoubi, est certes un mystère en marche, mais d’abord à lui-même et donc à celui (moi) qui l’a imaginé… Peut-être aussi n’est-il que le fantasme de ceux qui prétendent l’avoir croisé ?"
Le personnage de Serge Elkoubi devenu Serge Dalia a-t-il réellement existé ? Ou bien est-il un fantasme du narrateur en première personne et du groupe d’amis aux moyens desquels s’est déployé le récit ? C’est ce que suggère un peu l’auteur du roman lorsqu’il déclare à ce propos : "Mon héros, Serge Elkoubi, est certes un mystère en marche, mais d’abord à lui-même et donc à celui (moi) qui l’a imaginé… Peut-être aussi n’est-il que le fantasme de ceux qui prétendent l’avoir croisé ?" En tout cas, il s’agit pratiquement avec Ceux qui n’avaient pas trouvé place d’un premier roman, dans la mesure où Olivier Mony note à propos de deux de ses précédentes publications, Un dimanche avec Garbo (Éditions Confluences, Bordeaux, 2007) et Du beau monde (Éditions de l’Éveilleur/Le Festin, 2007) : "En fait, il n’y a pas vraiment de continuité, parce que ces deux ouvrages étaient constitués de courts textes biographiques parus déjà pour la plupart dans différents journaux auxquels j’ai pu contribuer. Alors que celui-ci est véritablement mon premier roman, même s’il 's’adosse' bien entendu à un fond de vérité historique."
Toujours dans le domaine des écrits relevant sans doute de ce que l’on a appelé "Le nouveau journalisme" ou, en France, le journalisme littéraire, Olivier Mony a publié en 2016 aux Éditions du Sous-sol Âge d’or et tête de mort, sur le thème du monde de la course automobile et de ses représentations cinématographiques. À ce sujet, il précise : "Il s’agit d’articles parus dans une revue trimestrielle aujourd’hui défunte nommée Desport et publiée par les Éditions du Sous-sol. Ceci dit, la vitesse – en une époque qui semble plus encline à faire l’éloge de la lenteur – et au-delà le sport automobile, et plus précisément la figure du pilote de courses dans mon enfance (circa les années 1970), m’ont toujours fasciné et ont procuré au petit provincial que j’étais alors quelque chose comme un 'idéal érotique du moi'. Sans doute y reviendrai-je plus tard. Allez savoir…" Puis il poursuit : "Je ne me définis ni comme un romancier, ni comme un écrivain. Je suis avant tout un lecteur, et de cela, et de cela seulement, je demeure fier. Avoir pu exercer un travail qui me permette de me faire dans les journaux un 'passeur' de lecture m’est infiniment satisfaisant. Pour le reste, je ne crois pas qu’en dehors des éventuelles facilités à se faire éditer, un journaliste littéraire ait plus de légitimité qu’un autre à écrire des livres."
Lorsqu’on lui demande si Ceux qui n’avaient pas trouvé place est dédié à toutes les personnes que leurs origines et leurs parcours de vie mettent en situation de réprouvés au gré des réalités sociologiques et historiques dans lesquelles elles se trouvent immergées, Olivier Mony répond : "Il s’agit dans ce titre d’une citation un peu tronquée d’un écrivain qui m’est cher, essentiel à mes yeux, Henri Michaux. Lui et quelques autres (je pense ici à Maurice Blanchot ou Henri Thomas) demeurent des phares dans ma bibliothèque et partant, sans se comparer pour autant, sans doute dans mon écriture. Il est question chez eux de nuit, de désastre, de mort et de transfiguration, tout ce avec quoi tout honnête homme, lecteur et écrivain, ne saurait ni transiger ni se soustraire."
Ceux qui n’avaient pas trouvé place
Olivier Mony
Éditions Grasset
Janvier 2021
144 pages
15,50 euros
EAN : 9782246821038