"Amanda" : présence-absence avec Mikhaël Hers
Le cinéma est avec la photographie l’art qui interroge peut-être le plus foncièrement ce qui disparaît. Question qui semble traverser toute la filmographie de Mikhaël Hers. Rencontre avec une œuvre en doux oxymore et avec son auteur qui nous livre, sans hyperbole, l’histoire très contemporaine d’un séisme intime et collectif : Amanda, son troisième long métrage, soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine et le Département de la Dordogne, sort en salle le 21 novembre.
Comment êtes-vous venu au cinéma ?
Mikhaël Hers : C’est une intuition que j’ai eue dès l’enfance, comme une promesse, d’abord très abstraite, puisque je n’avais pas véritablement d’occasions de filmer. J’ai grandi dans les années 80 en découvrant à la fois les films américains de l’époque - comme E. T. - et le cinéma de Kazan, Lubitsch, Mankiewicz, etc. C’est mon père qui m’emmenait au cinéma. Il était extrêmement cinéphile, au point qu’il aurait sans doute aimé devenir cinéaste. Peut-être que ce désir s’est transmis, inconsciemment…
Comment est née l’idée d’Amanda ?
M.H. : C’est un ensemble de pistes qui s’agrègent mystérieusement et vous mènent vers un scénario. Pour Amanda, je voulais capter quelque chose de la violence de l’époque et filmer Paris. Je voulais aussi parler de paternité, filmer un grand enfant qui accompagne un petit enfant - ou peut-être est-ce l’inverse, d’ailleurs ! Et il y avait l’envie de témoigner d’une réalité post-attentats, sans qu’elle constitue pour autant le sujet principal du film.
Mikhaël Hers : C’est une intuition que j’ai eue dès l’enfance, comme une promesse, d’abord très abstraite, puisque je n’avais pas véritablement d’occasions de filmer. J’ai grandi dans les années 80 en découvrant à la fois les films américains de l’époque - comme E. T. - et le cinéma de Kazan, Lubitsch, Mankiewicz, etc. C’est mon père qui m’emmenait au cinéma. Il était extrêmement cinéphile, au point qu’il aurait sans doute aimé devenir cinéaste. Peut-être que ce désir s’est transmis, inconsciemment…
Comment est née l’idée d’Amanda ?
M.H. : C’est un ensemble de pistes qui s’agrègent mystérieusement et vous mènent vers un scénario. Pour Amanda, je voulais capter quelque chose de la violence de l’époque et filmer Paris. Je voulais aussi parler de paternité, filmer un grand enfant qui accompagne un petit enfant - ou peut-être est-ce l’inverse, d’ailleurs ! Et il y avait l’envie de témoigner d’une réalité post-attentats, sans qu’elle constitue pour autant le sujet principal du film.
"Pour moi, les temps creux font partie de la vie et donc du cinéma. Je tente dans mes films de leur rendre justice."
Un spleen plane et innerve souvent les lieux et personnages de vos films. Vous avez une façon particulière de filmer le quotidien, les silences, parfois même l’ennui…
M.H. : Le quotidien est en effet au cœur de tous mes projets. J’aime filmer ce matériau très trivial, non spectaculaire, et lui donner une forme de beauté, de lyrisme. Sur ce point, je ne suis pas tout à fait d’accord avec Truffaut pour qui les films devaient être "plus harmonieux que la vie", sans "embouteillage" ni "temps mort". Pour moi, les temps creux font partie de la vie et donc du cinéma. Dans mes films, je tente de leur rendre justice.
Beaucoup d’émotions affleurent dans les conversations apparemment anodines - en famille, par exemple - ou dans les moments tragiques, cette façon dont la parole peut être impuissante à dire l’essentiel. À la fois dérisoire et poignante. Parfois drôle, souvent pudique. Comment écrivez-vous les dialogues ?
M.H. : Ils me viennent très naturellement, à vrai dire. Je les entends et me contente de les restituer. C’est très intuitif. En général, les acteurs s’en emparent très facilement ensuite. Ce que vous dites sur la pudeur est très juste, mais inconscient quand j’écris, c’est ma sensibilité qui me guide.
Il y a ce mélange d’humour et de maladresse chez le personnage de David (interprété par Vincent Lacoste), jusqu’au burlesque, par moments…
M.H. : Ce qui émane de Vincent Lacoste m’a toujours touché : une beauté peu ordinaire, une présence à la fois gracieuse et maladroite - comme vous dites - qui suscite l’empathie, je crois. Il dégage une vraie profondeur et beaucoup de légèreté. Ce paradoxe me plaît beaucoup.
La jeune Isaure Multrier (qui joue le rôle d’Amanda) est étonnante : beaucoup de douceur dans sa voix, un visage désarmant, plein de bonté et d’aplomb en même temps...
M.H. : Il y a chez elle un contraste qui m’intéressait beaucoup pour le personnage : quelque chose de juvénile et poupon, doublé d’une grande maturité, une capacité très fine à formuler sa pensée. Aptitude que j’imaginais aigüe chez une enfant élevée, comme Amanda, par un parent seul avec qui les conversations sont peut-être plus adultes. C’est ce que je me raconte, en tout cas !
M.H. : Le quotidien est en effet au cœur de tous mes projets. J’aime filmer ce matériau très trivial, non spectaculaire, et lui donner une forme de beauté, de lyrisme. Sur ce point, je ne suis pas tout à fait d’accord avec Truffaut pour qui les films devaient être "plus harmonieux que la vie", sans "embouteillage" ni "temps mort". Pour moi, les temps creux font partie de la vie et donc du cinéma. Dans mes films, je tente de leur rendre justice.
Beaucoup d’émotions affleurent dans les conversations apparemment anodines - en famille, par exemple - ou dans les moments tragiques, cette façon dont la parole peut être impuissante à dire l’essentiel. À la fois dérisoire et poignante. Parfois drôle, souvent pudique. Comment écrivez-vous les dialogues ?
M.H. : Ils me viennent très naturellement, à vrai dire. Je les entends et me contente de les restituer. C’est très intuitif. En général, les acteurs s’en emparent très facilement ensuite. Ce que vous dites sur la pudeur est très juste, mais inconscient quand j’écris, c’est ma sensibilité qui me guide.
Il y a ce mélange d’humour et de maladresse chez le personnage de David (interprété par Vincent Lacoste), jusqu’au burlesque, par moments…
M.H. : Ce qui émane de Vincent Lacoste m’a toujours touché : une beauté peu ordinaire, une présence à la fois gracieuse et maladroite - comme vous dites - qui suscite l’empathie, je crois. Il dégage une vraie profondeur et beaucoup de légèreté. Ce paradoxe me plaît beaucoup.
La jeune Isaure Multrier (qui joue le rôle d’Amanda) est étonnante : beaucoup de douceur dans sa voix, un visage désarmant, plein de bonté et d’aplomb en même temps...
M.H. : Il y a chez elle un contraste qui m’intéressait beaucoup pour le personnage : quelque chose de juvénile et poupon, doublé d’une grande maturité, une capacité très fine à formuler sa pensée. Aptitude que j’imaginais aigüe chez une enfant élevée, comme Amanda, par un parent seul avec qui les conversations sont peut-être plus adultes. C’est ce que je me raconte, en tout cas !
"Filmer ce sentiment d’être à la périphérie des choses, au sens propre comme au figuré, cela me parle."
Il y a quelque chose d’envoûtant dans le rythme de vos films, qui tient sans doute au montage, mais aussi à l’atmosphère des lieux, à la lumière, à la lenteur des travellings…
M.H. : Je suis content que vous l’évoquiez. J’aimerais que mes films puissent être perçus comme des chansons ou des sensations. Chose qui me plaît, par exemple, chez Patrick Modiano : être plongé dans un univers, comme bercé par une musique où je peux me lover en deux minutes et me sentir bien. J’aimerais que mes films permettent cela.
On sent un léger changement dans la mise en scène d’Amanda : tempo plus vif, lumière plus franche, davantage de gros plans… Pour incarner la rudesse des temps ?
M.H. : Je ne voulais pas perdre le rythme envoûtant dont vous parlez et, en même temps, je visais une forme d’épure - notamment dans le découpage - qui rompt un peu avec mes films précédents. Cela rejoint peut-être la violence ambiante, mais ce n’était pas délibéré. Au montage, nous avons surtout veillé à traquer toutes les coquetteries, à ne pas trahir les émotions avec des effets, pour arriver à un film qui soit le plus partageable possible. Le titre reflète cette sobriété et m’évoque innocence et naïveté. Quelque chose de simple et de beau. Je voulais aussi témoigner du présent, d’un Paris très ordinaire - sans effets, justement -, filmer des quartiers peu typés, peu représentés, aussi. Et tourner en 16 mm. La pellicule donne une tessiture d’image très particulière, granuleuse et imparfaite, qui permet de capter quelque chose de la vie sur un versant quasi documentaire, et renvoie en même temps fortement au pur cinéma de fiction. Dualité qui incarne, pour moi, l’essence du cinéma.
La musique vient en contrepoint…
M.H. : J’ai choisi un ton plus lyrique, cette fois-ci, comme un contrepoids au trivial des émotions. Il y a des instants minimalistes mais l’essentiel est plus orchestré, avec des cordes frottées, des instruments à vent etc. Une note de mélodrame.
Y a-t-il des œuvres artistiques qui vous ont habité pendant ce projet ?
M.H. : Pas consciemment. Je m’en méfie, même. Quand je travaille sur un film, j’essaie de ne pas laisser le cinéma s’interposer entre le film et moi. Je tâche de rester en lien direct avec mes perceptions, en prise directe avec la vie.
Plus largement, quels sont les films ou cinéastes qui ont laissé une forte empreinte en vous ?
M.H. : J’ai un lien beaucoup plus obsessionnel à la musique, à vrai dire. Il m’est difficile de citer un cinéaste qui serait tutélaire pour moi, même si beaucoup de films ont compté, comme L’Ami de mon amie ou Le Rayon vert. Il y a chez Rohmer un rapport aux lieux qui me fascine, une étrangeté mêlée à une familiarité quand il filme Paris, par exemple. Et quelque chose dans l’énonciation des personnages - sans faux-fuyants - qui m’a toujours marqué. La manière dont ils livrent leur solitude, notamment…
Les lieux sont très importants dans vos films, notamment les parcs, paysages récurrents qui accueillent tantôt des drames, tantôt des retrouvailles…
M.H. : Je ne peux écrire une séquence que si je la pense dans un espace précis, même s’il est parfois modifié au tournage. Pour l’échappée vers la province, par exemple, j’avais imaginé un premier paysage et nous avons finalement trouvé cette colline de Dordogne que j’aime beaucoup, où se retrouvent David et Léna. Quant aux parcs, je crois que la nature dans la ville me procure une émotion particulière qui renvoie aux paysages de mon enfance : des espaces très boisés et fleuris qui côtoyaient des espaces urbains. Une façon d’apercevoir la ville - de la toucher, presque - sans y être complètement. Filmer ce sentiment d’être à la périphérie des choses, au sens propre comme au figuré, cela me parle.
M.H. : Je suis content que vous l’évoquiez. J’aimerais que mes films puissent être perçus comme des chansons ou des sensations. Chose qui me plaît, par exemple, chez Patrick Modiano : être plongé dans un univers, comme bercé par une musique où je peux me lover en deux minutes et me sentir bien. J’aimerais que mes films permettent cela.
On sent un léger changement dans la mise en scène d’Amanda : tempo plus vif, lumière plus franche, davantage de gros plans… Pour incarner la rudesse des temps ?
M.H. : Je ne voulais pas perdre le rythme envoûtant dont vous parlez et, en même temps, je visais une forme d’épure - notamment dans le découpage - qui rompt un peu avec mes films précédents. Cela rejoint peut-être la violence ambiante, mais ce n’était pas délibéré. Au montage, nous avons surtout veillé à traquer toutes les coquetteries, à ne pas trahir les émotions avec des effets, pour arriver à un film qui soit le plus partageable possible. Le titre reflète cette sobriété et m’évoque innocence et naïveté. Quelque chose de simple et de beau. Je voulais aussi témoigner du présent, d’un Paris très ordinaire - sans effets, justement -, filmer des quartiers peu typés, peu représentés, aussi. Et tourner en 16 mm. La pellicule donne une tessiture d’image très particulière, granuleuse et imparfaite, qui permet de capter quelque chose de la vie sur un versant quasi documentaire, et renvoie en même temps fortement au pur cinéma de fiction. Dualité qui incarne, pour moi, l’essence du cinéma.
La musique vient en contrepoint…
M.H. : J’ai choisi un ton plus lyrique, cette fois-ci, comme un contrepoids au trivial des émotions. Il y a des instants minimalistes mais l’essentiel est plus orchestré, avec des cordes frottées, des instruments à vent etc. Une note de mélodrame.
Y a-t-il des œuvres artistiques qui vous ont habité pendant ce projet ?
M.H. : Pas consciemment. Je m’en méfie, même. Quand je travaille sur un film, j’essaie de ne pas laisser le cinéma s’interposer entre le film et moi. Je tâche de rester en lien direct avec mes perceptions, en prise directe avec la vie.
Plus largement, quels sont les films ou cinéastes qui ont laissé une forte empreinte en vous ?
M.H. : J’ai un lien beaucoup plus obsessionnel à la musique, à vrai dire. Il m’est difficile de citer un cinéaste qui serait tutélaire pour moi, même si beaucoup de films ont compté, comme L’Ami de mon amie ou Le Rayon vert. Il y a chez Rohmer un rapport aux lieux qui me fascine, une étrangeté mêlée à une familiarité quand il filme Paris, par exemple. Et quelque chose dans l’énonciation des personnages - sans faux-fuyants - qui m’a toujours marqué. La manière dont ils livrent leur solitude, notamment…
Les lieux sont très importants dans vos films, notamment les parcs, paysages récurrents qui accueillent tantôt des drames, tantôt des retrouvailles…
M.H. : Je ne peux écrire une séquence que si je la pense dans un espace précis, même s’il est parfois modifié au tournage. Pour l’échappée vers la province, par exemple, j’avais imaginé un premier paysage et nous avons finalement trouvé cette colline de Dordogne que j’aime beaucoup, où se retrouvent David et Léna. Quant aux parcs, je crois que la nature dans la ville me procure une émotion particulière qui renvoie aux paysages de mon enfance : des espaces très boisés et fleuris qui côtoyaient des espaces urbains. Une façon d’apercevoir la ville - de la toucher, presque - sans y être complètement. Filmer ce sentiment d’être à la périphérie des choses, au sens propre comme au figuré, cela me parle.
Fondatrice de l'association Le 3èmeŒIL qui œuvre pour la médiation artistique et culturelle du cinéma, elle intervient auprès des artistes, des publics et des professionnels du champ culturel. Son double cursus universitaire a rapidement confirmé son intérêt pour la dimension sensorielle du cinéma, le processus créatif, l’expérience de spectateur et les pratiques de médiation. Elle explore notamment la mise en scène de l'espace et du son au cinéma, ainsi que les questions de genres et leurs représentations, et rédige de nombreux articles, dossiers critiques et entretiens, au carrefour des métiers du livre et du cinéma.