Anniversaires : cinq maisons d'édition en fête
Les Petites Moustaches, Fanlac, Les éditions de la Cerise, L’Arbre vengeur, Le Bord de l’eau : alors que cinq maisons d’édition de la Nouvelle-Aquitaine célèbrent cette année leur anniversaire, Prologue met en lumière la diversité de leurs parcours qui témoignent de la richesse éditoriale du territoire.
Il y a 10, 20, 30 ou 80 ans, leurs fondateurs ou fondatrices se sont lancés avec enthousiasme, et un zeste de folie, dans une aventure éditoriale dont personne ne savait, à l’époque, si elle pourrait s’inscrire dans la durée. Spécialisées dans la littérature (L’Arbre vengeur), les sciences-humaines (Le Bord de l’eau), la jeunesse (Les petites moustaches), la bande dessinée (La Cerise) ou défendant un catalogue mêlant ligne généraliste et territoriale (Fanlac), ces maisons d’édition, malgré la diversité de leurs approches, ont plus en commun qu’il n’y paraît.
Mises bout à bout, leurs histoires esquissent celles des 242 autres structures éditoriales qui peuplent la région Nouvelle-Aquitaine, et particulièrement la Gironde où se concentrent un tiers des maisons. On y retrouve un attachement au territoire, vécu par certains comme un frein à leur visibilité dans un paysage éditorial encore très centralisé, mais aussi comme une chance. Attachement aussi, à leur indépendance. Même si cette dernière entraîne généralement une certaine précarité - qui amène des éditeurs et éditrices à ne pas ou peu se rémunérer -, elle reste synonyme de liberté. Construits en fonction de leurs goûts, leurs catalogues, dont, comme le dit joliment David Vincent (L’Arbre vengeur), "chaque titre représente un petit bout de nous", témoignent de partis pris éditoriaux originaux misant plus sur la qualité que sur la quantité et cultivant un refus de publier pour publier.
À l’heure du bilan qu’appellent traditionnellement les anniversaires, les professionnels que nous avons interrogés oscillent entre optimisme et prudence. Lucides quant à la fragilité de leurs modèles économiques et aux difficultés et défis de la chaîne du livre, ils n’en restent pas moins décidés à continuer de porter et de partager les projets auxquels ils croient. C’est donc avec une certaine fierté qu’ils nous ont raconté leur parcours, et célèbrent tout au long de cette année leur longévité !
1. Les petites moustaches : une littérature jeunesse de qualité
Année de fondation : 2013 / Siège : Bordeaux (33) / Rythme de parution annuel : 2 à 3 / Diffusion-distribution : auto-distribution et Myosiris diffusion.
Proposer aux enfants des livres mêlant qualité littéraire et ligne graphique épurée : c’est l’objectif de Sophie Gallo-Selva, fondatrice des éditions Les petites moustaches. Créée dans le bassin d’Arcachon par cette passionnée - novice de l’édition devenue patronne aux multiples casquettes -, la maison s’est, depuis, installée à Bordeaux où elle édite des romans pour les jeunes et ados ( à partir de 9 ans), qui s’inscrivent dans des sujets intemporels comme l’art, l’histoire ou la mode. "Je ne cherche pas à suivre les tendances mais plutôt à construire une ligne éditoriale pertinente qui permette aux jeunes de mieux comprendre le monde qui nous entoure en mesurant combien la société dans laquelle on vit s’inscrit dans une longue histoire" précise l’éditrice. Les lecteurs et lectrices pourront ainsi découvrir les trajectoires de jeunes femmes luttant, à travers les siècles, pour être maîtresses de leurs destins avec la collection Héroïnes; embarquer pour un voyage dans le temps grâce à la série en cinq tomes Les lueurs de traverse ; ou encore, découvrir autrement la vie de grands et grandes couturières dans la collection Les petites histoires de la mode. Locomotive de la maison, cette dernière a réussi, grâce à un parti pris original et des textes bien tournés, à séduire aussi un lectorat d’adultes. Pour continuer à bâtir des ponts vers ces grands lecteurs, deux nouvelles collections littéraires pour les plus de 15 ans rejoindront bientôt un catalogue qui se joue des frontières et a été, dès son lancement, soutenu par les libraires de la région.
2. Les éditions de la Cerise : bande de copains et bande dessinée
Année de fondation : 2003 / Siège : Bordeaux (33) / Rythme annuel de parution : 2 par an / Diffusion-distribution : Makassar
Les éditions de la Cerise sont nées du désir de prolonger l’ambiance créative émanant d’une bande de copains des Beaux-Arts d’Angoulême, soudée par leurs influences et aspirations artistiques. Ce projet, porté par Guillaume Trouillard, a pris forme de manière aussi artisanale qu’insouciante dès la fin de leurs études. Lancé en 2003, le premier numéro de la revue Clafoutis, laboratoire dédié au dessin dans tous ses états – qui accueillit dès son deuxième chapitre l’incroyable artiste argentin Carlos Nine - donne le la de la ligne éditoriale de la maison, créée dans la foulée. Spécialisée dans la bande dessinée, la structure publie, peu mais bien, des ouvrages hors normes, portés par une vision décloisonnée du genre et une recherche artistique tant sur les plans graphiques que narratifs. Lui-même dessinateur de BD "jusqu’au fond des os", Guillaume Trouillard s’est toujours autorisé à aller puiser dans d’autres arts graphiques. Celui à qui l’on doit Welcome, inventaire pour l’enfant qui vient de naître (2013) ou, plus récemment, le leporello Les quatre détours de Song Jiang, cosigné avec Alex Chauvel – tous deux publiés à La Cerise – se conçoit comme un auteur-éditeur. S’il dirige depuis 20 ans la maison bordelaise, il le fait de manière bénévole, porté, malgré les difficultés, par l’envie de continuer à publier des projets atypiques. Un parti pris qui vient d’être récompensé par le prix Fauve Révélation du festival d’Angoulême, remis au dernier titre paru au catalogue, Une rainette en automne (et plus encore) de Linnea Sterte.
3. L’Arbre vengeur : éditeur de goût, et non de coups !
Année de fondation : 2003 / Siège : Bordeaux (33) / Rythme de parution annuel : une vingtaine / Diffusion-distribution : Harmonia Mundi
Faire les choses sérieusement, sans pour autant se prendre au sérieux : telle pourrait être la devise de cette maison bordelaise consacrée à la littérature qui cultive l’impertinence, les belles illustrations, l’exigence littéraire et les chemins de traverse. L’Arbre vengeur, c’est l’histoire de deux amis – David Vincent et Nicolas Etienne -, grands lecteurs, qui, à force de parler ensemble des livres épuisés et de ceux qu’il faudrait inventer, décident un jour de les publier eux-mêmes. Tout en conservant longtemps leurs métiers respectifs, graphiste pour l’un, libraire pour l’autre -, ils ont bâti un catalogue qui les raconte et s’explore comme un univers où chaque titre est relié à l’autre, par le fil de leurs découvertes et excitations littéraires. S’y côtoient Éric Chevillard, Emmanuel Bove, Claro, Léon Bloy, Mathieu Terence, Jules Renard, Charles Dickens ou encore Raphaël Rupert dont le premier roman, Anatomie de l’amant de la femme, a reçu le prix de Flore 2018. Editeur de goût et non de coups, L’Arbre vengeur abrite aussi bien des textes d’anticipation que des romans sociaux engagés, des auteurs contemporains - français ou étrangers, célèbres ou inconnus - que des rééditions d’écrivains disparus il y a plusieurs siècles mais aussi des formats de poche grâce à une collection maison lancée en 2018 . Vingt ans après la création de leur structure, le duo, qui a installé ses locaux au sein de la Fabrique Pola (à Bordeaux), continue de revendiquer un intérêt non pas tant pour les histoires que pour la façon dont elles sont habitées par une langue. Et fourmille toujours d’idées de textes à publier.
4. Le Bord de l'eau : "grand petit" éditeur de sciences humaines
Année de fondation : 1993 / Siège : Lormont (33) / Rythme de parution annuel : 70 + des revues
De revue littéraire à éditeur académique de référence : en 30 ans Le Bord de l’eau a fait une sacrée mue, s’imposant peu à peu comme un acteur national incontournable. "Il paraît que tout se passe à Paris mais on a fait la démonstration qu’on pouvait devenir un grand petit éditeur de sciences humaines en restant là, à quelques encablures de la Garonne", souligne, non sans fierté, son directeur Jean-Luc Veyssy. Cet ancien professeur de philosophie a rejoint la maison lancée par Dominique-Emmanuel Blanchard dans les premières années, avant d’en reprendre les rênes, en 2007. Sous sa houlette, la ligne évolue rapidement délaissant la musique et la littérature pour se tourner vers les essais et documents en sciences humaines et sociales (écologie, sociologie, psychanalyse, économie…). Pour résumer ses partis pris éditoriaux, Jean-Luc Veyssy aime à citer cette phrase du philosophe grec Cornelius Castoriadis : "Je suis ce que je fais". "Editeur d’idées", le Bord de l’eau s’est entouré de directeurs de collections, tels l’ancien ministre de l’éducation nationale Vincent Peillon, le philosophe Serge Audier ou le journaliste et président du Pen Club français, Antoine Spire, pour bâtir un catalogue éclectique comptant aujourd’hui près de 1200 titres. Devenue petit groupe d’édition implanté à Lormont , la structure abrite aussi trois revues - MAUSS, Ecologie & Politique, Germinal - et abrite deux marques: La Muette, filiale belge dédiée à l’art contemporain et Spondi, structure d’édition en Corse.
5. Fanlac : maison familiale sur trois générations
Année de fondation : 1943 / Siège : Montignac (24) / Rythme de parution annuel : 3-4 / Diffusion-distribution : auto-distribution et représentant pour diffusion
Impossible d’évoquer les éditons Fanlac sans faire un saut dans le passé. Car c’est pendant la Seconde Guerre mondiale, en 1943, que Pierre Fanlac, auteur, éditeur, imprimeur mais aussi résistant, fonde cette structure. Installée à Périgueux, la maison développe très vite une double ligne éditoriale. D’un côté, des textes de référence profondément ancrés dans le territoire tels L’Histoire de Périgueux - sous la direction d’Anne-Marie Cocula - ou, plus récemment, Juifs réfugiés en Dordogne : les rafles de février 1943 par Bernard Reviriego. De l’autre, des publications plus généralistes dans les domaines des sciences humaines et de la poésie avec, notamment, des recueils de René Guy Cadou, Jacques Réda ou Pierre Seghers. Cet équilibre est encore à l’œuvre aujourd’hui alors que l’entreprise, maintenant installée à Montignac, a été reprise par Marie-Françoise Tardien – fille du fondateur – et son mari, Hervé. Depuis 2017, leur fille, Alice, les a rejoints. Elle prendra, un jour, à son tour, la relève. Maison d’édition familiale sur trois générations faisant partie intégrante du patrimoine de la région, Fanlac, n’a rien d’une belle endormie malgré ses 80 ans. Tout en travaillant l’important fonds territorial et ses liens avec les habitants de la région, la famille continue d’ouvrir la ligne avec la naissance d’une collection de romans policiers et d’un album jeunesse qui s’appuie sur des contes écrits par Pierre Fanlac, conjuguant ainsi passé et futur.