"Atlantique", l’odyssée sénégalaise de Mati Diop
Grand Prix du Festival de Cannes en mai dernier et soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine, Atlantique, en salle ce mercredi 2 octobre, est le premier long métrage de Mati Diop. En suivant la destinée d’une jeune Dakaroise ayant perdu son amour parti en mer, la réalisatrice franco-sénégalaise dresse le portait de femmes en reconquête dans un pays meurtri par l’émigration.
Atlantique est votre premier long métrage. Dans quelle mesure s’inspire-t-il d’Atlantiques, court métrage que vous avez réalisé en 2009 ? Cette filiation entre les deux films explique-t-elle aussi le genre singulier d’Atlantique, entre drame social et fantastique ?
Mati Diop : Les deux films traitent du thème de la migration, dans un même cadre historique et social : les années 2000 et 2010 durant lesquelles de nombreuses personnes sont mortes en quittant les côtes sénégalaises pour l’Europe. Dans le court métrage est racontée par un jeune homme sa traversée en mer jusqu’en Espagne. Je trouvais intéressant à l’époque de donner à entendre le récit de ce voyage par quelqu’un qui l’a vécu et pas par ce que les médias rendaient complètement abstrait et déshumanisé. Dans le long métrage, je pars du point de vue des femmes en m’inspirant de la figure de Pénélope dans l’Odyssée qui attend le retour d’Ulysse. L’idée n’était surtout pas d’en faire une attente passive mais au contraire que la disparition des hommes agisse comme un tremplin vers leurs propres reconquêtes. J’ai donc opéré avec Atlantique un basculement de point de vue et approfondi la dimension fantastique, cette dernière faisant néanmoins partie de la réalité des croyances sénégalaises.
Le film est tourné essentiellement en wolof. Quelles en sont les raisons ? Comment cohabitent les langues au Sénégal et comment les Sénégalais appréhendent-ils le français ?
M.D. : La langue principale au Sénégal est le wolof et le français, parce que le pays a été colonisé par la France, y est aussi présent. Si le français reste d’ailleurs la langue administrative du pays, j’ai voulu tourner ce film dans la langue pratiquée, pour être au plus près de l’humanité, de la réalité et de l’imaginaire des personnages. Ce double usage des langues ne m’étonne plus dans la mesure où j’ai toujours entendu du wolof et du français mais, quand on prend du recul, on se rend compte que cela fait partie des traces très concrètes de la colonisation. De nombreux jeunes aujourd’hui ne questionnent même pas l’usage du français et son origine.
Ces deux langues sont-elles pour vous aussi constitutives d’une identité que ces deux pays, le Sénégal et la France, qui sont les vôtres ?
M.D. : C’est difficile de mesurer précisément à quel point la culture française a dénaturé ou déplacé la culture sénégalaise. Je ne crois pas que la langue soit responsable de ce phénomène, qui est selon moi davantage dû à des fractures plus profondes. Cette rencontre des mondes, qui cohabite en moi-même, est centrale dans le film : l’ailleurs dont il est question est quand même l’Europe. On raconte l’histoire de garçons sénégalais qui partent en Europe et en reviennent en fantôme. Cette dynamique entre Afrique et Europe est permanente dans Atlantique.
Mati Diop : Les deux films traitent du thème de la migration, dans un même cadre historique et social : les années 2000 et 2010 durant lesquelles de nombreuses personnes sont mortes en quittant les côtes sénégalaises pour l’Europe. Dans le court métrage est racontée par un jeune homme sa traversée en mer jusqu’en Espagne. Je trouvais intéressant à l’époque de donner à entendre le récit de ce voyage par quelqu’un qui l’a vécu et pas par ce que les médias rendaient complètement abstrait et déshumanisé. Dans le long métrage, je pars du point de vue des femmes en m’inspirant de la figure de Pénélope dans l’Odyssée qui attend le retour d’Ulysse. L’idée n’était surtout pas d’en faire une attente passive mais au contraire que la disparition des hommes agisse comme un tremplin vers leurs propres reconquêtes. J’ai donc opéré avec Atlantique un basculement de point de vue et approfondi la dimension fantastique, cette dernière faisant néanmoins partie de la réalité des croyances sénégalaises.
Le film est tourné essentiellement en wolof. Quelles en sont les raisons ? Comment cohabitent les langues au Sénégal et comment les Sénégalais appréhendent-ils le français ?
M.D. : La langue principale au Sénégal est le wolof et le français, parce que le pays a été colonisé par la France, y est aussi présent. Si le français reste d’ailleurs la langue administrative du pays, j’ai voulu tourner ce film dans la langue pratiquée, pour être au plus près de l’humanité, de la réalité et de l’imaginaire des personnages. Ce double usage des langues ne m’étonne plus dans la mesure où j’ai toujours entendu du wolof et du français mais, quand on prend du recul, on se rend compte que cela fait partie des traces très concrètes de la colonisation. De nombreux jeunes aujourd’hui ne questionnent même pas l’usage du français et son origine.
Ces deux langues sont-elles pour vous aussi constitutives d’une identité que ces deux pays, le Sénégal et la France, qui sont les vôtres ?
M.D. : C’est difficile de mesurer précisément à quel point la culture française a dénaturé ou déplacé la culture sénégalaise. Je ne crois pas que la langue soit responsable de ce phénomène, qui est selon moi davantage dû à des fractures plus profondes. Cette rencontre des mondes, qui cohabite en moi-même, est centrale dans le film : l’ailleurs dont il est question est quand même l’Europe. On raconte l’histoire de garçons sénégalais qui partent en Europe et en reviennent en fantôme. Cette dynamique entre Afrique et Europe est permanente dans Atlantique.
"Le fait d’engager mes films en Afrique plutôt qu’en France est par exemple un choix très net : celui de continuer à faire exister ce cinéma."
Dans quelle mesure votre filiation (son père musicien, Wasis Diop, émigré en France pour exercer son art, et son oncle, Djibril Diop Mambéty, grand cinéaste sénégalais à qui elle a consacré le film Mille soleils) est-elle la source de votre œuvre et s’exprime-t-elle dans Atlantique ?
M.D. : De mon histoire naissent forcément des films qui l’incarnent. La question est de savoir ce que l’on fait de cette histoire, si on la rompt, si on la prolonge. Comment s’inventer à partir de cette histoire aussi riche et forte qui me précède ? Les films de mon oncle ayant quand même marqué le cinéma, je me suis donc aussi positionnée par rapport à cette histoire en en faisant une continuité mais dans une démarche de réinvention. Le fait d’engager mes films en Afrique plutôt qu’en France est par exemple un choix très net : celui de continuer à faire exister ce cinéma. Parce qu’il en existe peu là-bas, aussi pour ne pas laisser l’Occident raconter ce qu’il s’y passe. C’est donc une démarche politique à travers laquelle je me réapproprie cette partie de mon histoire que je n’ai peut-être pas suffisamment investie entre mes 10 et mes 20 ans. En tant que métis, j’ai grandi dans un environnement culturel parisien très blanc et j’ai ainsi ressenti le besoin de retrouver ma culture africaine et de participer au rayonnement d’un certain cinéma africain.
Le film est coproduit entre le Sénégal, la Belgique et la France, et a reçu le soutien de la Région Nouvelle-Aquitaine. En quoi cette multitude d’apports a été nécessaire au film ?
M.D. : C’était une évidence que le film soit coproduit au Sénégal [Cinekap, ndlr] puisque le film se passe et est tourné là-bas, en wolof. Les coproductions française [Les Films du Bal, ndlr] et belge [Frakas Productions, ndlr], ainsi que l’aide de la Région Nouvelle-Aquitaine, ont permis de financer le film, mais aussi de le fabriquer puisque par exemple nous avons fait le montage son et le mixage en Belgique.
À quelques jours de la sortie nationale et après avoir reçu le Grand Prix à Cannes, quelle réception attendez-vous du film ?
M.D. : Le Grand Prix à Cannes a été un moment fou, porteur de sentiments de reconnaissance et de compréhension par les pairs. Je l’ai pris comme un immense encouragement à continuer dans cette voie et suis très heureuse que ce prix récompense aussi une jeune femme métisse. J’espère que le film sera aussi bien reçu qu’à Dakar, où il est sorti en salle le 2 août. C’était un événement pour la ville et j’ai trouvé l’accueil du public extraordinaire. Évidemment, je souhaite comme tout cinéaste que mon film soit vu et apprécié mais surtout qu’il emporte et investisse le spectateur dans un récit fort et contemporain.
M.D. : De mon histoire naissent forcément des films qui l’incarnent. La question est de savoir ce que l’on fait de cette histoire, si on la rompt, si on la prolonge. Comment s’inventer à partir de cette histoire aussi riche et forte qui me précède ? Les films de mon oncle ayant quand même marqué le cinéma, je me suis donc aussi positionnée par rapport à cette histoire en en faisant une continuité mais dans une démarche de réinvention. Le fait d’engager mes films en Afrique plutôt qu’en France est par exemple un choix très net : celui de continuer à faire exister ce cinéma. Parce qu’il en existe peu là-bas, aussi pour ne pas laisser l’Occident raconter ce qu’il s’y passe. C’est donc une démarche politique à travers laquelle je me réapproprie cette partie de mon histoire que je n’ai peut-être pas suffisamment investie entre mes 10 et mes 20 ans. En tant que métis, j’ai grandi dans un environnement culturel parisien très blanc et j’ai ainsi ressenti le besoin de retrouver ma culture africaine et de participer au rayonnement d’un certain cinéma africain.
Le film est coproduit entre le Sénégal, la Belgique et la France, et a reçu le soutien de la Région Nouvelle-Aquitaine. En quoi cette multitude d’apports a été nécessaire au film ?
M.D. : C’était une évidence que le film soit coproduit au Sénégal [Cinekap, ndlr] puisque le film se passe et est tourné là-bas, en wolof. Les coproductions française [Les Films du Bal, ndlr] et belge [Frakas Productions, ndlr], ainsi que l’aide de la Région Nouvelle-Aquitaine, ont permis de financer le film, mais aussi de le fabriquer puisque par exemple nous avons fait le montage son et le mixage en Belgique.
À quelques jours de la sortie nationale et après avoir reçu le Grand Prix à Cannes, quelle réception attendez-vous du film ?
M.D. : Le Grand Prix à Cannes a été un moment fou, porteur de sentiments de reconnaissance et de compréhension par les pairs. Je l’ai pris comme un immense encouragement à continuer dans cette voie et suis très heureuse que ce prix récompense aussi une jeune femme métisse. J’espère que le film sera aussi bien reçu qu’à Dakar, où il est sorti en salle le 2 août. C’était un événement pour la ville et j’ai trouvé l’accueil du public extraordinaire. Évidemment, je souhaite comme tout cinéaste que mon film soit vu et apprécié mais surtout qu’il emporte et investisse le spectateur dans un récit fort et contemporain.