"Boutonné en jalousie", fragment d'un parcours d'amoureux


L’auteurice bédéiste Jul Maroh publie Boutonné en jalousie, son huitième album, aux éditions Le Lombard. Un conte moderne, naturellement inclusif, servi par un trait sensible et aiguisé. Une nouvelle exploration du sentiment amoureux à l’âge initiatique de l’adolescence, quinze ans après son best-seller Le bleu est une couleur chaude. Jul Maroh poursuit une œuvre à part et importante.
---
Tout commence par un poème, écrit un siècle plus tôt. Les vers d’Arlequin sont signés Mirelle Havet1, artiste oubliée des années folles dont le lesbianisme assumé est au cœur de l’œuvre et qui laisse une forte impression sur Jul Maroh lorsqu’iel la découvre. Les mots de l’autrice, sa vie, le motif ambigü et multifacette de l’Arlequin, tout cela lui insuffle une trame de départ. Si les amours lesbiens ne sont pas nouveaux, leur évocation en bande dessinée l’est plutôt. C’est pourquoi Le bleu est une couleur chaude avait tant marqué le lectorat, séduit de lire enfin des histoires jamais racontées. L’album a même été adapté au cinéma pour devenir le film La Vie d’Adèle. Mais ici, il ne s’agit pas de filles mais de Khalil et Isaël. Deux garçons aux parcours et milieux bien différents, réunis dans le même lycée. L’un vit son homosexualité au grand jour, l’autre se la cache férocement. Les deux protagonistes tombent amoureux, chamboulant ainsi l’équilibre social dans lequel ils évoluaient jusqu’alors.
En ancrant cette histoire d’amour dans son temps, Jul Maroh peut exprimer, par le biais de la galerie de personnages qui la compose, son engagement pour une société égalitaire et inclusive. Les héros ne sont pas tous blancs ni européens. Les familles ne répondent pas toutes au schéma parental hétéronormé. Des discours déconstruits et bienveillants s’opposent aux préjugés homophobes et sectaires. La haine tient une place minime par rapport à celle que l’auteurice accorde à l’ouverture d’esprit, à la tolérance, à l’amour. Instigateurice du Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme2, Jul Maroh porte ses convictions dans ses fictions comme dans sa vie. La diversité qui traverse Boutonné en jalousie se retrouve aussi dans les choix linguistiques. On peut lire de l’arabe, de l’anglais, du québécois, du français académique et hexagonal, le tout sans jamais un sous-titre ni une note de bas de page. Inclusif, vous dis-je. Tout le monde au même niveau : ça vaut aussi pour les langues. Une démarche rarement empruntée, qui inspire et stimule l’esprit curieux, lequel ira chercher les différentes significations des tournures ou expressions dont il ignore le sens.
Quant au dessin, il se décline sous une palette de couleurs bien définie, oscillant entre des gammes de roses et de verts. Le trait, lui, est incisif. Les visages, anguleux. Les cheveux fournis, travaillés, tout comme les personnages et leurs univers respectifs.
Avec Boutonné en jalousie, Jul Maroh livre un album qui peut changer des vies, aider des jeunes dans leur parcours vers l’acceptation de soi et/ou de l’autre. Il peut aussi aiguiller des parents perdus face à des situations inédites, ou encore, faire écho à des histoires d’amours aux allures plus traditionnelles mais rythmées par des mécanismes similaires. Une BD pour tous, à laisser traîner dans les salles d’attente, les CDI, les médiathèques, les salons… Partout.
---
Boutonné en jalousie, Jul Maroh, éditions Le Lombard, 136 pages, 20,45 euros
1. Écouter l'émission consacrée à Mireille Havet sur le site de Radio France
2. Le Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme, aussi dénommé "bdégalité"