Dans l'habit du loup
Boulibel vit seul et ça lui va bien. Il est bien chez lui, avec les rideaux tirés et il est de bonne compagnie pour lui-même. Mais parfois, il faut sortir de chez soi pour remplir son garde-manger. Il faut aller dans la forêt.
La forêt, Boulibel l’aime beaucoup. Elle sent bon et recèle de bonnes choses à manger. Malheureusement, le loup y rode, voire plusieurs loups… Alors comment faire pour aller se ravitailler ? Un jour, Boulibel a une idée. Il va se coudre un costume de loup. Ainsi, il pourra se promener dans la forêt sans avoir peur. Mais les fils, le tissu et le rembourrage de coton ne résistent pas longtemps aux buissons ni à la nature sauvage…
La couverture attire tout de suite le regard. Déclinée en quatre tons, vert, rouge, blanc et noir, elle semble un brin vénéneuse avec ses champignons, ses vers de terre, ses araignées et ses plantes aquatiques pourvues de grands yeux blanc et noir. Le titre, Dans l’habit du loup et l’image centrale du mouton, qui tient un masque de loup devant lui, annonce le sujet d’emblée : ce mouton va porter l’habit du loup ! En ouvrant l’album, nous voilà entrainés dans une fable, un univers sombre et doux, une réécriture originale de conte classique…
L'histoire d'un rêve
À l’intérieur, les illustrations sont simples mais très belles, toutes peintes à la main, ce qui donne une texture particulière à ce livre, quelque chose de old fashioned qui donne tout de suite envie de s’attarder dans cette histoire. Le graphisme est original et les couleurs sortent toutes d’un cadre noir, comme si le héros, le mouton Boulibel, évoluait dans un rêve… et qui sait, c’en est peut-être un ? Quoi qu’il en soit, on sent tout de suite qu’il y a une artiste peintre derrière. Cette artiste s’appelle Sid Sharp. Jeune illustratrice et auteure canadienne, elle s’intéresse depuis longtemps au folklore, aux histoires horrifiques et mystérieuses. A propos de cet album ou comme l’auteure le désigne elle-même, de ce roman graphique, Sid Sharp raconte qu’il y a quelques années, elle a fait un rêve. Dans ce rêve, elle était un loup qui trainait avec ses amis loups. A la fin de la journée, elle rentrait chez elle et dézippait son costume de loup. Et là, stupeur, elle découvrait que dessous, elle était en réalité un mouton ! Marquée par ce rêve, l’auteure et illustratrice se rappelle l’avoir trouvé terrifiant et s’être dit tout de suite après : quoi de mieux pour un livre pour enfant ?
Sans dévoiler toute l’histoire, l’idée est de questionner l’enfant, et peut-être aussi le grand enfant, sur les apparences et de lui faire comprendre que les autres aussi peuvent jouer à ce jeu-là. Ceux qui ont l’air d’avoir confiance en eux, sont-ils vraiment si sûrs d’eux ? Ceux qui ont l’air bien dans leur peau le sont-ils vraiment ? Et ceux qui roulent des mécaniques, se sentent-ils si impressionnants ? Derrière nos carapaces et nos apparences, et si nous étions tous des moutons déguisés en loups ? Et si la lumière et la joie revenaient lorsqu’on déchirait l’armure et qu’on montrait nos vulnérabilités ? Est-ce que ce ne serait pas le début du chemin vers l’amitié ?
Une traduction réussie
Le récit nous tient. On veut tourner les pages, en partie aussi grâce à la traduction ciselée de Fanny Soubiran, auteure-traductrice bordelaise qui a longtemps travaillé sur une anthologie de Snoopy et les Peanuts de Schulz pour les éditions Dargaud et traduit un grand nombre de bandes dessinées et romans graphiques pour différents éditeurs. Choisie par les éditions Gallimard BD pour traduire Dans l’habit du loup, c’est pour elle un travail inhabituel et même une sorte de récréation… D’abord parce que cet album lui a plu et qu’elle l’a trouvé très beau. Ensuite, parce que c’était différent de travailler sur un texte d’album jeunesse. Comme à chaque fois qu’elle aborde un texte en anglais, il lui a fallu un peu de temps pour trouver le bon ton, le rythme, voire la rythmique de la phrase. Fanny Soubiran a aimé travailler sur des phrases courtes, réfléchir à chaque mot, à leur poésie, à leur dynamique. Elle s’est amusée avec les noms des personnages, même s’il n’était pas toujours facile de transcrire leur portée de l’anglais au français. Elle s’est souvent laissée embarquer par sa propre inspiration et par ce que ces noms lui évoquaient. De nombreuses fois, elle a lu le texte à voix haute pour entendre s’il s’adaptait bien à une lecture. Car elle n’oublie pas que l’album est le plus souvent un livre lu à voix haute à l’enfant. Ensuite, comme toujours, il y a eu de nombreux échanges avec son éditeur et un retravail du texte et de sa taille une fois placé dans l’image… Le résultat est fluide, enlevé, mâtiné de l’oralité du conte.
Dans l’habit du loup s’adresse à la tranche des 6-11 ans, mais les adultes prendront aussi plaisir à le lire. Il a été publié sous son titre original The Wolf Suit en 2022 par Annick Presse et traduit de l’anglais par Fanny Soubiran, traductrice depuis une vingtaine d’années afin d’être proposé à la lecture par les éditions Gallimard BD en 2023. The New York Times a classé cet album dans ses meilleurs livres de l’année 2022.
Dans l’habit du loup, de Six Sharp, traduit par Fanny Soubiran, publié aux éditions Gallimard BD.
(Photo : Alban Gilbert)