Dans les coulisses du grand chelem néo-aquitain au Grand Prix "Livres Hebdo" des librairies 2020
Grand Prix toutes catégories confondues, Prix de la valorisation du fonds et Prix du libraire de l'année : les librairies de Nouvelle-Aquitaine ont raflé trois récompenses lors de la remise des prix Livres Hebdo 2020. Simple hasard ou juste reconnaissance ?
Il s'en est fallu de peu pour que le Grand Prix Livres Hebdo des librairies 2020, créé en 2019 par le magazine éponyme, n'ait pas lieu. "Les délibérations de cette seconde édition auraient dû se dérouler en juin, mais avec la crise sanitaire, un tel calendrier était impossible à tenir. Nous avons même envisagé de repousser l'événement à 2021... Et finalement nous avons réussi à maintenir l'édition 2020 en la décalant à septembre", explique Anne-Laure Walter, la rédactrice en chef adjointe de Livres Hebdo. Le 3 septembre, c'est donc dans un contexte bouleversé par l'épidémie de Covid-19 que les huit jurés1 se sont retrouvés, en l'absence de leur président de jury, Bernard Pivot, excusé pour l'occasion. Objectif : choisir parmi les 127 dossiers de candidatures venus de 55 librairies issues de 12 pays, les neuf lauréats de la session 2020.
"Nous avons établi huit prix : le Grand Prix, le Prix de l'animation, le Prix de la valorisation du fonds, le Prix de l'aménagement intérieur, le Prix de l'innovation, le Prix de la création, le Prix de la librairie hors de France et cette année le Prix du confinement. Ces huit prix définissent selon nous les huit critères selon lesquels il faut juger le bon fonctionnement d'une librairie. Le Grand Prix récompensant bien sûr une librairie qui répond favorablement à l'ensemble de ces critères. Nous avons également décidé cette année d'élire pour la première fois le Libraire de l'année", détaille Anne-Laure Walter. Au terme de discussions nourries et conviviales, les membres du jury 2020 ont établi leur palmarès. Le 22 septembre, il était rendu public : avec trois prix sur neuf, la Nouvelle-Aquitaine se démarque.
Grand Prix : La Colline aux Livres (Bergerac, Dordogne, Nouvelle-Aquitaine)
Prix de l'animation : Expression (Châteauneuf-Grasse, Provence-Alpes-Côte d'Azur)
Prix de la valorisation du fonds : Lilosimages (Angoulême, Charente, Nouvelle-Aquitaine)
Prix de l'aménagement intérieur : Les Pêcheurs d'étoiles (Fontenay-aux-Roses, Île-de-France)
Prix de l'innovation : Chez Josette (Charleville-Mézières, Grand Est)
Prix de la création : Le Chameau sauvage (Toulouse, Occitanie)
Prix Librairie hors de France : Librairie Notre-Dame (Cotonou, Bénin)
Prix du confinement : Le Renard doré (Paris, Île-de-France)
Le Libraire de l'année : Guillaume Bourain, fondateur des Rebelles ordinaires (La Rochelle, Charente-Maritime, Nouvelle-Aquitaine)
"Nous nous sommes rendus compte après coup que oui, la région Nouvelle-Aquitaine était très représentée", note Françoise Benhamou. "Ce n'est pas un hasard", tranche Anthony Clément. Pour le libraire landais, "il existe une vraie dynamique dans la région, il suffit de voir combien le modèle porté par l'association des librairies indépendantes de Nouvelle Aquitaine a été influent et repris ensuite ailleurs". Il estime aussi que la configuration rurale d'une grande partie des territoires néo-aquitains impose un rapport au métier différent : "Nous ne sommes pas ici sur des modèles hyper classiques, nous avons vocation à aller vers le public et nous devons impérativement réinterroger la notion même de librairie. Nous avons en fait une mission d'animation et d'organisation du territoire."
"J'ai constaté que c'est en Nouvelle-Aquitaine que les libraires questionnent le plus le sens de leur métier et la fonction que doit avoir une librairie dans la société."
Une analyse que partage Anne-Laure Walter : "C'est vrai, ces trois prix pour la Nouvelle-Aquitaine, ce n'est pas une coïncidence. D'abord parce que c'est une région très bien dotée en librairie. Parmi les librairies candidates, la Nouvelle-Aquitaine était d'ailleurs sur-représentée. Cette forte présence permet, je pense, une grande diversité et un souci de renouveau. J'ai constaté que c'est en Nouvelle-Aquitaine que les libraires questionnent le plus le sens de leur métier et la fonction que doit avoir une librairie dans la société." Quant aux politiques publiques menées en faveur de la filière livres, elles participent certainement également à cette bibliodiversité : "Il existe, c'est vrai, une politique très active en Nouvelle-Aquitaine, avec notamment le Contrat de filière Livre", observe Françoise Benhamou, qui précise ne pas disposer pour autant d'éléments "évaluant une éventuelle corrélation entre cette politique et les résultats du prix Livres Hebdo".
"La volonté de La Colline d'appréhender le métier dans son économie quotidienne a fini par susciter l'unanimité des jurés."
En décernant le Grand Prix à La Colline aux Livres, à Bergerac (24), le jury a tenu à récompenser le travail et l'énergie fournis par ses propriétaires, Baptiste Gros et Caroline Dieny, pour repenser le lieu, sa fonction et ses enjeux. "Une bonne librairie doit fonctionner comme un écosystème, en étant à la fois un espace de défense du livre et de la lecture, un commerce et l'endroit où se nouent des interactions et des relations avec le reste du territoire, comme la sphère associative par exemple", estime Françoise Benhamou. C'est justement cette approche globale défendue par La Colline aux livres qui a séduit le jury. Nouveau décor et nouvel éclairage, défense de la microédition, réinvestissement des rayons BD et jeunesse, rythme soutenu des animations et ouverture d'un deuxième point de vente à Sainte-Foy-la-Grande (33) tenu par des bénévoles2, le dossier de la Colline cochait toutes les cases. "La volonté de La Colline d'appréhender le métier dans son économie quotidienne, en travaillant des fondamentaux tels l'assortiment, la valorisation du fonds, le sens de l'accueil et la vente, tout en intégrant les mutations qui traversent la profession (le rôle d'acteur et de médiateur culturel par exemple), sa capacité à rassembler tout ce qui fait une librairie aujourd'hui dans son héritage et son devenir, et à constituer un modèle de développement pour son territoire a fini par susciter l'unanimité des jurés", résume Cécile Charonnat.
"On reproche beaucoup à la profession d'obéir au principe selon lequel la nouveauté chasse la nouveauté. À Lilosimages, c'est tout l'inverse."
Pour le Prix de la valorisation du fonds, le jury a très vite jeté son dévolu sur la petite librairie angoumoisine (16) Lilosimages. "Les deux cogérantes, Anaïs Combeau et Manon Picot, nous ont impressionnés par leur rigueur et leur originalité dans ce domaine", indique Anne-Laure Walter. Dans une boutique de 70m2, où un réassort exhaustif est impossible, les deux libraires ont en effet choisi de travailler leur fonds en fonction des saisons, de thèmes ou d'opérations, le tout fixé très en amont et organisé selon un calendrier très précis. Ainsi, chaque trimestre, une bibliothèque entière accueille la totalité du catalogue d'un éditeur ou d'une collection. Et chaque mois, un auteur et un sujet sont mis en avant sur les tables. "On reproche beaucoup à la profession d'obéir au principe selon lequel la nouveauté chasse la nouveauté. À Lilosimages, c'est tout l'inverse, tous les espaces du magasin sont étudiés pour favoriser les découvertes et redynamiser des livres une fois leur actualité passée", commente Anne-Laure Walter.
"Guillaume Bourain mène une réflexion au-delà de la vente pure de livres ou de la rencontre dédicace de base."
Enfin, et c'est une nouveauté de l'édition 2020 : la désignation pour la première fois du Libraire de l'année, hors jury. "Notre journaliste spécialisée sur le secteur de la librairie a choisi avec l'ensemble de la rédaction cinq libraires qui se sont démarqués durant l'année par leur dynamisme, leur sens de l'innovation, leur implication dans la chaîne du livre. Il fallait qu'ils aient fait preuve de professionnalisme et d'originalité dans toutes les dimensions du métier, qu'ils soient bien en lien avec le territoire et qu'ils aient été actifs pendant le confinement. Il revenait ensuite à nos lecteurs d'en élire un parmi ces 5 candidats", détaille Anne-Laure Walter. Et là encore, c'est à la majorité des voix qu'un libraire de la région l'a emporté : Guillaume Bourain, de la librairie Les Rebelles Ordinaires, à La Rochelle (17). C'est notamment sa réflexion permanente sur l'accueil des clients comme des auteurs, qui a été plébiscitée : "Guillaume Bourain mène une réflexion au-delà de la vente pure de livres ou de la rencontre dédicace de base : il montre en cela que son rapport à la clientèle n'est pas seulement un rapport marchand. Cette manière de défendre la librairie comme un lieu d'empowerment méritait d'être récompensée", conclut Anne-Laure Walter.
1Le jury était composé de Cécile Charonnat, journaliste à Livres Hebdo ; Françoise Benhamou, économiste et professeur des universités ; Philippe Delerm, auteur ; Marie-Louise Battault, directrice de la BU du Learming Center Burgundy School of Business de Dijon ; Véronique Cardi, présidente de JC Lattès ; Anthony Clément, directeur de la librairie Caractères à Mont-de-Marsan, lauréate du Grand Prix 2019 ; Michel Choueiri, directeur général de La culture & Co Bookstore à Dubaï et Anne-Laure Walter, rédactrice en chef adjointe de Livres Hebdo.
2En 2017, la fermeture de la seule librairie-papeterie-presse de Sainte-Foy-la-Grande (33) ne passe pas. Réunis dans l'association citoyenne Cœur de Bastide, des habitants de ce village situé à 25 km de Bergerac se mobilisent et lancent un appel aux librairies des "grandes villes" voisines. La Colline aux Livres répond favorablement et en 2018 La P’tite Librairie, un tiers-lieu entièrement tenu par des bénévoles voit le jour dans le cœur de cette petite bastide girondine.