"De la main d’une femme" cherche la vérité sur Charlotte Corday
Ce roman historique qui mêle autobiographie avec les biographies de Corday et de Marat sera une bonne entrée en matière pour qui s’intéresse à la Révolution française. La figure énigmatique de Charlotte Corday, qui a fait l’objet de nombreux ouvrages1 n’en sera pas élucidée pour autant. Justicière ? Passionaria ? Un destin unique pour une femme de son milieu et de son siècle.
Astrid de Laâge de Meux, née Astrid de Galbert, connaît bien l’aristocratie française qui lui a donné naissance et dans laquelle elle s’est mariée. Si elle n’est pas obsédée comme un de ses oncles par la généalogie (il est "shooté à la famille") – car ce sont les racines qui donnent aux grandes familles leurs quartiers de noblesse, elle n’est pas exempte de fascination pour les personnages historiques qui se promènent dans son arbre.
Par chance, l’une de ces figures qui ont marqué l’histoire de France est une femme romanesque qu’elle évoquait souvent parmi les siens, une cousine au cinquième degré : Charlotte de Corday d’Armont.
Astrid de Laâge entreprend donc des recherches dans la tour du château où dorment les archives familiales, puis se lance dans une quête biographique qui la mènera dans différents lieux où vécurent les principaux protagonistes. Elle se situe elle-même dans ce roman historique comme une sorte de pivot entre l’histoire de sa cousine Charlotte (devenue Corday par la Révolution) et l’Histoire de France, qui, si la jeune bretonne de 24 ans n’avait pas assassiné d’un seul coup de couteau le tribun Marat le 13 juillet 1793, aurait sans doute été différente.
Charlotte Corday habitait chez sa tante, une Bretteville (on ne dit pas la particule). L’autrice, à la faveur de sa plongée dans la saga de sa propre famille, nous dévoile in-extenso son lien de parenté avec Charlotte, lien qui remonte au XVIème siècle.
D’Astrid, nous n’en saurons pas grand-chose d’autre que ce lointain cousinage, quelques descriptions du château familial, une scène dans la baignoire où elle demande à sa grand-mère si son sang est vraiment bleu, et surtout son affection pour quelques tantes qu’elle vouvoie, aux prénoms désuets : Euphémie, Olimpia, Amatxi, et un oncle Horace.
Nous suivons en de courts chapitres, alternés comme des pièces d’un puzzle dont le dernier morceau serait la guillotine, l’inéluctable déroulé des événements qui ont conduit Charlotte à tuer Jean-Paul Mara, dit Marat. L’autrice intercale des faits historiques, des citations, des descriptions de lieux, et des interprétations personnelles et romanesques de sentiments, sensations et agissements des deux personnages.
Charlotte nait "dans une famille noble et sans fortune". Il semblerait que cela soit un des moteurs de son crime : le médecin Marat détestait l’aristocratie, le père de Charlotte s’en sentait exclu. Tuer un homme politique qui haïssait les aristocrates serait redonner à son père un rang, une identité que l’absence d’argent lui avait niée. Au prix de sa propre vie. Elle n’a pas cherché à fuir. Sa mort, en effet, fit rejaillir la gloire sur sa famille des siècles et des siècles plus tard : Charlotte est morte sur l’échafaud comme une vraie aristocrate riche, comme Marie-Antoinette. Pour venger les siens du sort que Marat leur réservait. Par conviction politique, par solidarité avec sa caste. Ses écrits, abondamment cités, l’attestent : c’est un crime de sang-froid dont les motifs sont personnels. À Caen, où elle a grandi, se trouvaient beaucoup d’ennemis de Marat qui s’exprimaient haut et clair. Charlotte les a entendus, et s’est instituée leur bras armé. C’est ainsi qu’elle déclarera à son procès : "J’ai tué un homme pour en sauver cent mille".
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1. Charlotte Corday a fait l’objet de nombreux ouvrages et d'expositions, comme celles de 1989 en Normandie et à Versailles, donnant lieu à un catalogue superbe et exhaustif réalisé par les Musées départementaux de Seine-Maritime et abondamment illustré.