Déconfiner les bibliothèques : quel défi ?
ALCA accompagnant les interrogations et réalités des professionnels, particulièrement pendant cette période difficile pour le monde du livre, l'agence propose sur Prologue trois vidéos de partages d'interrogations et d'analyses entre responsables de bibliothèques en Nouvelle-Aquitaine.
Le deuxième échange a eu lieu le 29 mai 2020 et a questionné le défi pour les bibliothèques de déconfiner : les phases de déconfinement préconisées, les attentes des tutelles et les scénarios à bâtir pour après.
Le groupe de responsables de structures est constitué à partir du groupe de travail Bibliothèques : Corinne Siffert (Anglet), Alain Duperrier (BD biblio.gironde), Marie Felsmann (BM Arcachon), Julien Barlier (BM Limoges), Sophie Mary (BM Blasimon) et Corinne Sonnier (BD Médialandes). Les échanges sont assurés en visioconférence, selon des thématiques prédéfinies : "Que s’est-il passé pour les bibliothèques pendant le confinement ?", "Déconfiner les bibliothèques : quel défi ?" et "L'analyse de la reprise".
Alain Duperrier, biblio.gironde, (33) Corinne Siffert, bibliothèque d’Anglet, (64) Sophie Mary, bibliothèque de Blasimon, (33) Julien Barlier, Bfm Limoges (87).
Le 29 mai 2020.
Synthèse des échanges.
Pour rappel, l’Association des bibliothécaires de France, l’Association des bibliothécaires départementaux, l’Association des directrices et directeurs des bibliothèques municipales et groupements intercommunaux des villes de France, Bibliopat et l’Association nationale des conseillers livre et lecture ont diffusé — en concertation avec le ministère de la Culture — leurs premières recommandations pour un déconfinement progressif, venant ainsi à l’encontre de l’annonce du ministre de l’Intérieur qui annonçait la reprise de la vie sociale dès le 11 mai dans "les lieux culturels de proximité dont la fréquentation n’entraine pas de mouvement important de population."
Les organisations proposaient un redéploiement progressif de leurs services dans un calendrier de déconfinement par phases, avec un retour à la normale échelonné.
Le 21 avril, une réunion entre des représentants de ces mêmes associations et des conseillers du ministère de la Culture avait mis en avant tous les éléments qui s'opposaient à une réouverture totale prématurée.
Le 28 avril, le ministre de la Culture annonçait sur Tweeter : A partir du 11 mai, les médiathèques, les bibliothèques et les petits musées pourront rouvrir leurs portes dans le strict respect des règles sanitaires (https://twitter.com/franckriester/status/1255138126390951938)
Le syndicat Sud a indiqué que la réouverture des bibliothèques était irréaliste et irresponsable. https://www.actualitte.com/article/monde-edition/la-reouverture-des-bibliotheques-est-totalement-irrealiste-et-irresponsable/100552
Le 7 mai, le ministère de la Culture proposait un document d’Aide pour la reprise d’activité et la réouverture au public des bibliothèques territoriales, qui reprenait les préconisations des associations professionnelles. (file:///C:/Users/FLO/Downloads/Recommandations-officielles-07-11-20.pdf)
Tous ces documents sont en ligne sur le site d'ALCA.
On constate que la grande majorité des bibliothèques de Nouvelle-Aquitaine s’organisent grâce à ces préconisations, avec quelques exceptions notables.
Ordre du jour : L’amorce du déconfinement :
- Les phases de déconfinement ; l’organisation des circuits du document
- Les attentes des tutelles
- Les scénarios pour après : que garder ?
Julien Barlier, Limoges : mise en place en première phase d’un service de retrait des documents sur demande. Puis un service de pochette thématiques de 3 à 5 documents sur une trentaine de genres.
Les 5 premiers jours, 7000 documents ont été prêtés, 4/10 étaient des pochettes, 6/10 des réservations préalables. Ces résas occupent beaucoup. Le terme de commande est entré dans la profession pour désigner la relation à l’usager. "Être préparateur de commande" est très chronophage, l’habitude est prise, et on est sûr de servir le public avec satisfaction. Le public demande si cela peut être reconduit. Cela va contre le libre accès que l’on défend depuis longtemps mais cela suscite une réflexion intéressante sur l’évolution de la société et de ses pratiques culturelles.
Le retour des documents : 86 000 documents étaient sortis. Les boites de retour étant fermées, un système de retour est en place depuis le 18 mai, sur les horaires habituels : caisses gerbables en plastique sur le trottoir mises en quarantaine dans une pièce 10 jours, on ne touche pas les documents. 20 000 documents sont rentrés en une semaine. Passé le sixième jour on pouvait vider les caisses.
Legrand, l’équipementier électrique basé à Limoges, a prêté 400 caisses supplémentaires. Une entreprise à Limoges a développé un four lumineux par ultra-violets pour désinfecter le matériel médical, et grâce à un mécène, ce four est à la Bfm aussi longtemps que nécessaire pour fluidifier le travail. Il permet de glisser les livres en flux continu. Il pourrait servir en phase deux à désinfecter les claviers d’ordinateur pour reprendre le libre accès numérique. En attendant, nous réfléchissons à fournir un clavier propre à chaque utilisateur sur demande.
Une bonne anticipation avait permis de commencer un travail avant les préconisations nationales et de proposer un plan aux élus, qui a été validé et conforté par les préconisations. Certains plans de reprise ont été invalidés pour des établissements culturels recevant beaucoup de public. La réflexion s’est faite du point de vue du service public. Le capital confiance se joue à chaque fois avec les tutelles.
Il est apparu que l’usager attend bien davantage d’une bibliothèque que l’emprunt. Le projet d’établissement prévoyait déjà d’accompagner la citoyenneté numérique, et les équipes vont continuer. Comment répondre aux mails de réservation, comment continuer les sélections thématiques ? Les espaces vont rouvrir mi-juin. Le changement de version SIGB permettra de proposer des réservations des disponibles.
Certaines facilités peuvent être apportées dans un contexte particulier, mais pour les inscrire dans la normalité revenue, elles devront traduire une ambition en termes de lecture publique. Le drive n’en fait pas partie.
Corinne Siffert, Anglet : les préconisations ont été un outil majeur, mais arrivé très tardivement. Les équipes sont pratiquement au complet sur le site pour la reprise d’activités. Un service de collecte a été mis en place avec réservation possible des disponibles : 4000 prêts pour la première semaine de réouverture pour environ 600 usagers. Les "commandes" sont possibles par téléphone pour ceux qui ne sont pas équipés ou familier de l’informatique : deux titres précis et des sélections thématiques après un entretien pour le recueil des goûts de l’usager.
On observe les mutations du métier à la fois dans un bel élan de service rendu à la population et dans le regret d’avoir la sensation de se transformer en épicier : aller chercher des choses en rayon et les mettre dans des sacs… Mais on ne parle pas de "commande", plutôt de "réservations".
Concernant les retours, les ouvrages sont confinés 15 jours dans une salle. Entre le 19 et le 26 mai, il y a eu environ 7000 retours. Très peu de manipulations, avec blouse et masque. Les blouses restent dans l’espace. Les documents ne sont pas passés en retour, ils restent sur les cartes. Retours et rangement auront lieu à partir du mardi 2 juin.
Pas de demande particulière de la part des élus ni de remise en question, les consignes étaient d’appliquer la plus grande prudence et de ne pas se précipiter, la difficulté étant surtout la réouverture des écoles. Ce qui était très confortable pour mettre en place les mesures adaptées.
Ce qui restera : la réservation des disponibles, désirée depuis longtemps.
Pendant qu’on était derrière nos écrans à optimiser nos services en ligne, on se posait la question de ce que veulent les usagers. Nous allons donc les interroger pour notre prochaine saison culturelle : nous voudrions partir sur de la co-création de la prochaine saison avec les usagers.
Alain Duperrier, biblio.gironde :
L’élaboration des recommandations a été le fruit d’un travail inter associatif très en amont, un groupe "task force" très mobilisé au sein de l’ABD (Association des Bibliothécaires Départementaux) sur tout le mois d’avril. Les échanges avaient lieu tous les deux jours en très forte concertation avec les collègues du ministère, de la BnF et de l’Institut Pasteur. Pour éviter la surenchère d’interprétation, le cadre national s’est imposé.
Biblio.gironde est toujours en reprise progressive d’activité, et accompagne le réseau partenaire dans sa reprise. Les tâches ont été répertoriées selon leur priorités. Les règles de déconfinement sont à l’appréciation du personnel et très précautionneuses. On privilégie l’idée de la quarantaine à celle de la désinfection -ce qui n’empêche pas d’en faire – moins on manipule mieux c’est. Le virus reste le plus longtemps sur les surfaces plastiques en laboratoire, entre 3 et 6 jours. La mesure prise au niveau national en termes de recommandation a été large : 10 jours, pour les commandes en librairies ou les livraisons des prestataires.
Concernant le réseau partenaire, les annonces du premier ministre du 28 mai vont faire bouger les lignes. Mais nous restons sous un régime d’état d’urgence sanitaire.
En Gironde, les bibliothèques ont été très précautionneuses ; les situations sont assez différentes selon les départements. Depuis le 11 mai, 48% n’avaient pas rouvert, 39% faisaient des Drive sans entrée en bibliothèques, 8% en ouverture partielle et 5% sur des ouvertures totales avec les règles sanitaires. Tous les systèmes de drive sont organisés selon les bâtiments.
Les besoins sociétaux d’avant n’ont pas disparu : la fracture numérique, le vivre ensemble… il va falloir retrouver la dynamique mise en place avant. Ce qui a été a mis en place pendant le confinement se rapproche surtout de la prestation de service, dans un rapport un peu plus marchand, presque en concurrence avec des plateformes, parfois. Une surface qui est grande et qui n’est pas une grande surface, c’est ça que viennent chercher les gens, un lieu de vie unique en son sens. Ils y entrent déshabillés de leur apparence et de leur appartenance sociale pour vivre autre chose, une pause, un havre. Ce monde d’avant-là, qui n’est pas un idéal, c’est bien d’y revenir. Soyons vigilant que le monde d’après ne soit pas pollué par ce triste épisode, restons pertinents.
Sophie Mary, Blasimon (950 habitants, 150 m²) :
Merci mille fois merci à la profession, sans laquelle il aurait été très compliqué d’expliquer les spécificités d’une bibliothèque.
Quand le ministère a diffusé ses recommandations, elles étaient déjà actées grâce à celles des associations professionnelles. La bibliothèque départementale les a diffusées le soir même de l’annonce du premier ministre, ce qui a permis d’en parler dès le lendemain avec élus.
Ici on respecte les recommandations au galop et à notre propre rythme (nous sommes en phase 3) mais avec une jauge qui le permet. On avait déjà organisé du portage avec l’aide d’élus. La première semaine de déconfinement, on a ajouté le drive, la deuxième semaine, on a accueilli deux lecteurs à la fois pour des retraits, maintenant ils peuvent entrer. Ils déposent leurs retours dans une caisse, et s’ils manipulent des livres ils les déposent dans une autre caisse. La jauge est de 10 lecteurs, soit 2 par espace pour respecter les espaces. Les claviers et les écrans sont recouverts de film à palette, et l’usager sort lui-même le plastique après utilisation. On a sorti tous les sièges impossibles à désinfecter, et interdit l’accès aux périodiques et au babyfoot. Les livres qu’on passe en retour sont mis automatiquement en quarantaine pour 10 jours, et repassent automatiquement disponibles.
Les lecteurs s’autorégulent et respectent les protocoles, les élus sont rassurés et c’est gérable pour la bibliothécaire. De nouveaux publics jeunes sont venus.
Ces recommandations ont donné de la légitimité dans le dialogue avec les élus, surtout quand elles sont arrivées quasi à l’identique une semaine plus tard avec en tête du ministère de la Culture.
La réservation des disponibles c’est une sorte de drive à l’intérieur. Le CCAS, suite au confinement, va être redynamisé sur le portage aux publics éloignés.