Denis Driffort, un passeur d’art contemporain en Lot-et-Garonne
L’association Pollen fête cette année ses trente ans d’existence. Une longévité remarquable pour cette structure qui accueille des artistes en résidence à Monflanquin, petit village au cœur du Lot-et-Garonne devenu, par l’entremise de ce lieu singulier, un terrain d’échange, de partage et d’expérimentation autour de l’art contemporain. Denis Driffort dirige la structure depuis plus de vingt ans aux côtés de Sabrina Prez, responsable de la médiation. Portrait d’un homme engagé qui mène sa barque avec conviction et dévouement.
Denis Driffort a pris les rênes de Pollen en 1999, après un parcours éclectique qui l’a mené de l’ébénisterie aux Beaux-Arts, en passant par une formation de technicien en agencement-mobilier-décoration, des expériences dans le graphisme et la communication et une première aventure associative avec la création d’une galerie d’art (qui a vu émerger des artistes comme Xavier Veilhan ou Pierre Huyghe). Il passe ensuite dix ans au Frac Centre à épauler Marie-Ange Brayer dans le développement d’une collection orientée art et architecture et la mise en place des premières éditions d’ArchiLab. Mais après quelques années, l’homme de terrain, qui s’était frotté dans sa jeunesse à l’artisanat et au contact direct et "organique" avec les artistes et les œuvres, a voulu revenir à ses premières amours. Changement de vie, de cadre, d’échelle… Il prend le risque et vient s’installer en famille à Monflanquin, petite commune de 2 500 habitants située entre Bergerac et Agen, en pleine zone rurale, pour prendre la direction artistique et administrative de Pollen. À son arrivée, l’association, créée en 1991, à l’époque où s’engageait le vaste chantier de la décentralisation, vivait une crise interne. Il a alors fallu reposer les bases de son organisation, repenser la philosophie du lieu pour mieux répondre à une double demande : celle des artistes d’un côté, et celle du territoire de l’autre. Depuis le commencement, la structure bénéficie d’un "soutien sans faille de la mairie, sans ingérence, avec une véritable implication", comme le souligne avec insistance Denis Driffort ; d’autres institutions (la Drac, la Région, le Département) la soutiennent également. S’ils ne sont pas interventionnistes, ces partenaires expriment néanmoins de légitimes attentes qui engagent la structure à trouver des points d’équilibre entre une ambition de soutien à la création (tant au niveau local que national) et celle de s’ancrer dans un territoire en entraînant l’adhésion de la population.
Pour ce faire, Denis Driffort et son équipe déploient les principes d’une philosophie qu’ils ont construite à force de questionnements, de réflexion, d’expériences. Elle peut se décliner en quelques mots-clés qui, mis ensemble, forment les bases d’une démarche d’une extrême cohérence.
"Si on fait bien notre travail, on ne doit pas nous voir. Alors, le contact direct avec les œuvres et les artistes peut s’opérer."
Les premiers mots qui émanent du discours de Denis Driffort sont respect et humilité. Il faut savoir s’effacer, comme il l’explique : "C’est une position modeste que la nôtre, modeste dans le sens où l’on essaie de faire un travail qui nous est réclamé tant par les territoires que par les artistes. Cela veut dire essayer de préparer un terrain qui favorise le développement du travail des artistes. Et du côté du territoire, c’est aussi jouer le rôle de passeurs : on est là pour être des interfaces. Si on fait bien notre travail, on ne doit pas nous voir. Alors, le contact direct avec les œuvres et les artistes peut s’opérer."
Le respect est aussi celui qui existe entre toutes les personnes que rassemble ce lieu culturel. Il permet l’échange, le partage, chacun prenant part à l’aventure depuis la place qui est la sienne. Les moments de rencontre entre la population et les artistes sont ainsi pensés dans un souci de réciprocité et de convivialité. Il s’agit de "démystifier la relation à l’œuvre, à l’art", en faisant fi notamment de tous les codes de langage habituellement associés à l’art contemporain, en décloisonnant et en brassant les publics. Denis et Sabrina ont par exemple mis en place des "Rencontres gourmandes", moments de partage entre les artistes résidents, la population et des producteurs locaux invités pour l’occasion à venir présenter leur travail et leurs produits. Cette attention portée à la fois à l’artiste – qui ouvre pour l’occasion son atelier et explique sans intermédiaire son travail – et aux personnes que l’on accueille ainsi que ce lien direct qui s’installe sont gages de réussite : "Les gens ne se sentent ni humiliés ni agressés par un travail qu’ils peuvent éventuellement ne pas comprendre et ils se sentent libres d’exprimer leurs opinions. C’est un lieu dont ils comprennent la fonction."
Au fil des années et des rencontres, Pollen est ainsi devenue un véritable acteur du village. Avec près de 250 artistes accueillis depuis sa création, cinq à six expositions organisées par an à Monflanquin et une quinzaine sur le département, la structure est suivie par une centaine d’adhérents, dont beaucoup de jeunes qui l’ont connue depuis l’enfance et ne se posent plus, depuis longtemps, la question de l’utilité de ce lieu. Or, l’objectif premier – et la fierté, sans doute – de l’équipe de Pollen est bien d’avoir obtenu cette légitimité-là. Ce climat de confiance qui s’est instauré à l’égard de l’association et de son équipe – Sabrina Prez a été rebaptisée Mme Pollen par les jeunes du village – est bien sûr le fruit de leur engagement quotidien : "Je pense que le succès et la durabilité de Pollen ne sont pas étrangers à notre ancrage : j’y vis depuis vingt ans et Sabrina depuis quinze ans. Cela nous donne une connaissance organique du territoire. La diffusion qui s’opère à Monflanquin n’est pas pour nous une obligation. On a envie de le faire, on le vit, on le partage." Sabrina Prez, de son côté, parle de la nécessité d’acquérir une connaissance cartographique du territoire, dans tous les domaines, de manière à offrir la possibilité, pour tous ceux qui le souhaitent, de participer aux actions de médiation, de jouer un rôle d’"ambassadeur", comme elle le qualifie.
L’association s’est aussi donné pour mission d’essaimer sur l’ensemble du département et au-delà, poursuivant ainsi son rôle de soutien à la création. Elle sollicite des artistes non-résidents pour organiser des expositions itinérantes et des rencontres dans des lieux culturels du territoire. Il s’agit aussi de répondre au mieux à la demande de ces acteurs locaux, heureux de pouvoir collaborer avec une structure de proximité qui connaît et tient compte de leurs contraintes, à la fois logistiques et budgétaires. Ainsi des partenariats se créent et se multiplient, comme avec la compagnie Ouïe-Dire de Marc Pichelin, autour de l’auteur de BD Troubs1, ou encore avec le réseau des médiathèques du Lot-et-Garonne dans lesquelles circule le dispositif itinérant "Le Troisième yeux" de Jimmy Richer2. Autant d’actions qui se déploient dans le cadre de programmes prédéfinis tels que "Lire la ville3".
"Sortir de chez soi n’est jamais confortable. Mais cela permet de nourrir le travail en rencontrant un territoire, une population, et pour que cette rencontre se fasse, il faut un accompagnement, à différents niveaux."
Concernant les liens qu’entretient la structure avec les artistes qu’elle accueille en résidence, là encore deux maîtres-mots se dégagent des propos de son directeur : accompagnement et expérimentation : "Je pense que ce que qui motive un artiste à quitter son atelier, ce n’est ni l’argent, ni le confort matériel, ni l’exotisme, c’est avant tout l’accompagnement. Sortir de chez soi n’est jamais confortable. Mais cela permet de nourrir le travail en rencontrant un territoire, une population, et pour que cette rencontre se fasse, il faut un accompagnement, à différents niveaux. Il est ainsi apparu que le programme de résidence devait être tourné entièrement vers l’idée d’expérimentation." En partant de cette intention, tout devient terrain d’expérience : les outils de communication – avec la possibilité offerte aux artistes de réaliser une édition à partir de leur travail en les impliquant dans sa réalisation –, ou encore les rencontres avec le public et les scolaires – préparées en amont avec l’artiste. Pour Denis Driffort, "on est au cœur, à ce moment-là, de ce que doit être une résidence : ce n’est pas un lieu de production, c’est un lieu de travail".
Pour que tout se passe bien et que l’alchimie fonctionne, la sélection des artistes est essentielle. Il s’agit de "mettre la bonne personne au bon endroit. On doit savoir apprécier tant l’adéquation d’un travail que celle d’un profil. C’est pourquoi on complète la sélection des artistes par des entretiens." Si le projet est établi sur une grille comprenant quelques critères, ceux-ci ont beaucoup évolué en vingt ans et restent sans cesse interrogés. Le soutien à la jeune création reste un axe prioritaire, mais la résidence s’ouvre aussi à des profils d’artistes confirmés et plus âgés, notamment pour favoriser des rencontres productives. Cet élargissement nécessite de facto plus de souplesse dans le déroulé de la résidence pour répondre aux obligations souvent contraignantes des artistes confirmés. Le projet s’ouvre également à d’autres disciplines, comme la bande dessinée, et ce au gré des opportunités. Celles-ci sont appelées à se multiplier depuis la création du réseau régional des résidences de création et de celui des arts plastiques et visuels de Nouvelle-Aquitaine (Astre), deux initiatives régionales fédératrices qui contribuent au rayonnement de ses adhérents. Nul doute que Pollen, forte de sa longévité et de son expérience, jouera un rôle de fer de lance dans ces réseaux récemment constitués.
1Une résidence et une exposition ont été organisée dans la cuisine de l’Esat Monclairejoie de Sainte-Livrade-sur-Lot, dans laquelle l’auteur dessinateur Troubs s’est immergé durant quelques semaines. Ce travail a également donné lieu à une édition, Cuisine centrale, coproduite et diffusée par Pollen et Ouïe-Dire.
2"Le Troisième yeux" est un dispositif-itinérant imaginé comme une œuvre-support à un jeu de piste engageant les petits et grands lecteurs à une quête dans les bibliothèques du département.
3Élaboré avec le Rectorat de Bordeaux, la DSDEN 47 (Direction des services départementaux de l’Éducation nationale), la Drac Nouvelle-Aquitaine et le Conseil départemental de Lot-et-Garonne, "Lire la ville" permet à des scolaires du département de rencontrer un artiste et de développer des ateliers dans les domaines de la littérature, du patrimoine, de l’environnement, de l’architecture et des arts plastiques.