Du Sud-Ouest au Far West : "L’État sauvage" de David Perrault
À l’occasion de la sortie nationale, ce mercredi 26 février, du deuxième long métrage de David Perrault, L’État sauvage, nous avons posé quelques questions au réalisateur et à son producteur Farès Ladjimi, de Mille et une productions, avec qui une fidèle et fructueuse collaboration se perpétue ainsi. Soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine et accompagné par ALCA, le film est projeté ce jeudi 27 février au cinéma Utopia de Bordeaux en présence de son réalisateur et de la coproduction bordelaise, Uproduction.
En quoi le fait d’avoir travaillé ensemble au préalable sur Nos héros sont morts ce soir, en 2013, a-t-il constitué un atout pour aborder le projet tout aussi ambitieux, sinon davantage, de L’État sauvage ?
David Perrault : Il y a effectivement une relation de confiance qui s’est installée entre nous et qui a permis d’aller plus loin, de passer un cap supplémentaire en termes d’ambition. Faire un western "sérieux" dans le cadre du cinéma d’auteur français est un pari plus fou encore que de mettre en scène des catcheurs masqués dans un film en noir et blanc, comme avec Nos héros sont morts ce soir ! La sélection de ce film à la Semaine de la Critique, à Cannes, nous a aussi sans doute donnés la force de nous lancer dans une aventure plus grande, en termes de production et de défi artistique.
Farès Ladjimi : Effectivement, la confiance est essentielle quand on se lance dans un projet comme celui-ci. Nous nous connaissons très bien, David et moi, et nous discutons beaucoup pendant la phase de développement et d’écriture du film. Cela permet de préciser les intentions en matière de mise en scène, mais aussi de circonscrire tous les risques…
Présenteriez-vous ce film comme un western – à la manière de votre court métrage No hablo American, 2013 – ou plutôt comme un film d’aventures historiques sur un épisode méconnu ?
D. P. : Le court métrage, de par sa durée, s’apparentait davantage à un exercice de style, il se réduisait uniquement à son genre. L’idée du western était venue avant toute chose... Pour le long métrage, les choses ont été différentes. J’ai d’abord pensé au contexte historique, aux personnages, aux atmosphères et le genre – celui du western – n’est venu qu’ensuite, comme colonne vertébrale pour faire tenir l’ensemble. Autrement dit, dans No hablo American, le genre est quasiment une fin en soi, alors que dans L’État sauvage, il ne naît que par le contexte et les décors. Il est intégré de manière organique, sans se soucier des codes ou des passages obligés. L’idée était même plutôt de s’en détourner ou de les inverser, en les féminisant et en les rendant les plus "européens" possibles. L’État sauvage n’est pas un "décalque" de western américain classique ; je voulais qu’il soit, au contraire, moderne et chargé de mes préoccupations de cinéaste français contemporain.
Pourquoi avoir adopté un point de vue féminin sur cette aventure et comment percevez-vous les résonances de ce parti pris avec le contexte ambiant sur l’égalité et la parité ?
D. P : J’ai écrit le film il y a plus de cinq ans et je sentais que quelque chose allait se "renverser". Que les rapports de force bougeraient et que le "Vieux monde" régi essentiellement par des forces patriarcales allait exploser… L’actualité m’a donné raison et a renforcé ma conviction de mettre en scène cette histoire de femmes finissant par se libérer des chaînes, aliénantes, qui les lient aux hommes. L’idée de base, c’était celle-là : suivre un groupe de femmes corsetées, au sens propre comme au figuré, évoluant dans un univers clos et étouffant, puis abattre soudain ces cloisons pour les propulser ailleurs, dans un ample mouvement d’émancipation.
"Avec Christophe Duchange, nous avons travaillé sur une veine très européenne, gothique, pour s’éloigner des canons du western ou du film en costumes classique."
Comment avez-vous construit votre casting ? Aviez-vous des références précises, pour les personnages d’Esther et de Victor en particulier ?
D. P : L’important pour moi était de constituer un groupe de femmes avec des tempéraments venus d’univers très différents. Je voulais qu’il y ait du relief et donc, aussi, une certaine forme d’hétérogénéité. Pourtant, je souhaitais aussi que ce groupe devienne au final une force en soi, qu’il fonctionne comme une sorte d’entité susceptible d’abattre des montagnes. Car c’était aussi le sujet du film… Pour ce qui est des personnages, je n’ai jamais vraiment de références précises en amont, c’est la rencontre avec les comédiens qui est décisive, leur personnalité même qui m’inspire. Alice Isaaz, par exemple, dégage une forme de mystère à l’écran, elle a un jeu très pur, sans rien de superflu, et lorsqu’elle prend une arme ou quand elle monte sur un cheval, cela devient très puissant. Elle est simplement devenue Esther, sans idée préconçue…
Vous avez travaillé sur tous vos films avec le même directeur de la photographie, Christophe Duchange, quel était le projet esthétique spécifique de ce film ?
D. P : Il s’agissait en un sens d’aller plus loin que ce qu’on avait fait jusqu’à présent. Ne pas avoir peur d’une très grande expressivité visuelle… Après Nos héros sont morts ce soir et son noir et blanc très contrasté, on s’est dit que, quitte à faire un film en couleur, autant qu’il soit vraiment en couleur ! J’ai une sensibilité non naturaliste, qui tire tout vers le fantastique et l’onirisme. Mais il ne faut pas que cela soit criard ou gratuit. L’image doit exprimer les mouvements internes des personnages, ce qu’ils traversent. Avec Christophe, nous avons travaillé sur une veine très européenne, gothique, pour s’éloigner des canons du western ou du film en costumes classique. Et pour cela, on a voulu jouer avec les éléments présents dans le cadre : le feu des bougies, des torches, la blancheur immaculée de la neige, la lumière naturelle… Tout s’est fait sur le plateau, afin de plonger l’équipe et les comédiens dans un "mood" particulier.
Où avez-vous tourné précisément et quelles ont été les conditions matérielles ?
F.L : Nous avons tourné le film avec un budget de 3,6 millions d’euros et comme il s’agit d’une coproduction officielle entre la France et le Canada, par l’intermédiaire de Métafilm, nous avons tourné durant huit semaines entre les deux pays. En région Nouvelle-Aquitaine, nous avons concentré notre tournage dans les Pyrénées-Atlantiques, à La Pierre Saint-Martin, puis sur le Plateau du Bénou, en Vallée d’Ossau. Notre expérience sur le premier long métrage de David, que nous avions tourné à Bordeaux, nous a permis de travailler avec certains techniciens néo-aquitains et nous avons pu renouveler l’expérience avec eux sur L’État sauvage.
"Ce qui nous a rapprochés, avec Jean-Raymond Garcia et Uproduction, c’est une cinéphilie commune. Nous avons envie de défendre le même cinéma."
Comment s’est articulée la coproduction avec Uproduction, société basée en Nouvelle-Aquitaine, et plus généralement la collaboration avec la Région ?
F.L : Ce qui nous a rapprochés, avec Jean-Raymond Garcia et Uproduction, c’est une cinéphilie commune. Nous avons envie de défendre le même cinéma. Cela a été un partenaire essentiel dans la production du film, la qualité de nos échanges a été déterminante quant aux décisions de production pendant la préparation, le tournage ou le montage du film. Le soutien de la Région – qui nous avait aussi accompagnés sur le premier long métrage de David – a donné une belle impulsion au film en arrivant assez tôt pendant la phase de recherches de financements.
Avez-vous déjà d’autres projets en vue tous les deux ? Et Mille et une productions avec la Région Nouvelle-Aquitaine ?
F.L : Avec Uproduction, nous développons le second film d’un réalisateur sud-africain, The Color of the Skull de Sibs Shongwe-La Mer, qui a obtenu le Prix Arte à l’Atelier du Festival de Cannes et qui a bénéficié du soutien de la Région Nouvelle-Aquitaine, en partenariat avec le CNC via le dispositif "fonds films". Avec David, nous développons un nouveau projet, qui sera son troisième long métrage. Il s’agit d’une histoire d’amour horrifique et nous serions ravis que la Région nous accompagne à nouveau et nous renouvelle sa confiance.