Éditeurs en langues régionales : des histoires particulières
Basque, occitan, poitevin-saintongeais… Les parlers régionaux sont l’expression de la diversité des territoires. Certains éditeurs s’y consacrent depuis de nombreuses années, entre préservation de la langue et diffusion culturelle plus large.
Il suffit de quelques minutes au téléphone pour percevoir les différences d’un accent à l’autre, d’un vocabulaire à l’autre… Même si votre interlocuteur parle avec vous en français, la musicalité d’une autre langue s’entend en filigrane ! Rappelons-le : la Nouvelle-Aquitaine est une région plus grande que l’Autriche, qui se déploie du sud de la Loire à la frontière espagnole, du littoral atlantique au centre de la France… Autant de territoires différents, souvent loin des grandes agglomérations, riches en expressions, en "dialectes" : parlanjhe du Poitou, bas-marchois du Limousin, gascon, euskadi… "L’occitan du Limousin n’est pas le même que celui du Béarn ou du Languedoc", souligne Jean-Marie Caunet, directeur de l’Institut d’études occitanes du Limousin, basé entre Corrèze, Haute-Vienne et Creuse. Pour les néophytes – et l’Éducation nationale, ironisent certains défenseurs des parlers locaux –, ces langues restent souvent méconnues. Certaines ne se parlent plus beaucoup, d’autres retrouvent un public dans une époque en quête de valeurs, comme la proximité, le local, révélant aussi des approches éditoriales variées.
Secteurs de niche… mais pas que !
Comme la plupart des maisons d’édition, celles dédiées aux langues et cultures régionales sont de petite taille. Essentiellement associatives, employant une à plusieurs personnes, souvent épaulées de bénévoles, elles se caractérisent par une implication forte qui explique aussi la longévité de certaines, malgré une diminution des lecteurs ou des locuteurs (ceux qui parlent la langue). Per Noste a été fondée en 1960 dans le Béarn ; La Geste éditions, dans les Deux-Sèvres, est issue des mouvements d’éducation populaire des années 1970… Parmi les dernières-nées, Matahami a été créée en 2017 par Julie Mugica, à Bidart. Dans ce paysage à forte dominante associative, La Geste éditions détonne. Basée dans une petite commune de 6000 habitants, c’est la plus grande maison d’édition de Nouvelle-Aquitaine, tous secteurs confondus. 22 salariés, un chiffre d’affaires de 3,7 millions d'euros en 2019, une diffusion dans 3000 points de vente en France et un catalogue de 200 titres par an… "Ce qui nous intéresse, c’est d’éclairer les cultures régionales à travers le patrimoine humain et monumental", résume Romain Naudin, directeur éditorial.
Une offre diversifiée
D’un éditeur à l’autre, le volume de parutions varie beaucoup, de quelques livres par an à tout un catalogue, et les domaines sont variés : romans, albums jeunesse, bandes dessinées, beaux-livres, dictionnaires, poésie, ouvrages scolaires ou universitaires, revue littéraire (Reclams)…
La Geste éditions mène un programme éditorial qui couvre le grand Ouest et le centre de la France, sur des thématiques multiples, d’un dictionnaire poitevin-saintongeais aux villas du Bassin d’Arcachon ! Au Pays basque, Matahami édite des albums jeunesse bilingues qu’elle présente comme des "passerelles" entre parents et enfants, en plein essor de la scolarisation des petits Basques dans des écoles bilingues ou immersives (les ikastolak, 100% en basque). Pour l’occitan, Per Noste et l’Institut d’études occitanes du Limousin ont une position militante de défense de la langue qui se traduit aussi par l’édition d’ouvrages pédagogiques, dictionnaires, méthodes d’apprentissages… Le site Internet de PER NOSTE propose des exercices en ligne et l’association construit des partenariats avec des enseignants, qu’il s’agisse d’établissements généralistes ou occitans (les calendretas, équivalent des ikastolak basques). L’Institut d’Études Occitanes du Limousin pilote la seule librairie entièrement occitane de Nouvelle-Aquitaine (la Libraria Occitana, à Limoges) et consacre une bonne part de ses activités à des ateliers linguistiques. L’Institut a aussi mis en ligne des collections sonores (la-biaca.org) où l’on peut entendre des enquêtes, des chansons, des contes, de la musique…
Patrimoines à préserver, cultures vivantes
À l’oral comme à l’écrit, la sauvegarde et la transmission des patrimoines linguistiques sont le trait commun à tous ces passionnés. Pour Julie Mugica, des éditions Matahami, "le basque est un héritage ancien pour des créations actuelles, une langue qui avance et qui s’enrichit de nouveaux mots. On assiste aujourd’hui à une prise de conscience pour préserver un patrimoine que l’on ne veut pas voir mourir." En Béarn, Jean Eygun a fondé Letras d’òc il y a une quinzaine d’années, pour éditer des ouvrages en occitan et traduire des auteurs étrangers (Lovecraft, Steinbeck…) : "Sans subventions, nous ne pourrions pas faire ce que l’on fait mais les langues sont l’expression d’une diversité culturelle, en lien avec un territoire et des siècles de culture. Nous assurons une forme de continuité." Ces parlers vernaculaires ont souvent aussi une origine rurale qui n’est pas si lointaine de nous. "Les langues régionales ont été interdites à certaines époques alors qu’elles ne s’opposent pas au français, au contraire, elles l’enrichissent et lui donnent de la couleur…", souligne Romain Naudin des éditions La Geste, dont le nom provient des gestes médiévales qui racontaient la vie du peuple. La maison d’édition est d’ailleurs une création au départ de l’UPCP Métive, association qui œuvre à la collecte des cultures populaires, en organisant des festivals, des bals traditionnels… L’un des fervents défenseurs du parlanjhe poitevin est le comédien et conteur Yannick Jaulin. Celui-ci a choisi l’humour pour évoquer sa langue, dans ses spectacles et sur Internet, où il a créé pour la chaîne NOA la mini-série Kétokolé, vive et rythmée !
Au Pays basque, le chant, le récit, la danse, la musique sont très présents dans la vie quotidienne et culturelle. À Bayonne, Lucien Etxezaharreta a fondé les éditions Maiatz au début des années 1980 dont sont issues les Rencontres littéraires de Maiatz. À Sare, dans l’arrière-pays, le Biltzar organise également depuis plus de trente ans des rencontres d’auteurs en langue basque et française.
Et la suite ?…
Les défis pour les langues régionales sont ceux de la préservation d’un patrimoine mais aussi de la culture en général, au même titre que le livre, la lecture, les musées… Comment intéresser le public et les nouvelles générations ? La réponse est sans doute dans un pêle-mêle d’actions : édition, salons, rencontres, ateliers, nouvelles technologies, festivals… À condition que ces langues s’ouvrent au(x) public(s) de leur époque, dans un esprit de découverte culturelle. Là est toute la singularité de ces éditeurs que l’on aurait du mal à enfermer dans une case bien définie !
(Photo : Nico Pulcrano)