"Fearless", ou comment traverser l'adolescence en dansant !

Une couverture rose, une boule à facettes, des bottes de cowboy avec des cœurs, un téléphone portable, un chat, des bracelets colorés faits de perles en forme d’étoiles… La couverture de Fearless, le nouveau roman de Rémi Giordano publié aux éditions Thierry Magnier fait, sans nul doute, écho aux goûts de son auteur. J’avais rencontré Rémi lors de sa dernière résidence d’écriture au Chalet Mauriac fin 2022, alors qu’il était en train d’y scénariser son roman. Un brin autobiographique, cette histoire est aussi une ode à une des plus célèbres chanteuses et musiciennes américaines actuelles.  
 

Il n’y a rien que Taylor ne puisse réparer, plaisante à moitié Ficelle (le binôme de Hugo, le héros de Fearless).
À ce propos, savez-vous ce qu’est un Swifty ? 

Et bien c’est un ou une fan de Taylor Swift. Ce qu’est visiblement devenu Rémi Giordano et ce que vous deviendrez peut-être après avoir lu ce roman. Car Tay Tay, surnom mignon de Taylor Swift, est omniprésente dans cette histoire ! Les intitulés des chapitres, en anglais, sont inspirés des chansons de ses albums. Le titre du roman Fearless, est également celui du deuxième album de la chanteuse de country pop, sorti alors qu’elle quittait elle-même tout juste l’adolescence… Ce qui n’a en rien empêché cet album de recevoir le Grammy Award de l'album de l'année en 2010. À ce moment là, Taylor Swift est devenue la plus jeune artiste de l'histoire de la musique à remporter un Grammy Awards pour l'album de l’année… Comme quoi, à la jeunesse passionnée et inspirée, rien n’est impossible !  

Tu prends ma main et m’emporte tête baissée, sans crainte
Et je ne sais pas pourquoi, mais avec toi j’ai envie de danser…
(Extrait de la chanson Fearless)

La première impulsion de Fearless pour Rémi Giordano ? 
Un voyage à New York, la danse, la musique… Rémi assiste à une comédie musicale et cela lui donne envie d’écrire un roman sur la construction d’un spectacle par des lycéens. Cette histoire, qui aborde de nombreuses problématiques adolescentes, puise sa substance dans celle de son auteur. En la lisant, j’ai peu à peu la conviction que Hugo, le héros de Fearless, pourrait être le double adolescent de l’auteur. Après quelques recherches, je découvre qu’effectivement, la Nonna, la grand-mère d’Hugo ressemble beaucoup à la grand-mère italienne de Rémi, elle aussi gourmande et atteinte de diabète au point d’être hospitalisée… et que la proviseure porte le nom de la prof de gym de l’auteur… Quant à la passion pour Taylor Swift, elle lui a été transmise par son compagnon. Depuis, ils voyagent un peu partout pour aller assister aux concerts de la star.    

-     T’imagines si on était tous pareils ! 
-     Si j’étais normal, je me sentirais mieux.

C’est quoi l’histoire ? 
Alors qu'il auditionne courageusement pour le spectacle de fin d'année de son lycée, Hugo est ridiculisé par Pauline Mettermeyer, une jeune metteuse en scène talentueuse mais cinglante. La vidéo de la chorégraphie d’Hugo et des insultes grossophobes de Pauline devient virale, propulsant l’adolescent au rang de star des réseaux sociaux. Très vite, Pauline est punie par la proviseure du lycée qui décide de confier la création du spectacle à Hugo. Angoisse et excitation se mêlent, l’adolescent ne se sent pas à la hauteur. En parallèle, ses followers le galvanisent… ou l’insultent… Avant toute chose, il est convaincu qu’il doit maigrir. Est vite posée une des grandes questions de l’adolescence : comment arriver à quoi que ce soit quand on est mal dans sa peau ?
 
De la douleur au réconfort ! 
Dans un style simple et efficace, Rémi Giordano excelle à nous raconter les affres du passage de l’enfance à l’âge adulte, la violence des relations et des jugements dans les lycées, les questionnements et les faux semblants qui en résultent pour tout un chacun… 
Les grands lecteurs, comme moi, rajeunissent le temps de cette lecture et les véritables adolescents s’y retrouvent dans leurs questionnements existentiels : Ai-je le droit d’être gros ou maigre par rapport aux standards des réseaux ? Est-ce que je peux être heureux si je suis différent, hors normes ? Est-ce possible de partager ses émotions et ses blessures profondes sans paraitre faible ou ridicule ? Peut-on montrer ses faiblesses sans être forcément blessé par celui qui nous regarde ? 

-     Je suis beau. 
-     Ça te fait quoi ? 
-     Ça me fait chaud. 

Et côté inspirations ?  
L’acceptation de soi est au cœur de cette histoire qui semble tout droit sortie d’une bonne série Netflix. On pense à Highschool Musical, Sex Education ou encore HeartStopper pour l’inclusivité et aussi parce que tous les personnages se remettent en question pour cesser de faire du mal aux autres (et à eux-mêmes par la même occasion)…  De mon côté, je n’ai pas pu m’empêcher de penser aux personnages d’une de mes lectures adolescentes : Fantômette avec Ficelle, la grande maigre blonde farfelue et rêveuse et Boulotte, petite et rondelette, passionnée de cuisine et toujours en train de grignoter quelque chose… sauf qu’à l’époque, je n’ai pas souvenir que c’était un problème pour elles… La société a-t’elle régressé ? Est-elle plus violente parce que cachée derrière des écrans et des pseudos ? Hugo se trouve trop gros, en grande partie à cause du jugement des réseaux sociaux. Ficelle ne se trouve pas assez belle pour le populaire Abel. Quant à Nelly, la sœur d’Abel, elle fait de l’anorexie grave. 

La brune Françoise de Georges Chaulet se déguisait en Fantômette pour se transformer en super héroïne et résoudre les problèmes de sa petite ville. Dans le roman de Rémi Giordano, tous les personnages essaient de se transformer, mais leurs masques les font souffrir jusqu’à ce qu’ils acceptent de montrer leur vrai visage et d’ouvrir leur cœur… Quant à Taylor Swift, si elle n’est jamais là en chair et en os (à moins que…) elle éclaire chaque passage et sa vie même colle parfaitement au propos. En 2022, alors que Rémi planche sur son histoire, Tay Tay sort un clip qui fait scandale. Sur les images, elle monte sur une balance et, plutôt que d’afficher des chiffres, celle-ci lui indique qu’elle est grosse par le mot FAT. La réaction est immédiate sur les réseaux. Ses fans et les autres s’insurgent, dénonçant de la grossophobie. Elle fait rapidement disparaitre ce clip et le remplace par un autre. En réalité, la chanteuse voulait parler de sa minceur un peu trop prononcée et révéler ainsi avoir souffert d’un trouble alimentaire… Mais ces sujets sont extrêmement sensibles sur le net. Hugo, qui a une certaine notoriété sur les réseaux, s’en plaint à plusieurs moments dans le roman : 

Si je dis que je suis bien dans ma peau, on m’accuse de faire la promotion de l’obésité, et si je décide de faire un régime, on m’accuse d’être grossophobe ! 

Grossophobie, masculinisme, bisexualité, expression artistique, confiance en soi, amour, amitié, partage des émotions… Tous les ingrédients sont ici réunis pour faire de ce roman choral riche en émotions un moment de lecture festif et libératoire ! 

---
 
Fearless, de Rémi Giordano, éditions Thierry Magnier
À partir de 12 ans