Festivals du livre : des temps forts au long cours
En cette fin d'année 2021, de nombreux festivals et manifestations littéraires ont lieu en Nouvelle-Aquitaine, dont ces prochains jours Littératures européennes Cognac dès le 16 novembre, le Festival du livre gourmand à Périgueux ou encore Lettres du monde dès le 19 novembre. Événements nombreux et protéiformes, les festivals du livre et leur rayonnement s’étendent bien au-delà des temps et des lieux de dédicaces. Coup de projecteur sur ces rencontres souvent incontournables pour l’ensemble de la chaîne du livre.
Au carrefour des métiers du livre
"Je peux vous rappeler ? J’allais me mettre en route", annonce d’emblée l’auteur Marin Ledun, sur le départ pour le Festival du polar de Villeneuve-lez-Avignon (30). Ce bref premier entretien donne le ton : l’impression de mouvement entraînante, enthousiasmante – énergivore aussi ! –, qui se dégage des festivals du livre. Un fourmillement de rencontres, le bourdon incessant des voix qui résonnent dans de grands halls, de petits gymnases, dans des théâtres ou, à l’extérieur, sous des tentes ; ici une table-ronde, là un temps de dédicace, une lecture-dessinée ou une dictée gourmande, un café ou un apéro littéraire et, avant les festivités, les rencontres dans les écoles, dans les centres pénitentiaires, mais aussi dans les bibliothèques et médiathèques alentours, jusque dans des fermes pédagogiques.
Ces rencontres portées par les festivals – près de 200 salons du livre et manifestations littéraire rien qu’en Nouvelle-Aquitaine – se trouvent "au croisement de pas mal de professionnels de la chaîne du livre", rappelle Sophie Léonard, coordinatrice du festival Littératures européennes de Cognac. "On travaille avec les librairies indépendantes, avec des auteurs, leurs maisons d’édition, et à destination d’un public pour lequel on mène des actions de médiation." Permettre l’existence de beaux endroits pour une rencontre à destination de passionnés de la lecture ou de personnes qui en sont justement éloignées, voici l’une des raisons d’être de ces temps de partage autour du livre.
La rencontre au cœur
Comme le festival Littératures européennes de Cognac, de nombreuses manifestations proposent des temps de médiation couplés à des temps de salon, plus centrés autour de la vente et des dédicaces. Ainsi, le projet global d’un festival s’inscrit la plupart du temps dans le cadre de politiques culturelles mises en œuvre sur les territoires. Pour l’auteur Marin Ledun, "c’est vraiment intéressant quand le festival a un projet qui va au-delà de la signature, qu’il a une vraie implication locale, qu’il utilise le livre et les auteurs comme un support pour porter un projet culturel." L’autrice jeunesse Hélène Vignal, elle, ne fréquente d’ailleurs plus les salons qui ne proposent que des signatures : "Pour les ados, venir voir une autrice sur un salon, ce n’est pas si facile. Il faut être initié : on fait la queue, on achète d’abord le livre, après on le fait dédicacer… Tout ça ce sont des codes !" Le temps de médiation apparaît alors comme une condition sine qua non de la fréquentation des salons, afin de permettre au plus grand nombre de faire cet apprentissage, et pour qu’advienne la rencontre.
D’autres rencontres ont lieu en festival, qui peuvent déboucher sur des collaborations. C’est ce dont témoigne Yves Chagnaud, fondateur des éditions Apeiron : "Un de nos livres les plus précieux, les plus poétiques, Sous les bombes : carnets de résistance, est issu d’une rencontre à Nantes, sur un petit salon, avec l’artiste Athalie. Un an plus tard, j’ai évoqué cette première rencontre avec Felip Costaglioli, un merveilleux poète, au Marché de la Poésie. Et de ces deux rencontres en salon est né ce livre."
Les rencontres en salon, ce sont aussi des discussions au détour d’une allée, tous ces moments dont on a, par leur absence, pu mesurer la valeur ces derniers mois. L’autrice jeunesse Hélène Vignal l’affirme : "Ne serait-ce que se saluer, discuter dix minutes entre deux stands : ça permet d’entretenir une communauté !" Pour les auteurs et autrices, ces moments permettent en outre une sortie de la solitude de l’écriture. Après des mois de disette, l’ensemble de la profession souligne le plaisir de se retrouver dans les festivals.
D’autres rencontres, encore, en ces lieux, dont les retombées sont moins immédiatement mesurables : telle discussion entre une éditrice et une programmatrice culturelle, tel débat entre un auteur et un prescripteur, tel échange entre une illustratrice et une jeune lectrice – naissance d’une vocation ? Passion prochaine pour la lecture de BD ? D’albums ? De romans ? Invitation à venir dans une classe ? Animation dans une bibliothèque ? Des éléments plus difficiles à mesurer, mais qui sont autant de répercussions de l’existence des festivals.
Les festivals du livre sont enfin l’occasion d’échanger de la reconnaissance – reconnaissance du travail d’un auteur ou d’une maison. Pour l’autrice jeunesse Hélène Vignal, cette reconnaissance vient d’un pari qu’elle tient en allant dans les écoles, et qu’elle gagne quand les élèves reviennent au salon quelques jours plus tard : "C’est gagné parce qu’ils ont convaincu leurs parents de laisser tomber les courses du samedi pour venir au salon." Pour Virginie Paultes, fondatrice des éditions Moires, c’est d’une année sur l’autre que la reconnaissance se mesure, par des liens de fidélité noués avec son public : "Surtout en poésie, les gens sont très fidèles.", précise-t-elle. À Cognac aussi, la fidélité est de mise, avec la tenue cette année de la dix-huitième édition du prix des lecteurs.
Au-delà des chiffres de la fréquentation et des retombées économiques, reconnaissance, fidélité des publics, qualité et variété des rencontres sont autant de moyens de mesurer l’importance des festivals du livre, leur impact durable sur la valorisation de la lecture et sur l’ensemble de la chaîne du livre.
La valorisation d'une offre diversifiée
D’autre part, les festivals offrent une vitrine diversifiée de la production éditoriale. Ce peut être en consacrant un événement entier à un secteur de l’édition, comme c’est le cas, par exemple, du Festival du livre gourmand de Périgueux, qui fête cette année ses 30 ans. Sophie Audier, nouvelle directrice du festival périgourdin, confirme : "Le livre de cuisine est assez peu mis en valeur dans la grande littérature. Pourtant, il y a une production qui est extrêmement riche !"
La variété de l’offre mise en avant dans les festivals est également un enjeu pour certaines maisons d’édition de taille moyenne, qui ne peuvent pas toujours supporter les coûts d’un salon, de même que pour un auteur émergent : "Dans notre travail de sélection on est vigilantes à avoir des grandes maisons et des auteurs incontournables, mais aussi à faire une place à des jeunes maisons ou des écrivaines qui émergent. On aime proposer au public de les suivre à différents moments de leur carrière", déclare la coordinatrice Sophie Léonard.
Cette attention portée à une programmation variée permet par exemple aux éditions Moires d’être présentes sur plusieurs salons chaque année : "Je fais à peu près cinq festivals par an, avec stand", raconte Virginie Paultes. "Ensuite, des auteurs peuvent être invités pour une publication ou une table ronde sur d'autres festivals." L’intérêt porté à de jeunes auteurs et à des lignes éditoriales originales par les organisateurs de festivals garantit donc à cette maison une visibilité démultipliée.
L'impact économique des festivals
On mesure la fidélité et la prolongation des bénéfices d’un festival dans les retombées économiques mêmes : "On vend avant, pendant et après les festivals", poursuit l’éditrice Virginie Paultes. Au total, c’est environ 30 % du chiffre d’affaires des éditions Moires qui est généré dans les salons – salons qui ont un coût alors, pour l’éditrice, c’est clair : "Ça n’est pas le moment pour ceux qui veulent déposer des manuscrits ou des demandes de stage. Je suis là pour vendre." Yves Chagnaud, des éditions Apeiron, confirme l’importance du chiffre d’affaires réalisé par sa maison sur les salons, jusqu’à 50 000 euros de résultat brut, les meilleures années. Les libraires sont évidemment concernés au premier chef par ces retombées économiques. Du côté des auteurs, l’activité rémunératrice est souvent plus intéressante lors des interventions dans les écoles rémunérées au tarif Charte, en amont des festivals.
Mais qui dit ventes et signatures sur les salons dit possiblement aussi invendus, et Hélène Vignal le déplore : "On sait que beaucoup des invendus des salons partent au pilon." Autre inquiétude du côté des éditeurs, l’augmentation des frais d’inscriptions de certains salons. Yves Chagnaud regrette : "C’est de plus en plus cher et certains salons deviennent vraiment difficiles d’accès, au risque de pénaliser les petites structures par rapport aux grandes. Heureusement, on est aidés par la Région Nouvelle-Aquitaine." Heureusement aussi, on voit régulièrement fleurir de nouvelles initiatives qui entendent poursuivre la mise en lumière d’une production variée, qui donne l’opportunité à des professionnels de présenter leur travail, et à des lecteurs de prendre en main le livre qu’ils n’étaient pas venus chercher.
Les festivals du livre sont l’œuvre de passionnés qui rivalisent d’inventivité pour promouvoir la lecture. C’est le cas, par exemple, du Festival du livre gourmand de Périgueux, en pleine transition pour étendre son activité toute l’année auprès d’un large public, en partenariat avec de nombreux événements et institutions. En cette période de crise sanitaire, les acteurs culturels du monde du livre ne manquent pas d’adaptabilité et d’inventivité. C’est ce que note Marin Ledun : "Ils jouent le jeu, malgré les contraintes qui pèsent sur leurs métiers. Le plus important pour eux reste de mettre un livre entre des mains, de susciter de la discussion, de l’échange, du débat…"
Alors pour que vivent la rencontre, la discussion, l’échange et le débat, rendez-vous à Cognac dès aujourd’hui, puis à Périgueux, Bordeaux et dans toute la Nouvelle-Aquitaine à partir du 19 novembre !