"Galerie montagnaise", nouveau livre de poésie de Didier Bourda issu d’un séjour québecois
Auteur de dix autres ouvrages, grand expérimentateur des liens entre voix et poésie écrite, Didier Bourda est depuis 2003 le directeur artistique du festival de Jurançon "Poésie dans les chais".
Quand on l’interroge sur la genèse et le sens de ses partis pris d'écriture, de ses livres de poésie, de ses lectures s’inscrivant dans le courant de la poésie sonore, Didier Bourda répond : "Depuis longtemps, j’ai besoin de la mise en lecture pour finaliser le travail d’écriture. Les frottements se font là, les axes et les plans se révèlent à l’oral, certaines répétitions de mots s’imposent, des coupes, des possibilités de rajouts apparaissent, etc. […] J’invite la parole à redistribuer les cartes de ce qui est visible, visiblement suspect, perverti par, oui, le quotidien qu’on nous promène devant les yeux."
Palimpseste pris sur le motif aux vibrants effets de vestiges épigraphiques, Galerie montagnaise fait appel à des notions de géologie, d’histoire et d’ethno-linguistique, pour rendre compte d’un voyage au pays des Innus, ou Montagnais, "peuple autochtone des régions subarctiques de l’est du Québec et du Labrador". Nomades vivant jadis de la chasse au caribou sur la toundra, les Innus/Montagnais font face désormais à l’industrie forestière et aux constructions de barrages hydroélectriques qui perturbent leurs implantations près des rivières. Leur langue et la culture dont elle était le vecteur ont fait l’objet d’hybridations imprévues avec celles des nouveaux arrivants européens.
Palimpseste pris sur le motif aux vibrants effets de vestiges épigraphiques, Galerie montagnaise fait appel à des notions de géologie, d’histoire et d’ethno-linguistique, pour rendre compte d’un voyage au pays des Innus, ou Montagnais, "peuple autochtone des régions subarctiques de l’est du Québec et du Labrador". Nomades vivant jadis de la chasse au caribou sur la toundra, les Innus/Montagnais font face désormais à l’industrie forestière et aux constructions de barrages hydroélectriques qui perturbent leurs implantations près des rivières. Leur langue et la culture dont elle était le vecteur ont fait l’objet d’hybridations imprévues avec celles des nouveaux arrivants européens.
"Entamer un projet poétique, au Québec et partout, est […] choisir d’emblée d’avancer en terrain politique. "
Beaucoup s’exprimaient spontanément en basque ― "Gaspésie" est un toponyme d’étymologie basque ― et parfois en béarnais, à quoi il faut ajouter l’influence de l’anglais en parallèle du français. D’où, à l’œuvre ici, un formalisme poétique travaillé par les traces de ces croisements à divers niveaux des choix (a)syntaxiques et thématiques. Ce que le poète a consigné du passé et du présent, mixte d’émotions et de données factuelles, se déploie en une complexe et très parlante évocation de tonalité trans-culturelle et trans-historique. Y trouvent leur compte l’ethno-anthropologie, la géographie physique et humaine, voire le genre du reportage/documentaire au meilleur de sa dimension critique. Didier Bourda a noté :
"Entamer un projet poétique, au Québec et partout, est […] choisir d’emblée d’avancer en terrain politique." Et aussi : "Je mesurais […] que ma langue est un corps, qu’elle append de ses peaux. En Amérique, le corps est grand. Des périphéries de ce corps naissent des représentations mentales, par le biais d’un toucher. […] La voix est un toucher." (Interview par Emmanuelle Jawad sur le site Diacritik)
Les Montagnais du XVIIème siècle ont combattu aux côtés des Français les Cinq-Nations des Iroquois. Mais au détour d’une page, figurent une gravure saisissante et son titre. Montcalm-essaie-d’empêcher-des-Autochtones-de-massacrer-des-soldats-et-des-civils ― il tient par la lame une épée inclinée vers le sol, un homme torse nu le menace, brandissant un sabre, et des soldats, un fusil, un boulet, gisent à terre. Une femme lève désespérément les bras vers son petit enfant, qu’un autre personnage tient au bout de son bras dressé vers le ciel, nuages et fumées des combats se confondant à l’arrière-plan. "Nous sommes [après] la bataille [de 1757 entre Anglais et Français, ndr]." Les assaillants sont des "Amérindiens" trahis par Montcalm. Le texte du poème introduit l’image en rappelant des concepts chers à Roman Jakobson : "La fonction poétique […] évite la confusion entre la poésie comme art du langage et la poésie comme catégorie esthétique." Ailleurs, en termes de personnages historiques, il est fait allusion à un officier d’origine béarnaise, le baron de Lahontan, qui nous a laissé des Dialogues et autres écrits, réflexions philosophiques peu complaisantes sur les Européens annonçant l’esprit des Lumières.
À propos de la géologie, Didier Bourda résume : "Je voyageais là-bas en compagnie de géographes québécois qui m’abreuvaient de notions de bassins-versants, de traceurs de transport glaciaires et glaciels, d’erratiques de dolomie, etc…" Ceci expliquant cela, il avait été invité au Québec par un groupe de poètes appartenant au mouvement de la Géopoétique initié par Kenneth White, grâce à l’intercession du géopoéticien girondin Jean-Paul Loubes. Auparavant, s’étaient déjà tissés des liens avec l’Amérique du Nord par la venue à deux reprises en résidence d’écriture à Pau de Cole Swensen.
Fruit de ces séjours, Gave, paru chez Omnidawn à Oakland en 2014 : "Une torsion transatlantique s’est imposée, chacun domestiquant les eaux du continent de l’autre. À elle l’anglais pour parler d’ici, à moi le français pour parler de là-bas." Les Éditions Lanskine publient un CD audio avec Galerie montagnaise et ont mis en ligne un film d’Émilie Arsicaud sur la lecture du texte par les deux poètes en coopération avec un musicien contemporain, Martin Antiphon. En 2016, l’édition chez Nuit Myrtide de Quarante Chiens comprenait aussi un CD et, en poster dépliable, une mise en espace du texte par Dimitri Vazemski. C’est que : "Écrire est non seulement décider des contours d’un je toujours plus organique, c’est aussi occuper le lieu d’un basculement lent qui voit le corps s’ouvrir à d’autres composantes de ce qui peut devenir un nous."
À propos du Festival "Poésie dans les chais" de Jurançon, Didier Bourda remarque : "[…] Nombre de danseurs, de musiciens, de programmateurs artistiques, de MJC, de graphistes, ont pris leurs habitudes, en Béarn peut-être plus qu’ailleurs, avec les poètes contemporains. Enfin, une génération de poètes trentenaires s’affirme en Béarn, avec les Nicolas Vargas, prix SGDL de poésie 2017, Amandine Monin, prix Vargaftig 2017, et ce n’est pas un hasard."
Galerie montagnaise, de Didier Bourda
Collection Poéfilm
Éditions Lanskine, 2018
22 x 15 cm, 152 pages
Publié avec le concours du CNL
ISBN : 979-10-90491-55-7
"Entamer un projet poétique, au Québec et partout, est […] choisir d’emblée d’avancer en terrain politique." Et aussi : "Je mesurais […] que ma langue est un corps, qu’elle append de ses peaux. En Amérique, le corps est grand. Des périphéries de ce corps naissent des représentations mentales, par le biais d’un toucher. […] La voix est un toucher." (Interview par Emmanuelle Jawad sur le site Diacritik)
Les Montagnais du XVIIème siècle ont combattu aux côtés des Français les Cinq-Nations des Iroquois. Mais au détour d’une page, figurent une gravure saisissante et son titre. Montcalm-essaie-d’empêcher-des-Autochtones-de-massacrer-des-soldats-et-des-civils ― il tient par la lame une épée inclinée vers le sol, un homme torse nu le menace, brandissant un sabre, et des soldats, un fusil, un boulet, gisent à terre. Une femme lève désespérément les bras vers son petit enfant, qu’un autre personnage tient au bout de son bras dressé vers le ciel, nuages et fumées des combats se confondant à l’arrière-plan. "Nous sommes [après] la bataille [de 1757 entre Anglais et Français, ndr]." Les assaillants sont des "Amérindiens" trahis par Montcalm. Le texte du poème introduit l’image en rappelant des concepts chers à Roman Jakobson : "La fonction poétique […] évite la confusion entre la poésie comme art du langage et la poésie comme catégorie esthétique." Ailleurs, en termes de personnages historiques, il est fait allusion à un officier d’origine béarnaise, le baron de Lahontan, qui nous a laissé des Dialogues et autres écrits, réflexions philosophiques peu complaisantes sur les Européens annonçant l’esprit des Lumières.
À propos de la géologie, Didier Bourda résume : "Je voyageais là-bas en compagnie de géographes québécois qui m’abreuvaient de notions de bassins-versants, de traceurs de transport glaciaires et glaciels, d’erratiques de dolomie, etc…" Ceci expliquant cela, il avait été invité au Québec par un groupe de poètes appartenant au mouvement de la Géopoétique initié par Kenneth White, grâce à l’intercession du géopoéticien girondin Jean-Paul Loubes. Auparavant, s’étaient déjà tissés des liens avec l’Amérique du Nord par la venue à deux reprises en résidence d’écriture à Pau de Cole Swensen.
Fruit de ces séjours, Gave, paru chez Omnidawn à Oakland en 2014 : "Une torsion transatlantique s’est imposée, chacun domestiquant les eaux du continent de l’autre. À elle l’anglais pour parler d’ici, à moi le français pour parler de là-bas." Les Éditions Lanskine publient un CD audio avec Galerie montagnaise et ont mis en ligne un film d’Émilie Arsicaud sur la lecture du texte par les deux poètes en coopération avec un musicien contemporain, Martin Antiphon. En 2016, l’édition chez Nuit Myrtide de Quarante Chiens comprenait aussi un CD et, en poster dépliable, une mise en espace du texte par Dimitri Vazemski. C’est que : "Écrire est non seulement décider des contours d’un je toujours plus organique, c’est aussi occuper le lieu d’un basculement lent qui voit le corps s’ouvrir à d’autres composantes de ce qui peut devenir un nous."
À propos du Festival "Poésie dans les chais" de Jurançon, Didier Bourda remarque : "[…] Nombre de danseurs, de musiciens, de programmateurs artistiques, de MJC, de graphistes, ont pris leurs habitudes, en Béarn peut-être plus qu’ailleurs, avec les poètes contemporains. Enfin, une génération de poètes trentenaires s’affirme en Béarn, avec les Nicolas Vargas, prix SGDL de poésie 2017, Amandine Monin, prix Vargaftig 2017, et ce n’est pas un hasard."
Galerie montagnaise, de Didier Bourda
Collection Poéfilm
Éditions Lanskine, 2018
22 x 15 cm, 152 pages
Publié avec le concours du CNL
ISBN : 979-10-90491-55-7
André Paillaugue a fait des études de Lettres à Bordeaux et Paris. Il a été critique littéraire et critique d’art pour Spirit, Junkpage, les Cahiers de Critique de Poésie du Cipm. Il a pubilé aux Éditions de l’Attente et en revue : Ouste, Le Festin, Le Bord de l’Eau, les Cahiers Art & Science, L’intranquille, Espace(s)-CNES.