Histoire, santé et éducation : retour sur la première rencontre régionale consacrée au jeu vidéo
Des exploitants, enseignants, médiathécaires, animateurs, éducateurs, médiateurs et intervenants à l’éducation aux images ont pu bénéficier lors de cette journée d'une introduction pluridisciplinaire aux enjeux de l'univers vidéoludique et découvrir deux cas pratiques.
Le 28 janvier 2022 au Cinéma Jean-Eustache de Pessac (33), de nombreux professionnels néo-aquitains de la culture et de l’éducation ont participé à la première des trois séances d'un cycle de formation consacré au jeu vidéo, au cinéma et à l’éducation aux images. Les mots d'accueil de Virginie Mespoulet, représentante du Pôle régional d’éducation aux images de Nouvelle-Aquitaine, et de Stéphanie Vigier, déléguée générale de Cina1, ont été l'occasion de présenter les actions conduites par les deux structures ainsi que de rappeler "l'importance de la salle de cinéma dans les projets d'éducation aux images". Yves Le Pannerer, conseiller pour le numérique, le cinéma et l'audiovisuel à la Drac Nouvelle-Aquitaine, Sandrine Dos Santos, cheffe de projet Engagement citoyen à la Région Nouvelle-Aquitaine, ainsi que Sylviane Pinto, chargée de mission au CNC, sont unanimes : le cinéma et le jeu vidéo sont d'autant plus proches que "le dixième art est économiquement tout aussi important que le septième" et que les deux s'enrichissent mutuellement comme atteste le fait "qu'on peut faire de l'éducation artistique et culturelle avec et par le jeu vidéo et en lien avec les salles".
Alexis Blanchet, maître de conférences en cinéma et audiovisuel, a expliqué l'histoire du jeu vidéo en France, art passé "des labos aux chambres d'ados"2. L'audience a pu découvrir l'importance des laboratoires d'informatique au début des années 1960, espaces équipés d'ordinateurs et à l'origine de "l'informatique ludique universitaire", dont quelques jeux ont été présentés à travers des archives de l'Ina. Détaillant en parallèle ses méthodes de recherche, il a indiqué qu'il n'y a pas eu dans l'Hexagone "de passerelle entre ces applications et une mise sur le marché" contrairement aux États-Unis avant d'aborder l'émergence du jeu vidéo dans le grand public grâce aux liens entre le secteur méconnu de l'automatique de divertissement et les débits de boisson. Il a aussi souligné le rôle de Pong, jeu qui a permis "entre 1973 et 1975" l'installation de la pratique vidéoludique et d'aboutir à la première mention du terme "jeu vidéo". Après s'être attardé sur la place de la contrefaçon, il a terminé en abordant d'abord le rôle des boutiques d'informatique dans la constitution du secteur français du jeu vidéo dont l'année 1983 marque la "structuration de tous les échelons" le constituant, puis en proposant une analyse économique et ludique des jeux disponibles à l'époque.
L'après-midi a débuté avec une introduction aux enjeux psychologiques du jeu vidéo proposée par le docteur en psychologie et gamer Yann Leroux. Son propos part d’un constat évident : "l'émotion est quelque chose que l’on retrouve avec tous les médias" ; chacun étant spécifique, il a défini le jeu vidéo en utilisant notamment les notions d'interactivité, de règles et d'objectifs, afin de mettre en avant les éléments susceptibles de faire réagir le joueur. À titre d'exemples, l'esthétique, les mécaniques de jeu ou encore l'intrigue en mentionnant Trevor, personnage fou de GTA V dont "le passé se révèle de plus en plus complexe" au fur et à mesure de la progression du joueur. Une fois le fonctionnement du plaisir vidéoludique évoqué, il s'est attaqué à la notion d'addiction au jeu vidéo, "une surprise dont la première réaction de la communauté scientifique a été d’écrire une lettre ouverte à l’OMS demandant de ne pas créer" le gaming disorder, forme de panique morale qu'il a déconstruite en opérant une analyse historique et médicale. Yann Leroux est revenu sur l'utilisation du jeu vidéo en psychothérapie en tant que moyen "pour créer les conditions dans lesquelles elle va être possible", et a indiqué, à une audience étonnée, que des jeux d’ordinateur ont déjà été utilisés dans le cadre d’une psychothérapie pour enfants en 1984. Avant de conclure que "tous les jeux sont bons en psychothérapie, il suffit que le psychothérapeute soit suffisamment à l'aise avec le jeu" et, surtout, "qu'il faudrait essayer de traiter le jeu vidéo comme les autres médias : il est vraiment important de le connaître de l’intérieur, de le travailler pour qu’il soit plus facilement digérable pour les jeunes publics".
Cette première partie théorique a été suivie par la présentation de deux cas pratiques, des projets développés et existants sur le territoire néo-aquitain. Violette Aymé, psychologue clinicienne et diplômée d'un master en cinéma et audiovisuel, et Gilles Mouillac, docteur en psychologie, ont ainsi été amenés à faire découvrir les actions mises en place par le Nom Lieu. Située au sein d'Aquinum, un espace de coworking bordelais, cette structure créée en 2017 vise à accueillir "les inventions, les intérêts et les passions de jeunes en situation de handicap ou de souffrance psychiques, de déscolarisation" intéressés par le numérique. L'objectif étant qu'ils puissent rencontrer des passionnés de ce domaine qui en ont fait leur métier et ainsi "sublimer ce qui pouvait passer au départ pour une addiction". Gilles Mouillac a ensuite présenté divers exemples, comme celui de Raphaël, jeune homme plutôt inhibé et passionné par les sabres, le Japon féodal et le jeu Ghost of Tsushima, qui souhaitait découvrir le montage et s'est épanoui dans cet exercice avec l'aide d'un professionnel. Ou encore celui d’Aurélien, jeune isolé âgé de quatorze ans et fasciné par l'entreprise vidéoludique Sega, qui se "formait de manière autodidacte huit heures par jour au développement informatique" : après "un long travail avec lui" et des rencontres avec des professionnels qui ont fait "un état des lieux de ses savoirs et lui ont transmis notamment ceux manquants en mathématiques", il a pu "intégrer une formation de jeu vidéo directement en troisième année". L'association est donc au "carrefour entre le monde psy et celui de l’insertion sociale". Son objectif est d'enseigner "un savoir sur mesure à partir de ce qui intéresse" les différents jeunes rencontrant la structure, ceci leur permettant "peu à peu pour certains de tendre vers de l’insertion sociale voire même de l'insertion professionnelle."
L'intervenant et amoureux du cinéma Hervé Tourneur a quant à lui présenté la malle "Ciné Game", un outil qu'il a développé et qu’il définit comme "une boîte contenant un ordinateur et des manettes" permettant d'accéder à un catalogue de jeux variés comprenant principalement des jeux indépendants récents et d'autres nettement plus anciens. "Le but n'est pas de faire bonbons et camionnette" : bien que sa volonté de départ fût de profiter du jeu vidéo sur un écran de cinéma, il a insisté sur la nécessité de valoriser des jeux possédant "un potentiel ludique, thématique, artistique" afin d'aboutir à des médiations en salle de cinéma. Aussi, il en a présenté différents types et exemples, comme celui de l'association du film d'animation Belle de Mamoru Hosoda et du jeu vidéo Gris. Avant de conclure : "Ce n'est pas parce que je programme des films de Mikio Naruse que j'en suis un spécialiste. Je fais l'effort parce que j'ai envie de défendre cela. Il faut se décomplexer : quand je suis dans une salle de cinéma et que je fais une présentation, il y a forcément au moins une personne qui en sait plus que moi, donc autant s'en servir comme prescripteur et relais."
Cette première journée introductive sera complétée par deux autres qui auront lieu à Angoulême le 25 mars et le 2 juin à Brive.