"Instable" et "Le goût du fantastique", une création d’Elsa Gribinski et Mathias Pontevia à la Station Ausone
Éditrice, poète, Elsa Gribinski vient de publier une anthologie du fantastique au Mercure de France. Elle travaille à des lectures et des performances à partir de ses écrits avec Mathias Pontevia, batteur, percussionniste, électro-acousticien, improvisateur et compositeur bordelais de renommée internationale. Ils ont présenté Instable en public à la Station Ausone le 7 février.
Bien connue du public local, la Station Ausone est un espace de conférences attenant au complexe de la Librairie Mollat. Dédiée en priorité à des rencontres avec des écrivains de passage lors de leurs nouvelles parutions, la salle est équipée d’un matériel de studio d’enregistrement et de diffusion du son. Au centre de la paroi en fond de scène, une baie vitrée s’élevant du sol au plafond pratique une ouverture sur une cour intérieure illuminée le soir dans les bleus nuit par des projecteurs.
À gauche de la scène pour les spectateurs, Mathias Pontevia a installé sa batterie horizontale, ses cymbales de large diamètre et son matériel de traitement du son. En regard, Elsa Gribinski va se tenir debout micro en main devant un lutrin sur lequel sont disposées les pages de son texte, conçu toutes proportions gardées comme une partition pouvant donner lieu dans l’instant à diverses improvisations.
Dès que s’éteint l’éclairage de la salle, commencent le singulier dialogue entre le musicien et la lectrice et, à travers sa réception silencieuse, les échanges avec le public présent. Selon Elsa Gribinski, ce sera plutôt le musicien qui donnera le la à sa contribution vocale. Mathias Pontevia effectue des premières figures conventionnelles de batterie et de percussion, puis bientôt amplifie le son tout en se livrant à la production de sonorités inédites par le contact plus ou moins appuyé et prolongé d’une cymbale avec la peau du tambour, tandis que la lectrice nous immerge d’une voix égale dans la genèse et l’univers du genre fantastique, avec son imaginaire et son rapport tissé d’étrangeté à la connaissance ou au savoir.
Métalliques, les sons que produit le musicien lorsque sa pratique excède le plus simple usage de la batterie et des cymbales ont des résonnances qui, associées au récitatif, semblent prendre les couleurs de plus en plus minérales, telluriques et météorologiques, de sortes d’orages contenus et autres événements sonores de nature indéterminée, mais tous très évocateurs, sinon illustratifs. La gestuelle du musicien, si elle ne cède pas loin de là au pur spectaculaire, apporte elle aussi sa belle part d’expressivité à la composition en train de se faire sous les yeux du public. De plus, la musique acoustique et électronique, telle que déployée ici avec une grande rigueur, joue en finesse sur le contraste entre le son propre des instruments, détournés ou non de leur usage premier, et le bruit ― au sens de la théorie de l’information ― que permet de faire percevoir par des effets de saturation et de brouillage le processus d’amplification.
La voix et les paroles de la lectrice, quant à elles, participent ainsi à une immersion dans un champ sonore de la vibration et de l’étonnement par la sollicitation sensorielle. Peu à peu, s’éclairent alors les raisons du titre de la pièce présentée. La partie musicale, faite de moments aléatoires et de variations inattendues au gré de l’improvisation, souligne non seulement la continuité et la régularité de l’émission vocale, mais aussi la dimension polyphonique et dialogique, bien que parfois heurtée, de la composition textuelle d’Elsa Gribinski telle qu’elle la restitue à l’oral. Les thématiques du fantastique et de l’étrange sur lesquelles elle a beaucoup travaillé pour la conception de son anthologie, outre qu’elles lui sont apparues comme se prêtant à l’ironie autant qu’à la mélancolie, l’ont emmenée à subsumer son propos sous le signe de Paul Valéry. À propos de l’instabilité fondamentale du monde et du réel, celui-ci a noté : "Nous vivons de l’instable, par l’instable, dans l’instable."
À gauche de la scène pour les spectateurs, Mathias Pontevia a installé sa batterie horizontale, ses cymbales de large diamètre et son matériel de traitement du son. En regard, Elsa Gribinski va se tenir debout micro en main devant un lutrin sur lequel sont disposées les pages de son texte, conçu toutes proportions gardées comme une partition pouvant donner lieu dans l’instant à diverses improvisations.
Dès que s’éteint l’éclairage de la salle, commencent le singulier dialogue entre le musicien et la lectrice et, à travers sa réception silencieuse, les échanges avec le public présent. Selon Elsa Gribinski, ce sera plutôt le musicien qui donnera le la à sa contribution vocale. Mathias Pontevia effectue des premières figures conventionnelles de batterie et de percussion, puis bientôt amplifie le son tout en se livrant à la production de sonorités inédites par le contact plus ou moins appuyé et prolongé d’une cymbale avec la peau du tambour, tandis que la lectrice nous immerge d’une voix égale dans la genèse et l’univers du genre fantastique, avec son imaginaire et son rapport tissé d’étrangeté à la connaissance ou au savoir.
Métalliques, les sons que produit le musicien lorsque sa pratique excède le plus simple usage de la batterie et des cymbales ont des résonnances qui, associées au récitatif, semblent prendre les couleurs de plus en plus minérales, telluriques et météorologiques, de sortes d’orages contenus et autres événements sonores de nature indéterminée, mais tous très évocateurs, sinon illustratifs. La gestuelle du musicien, si elle ne cède pas loin de là au pur spectaculaire, apporte elle aussi sa belle part d’expressivité à la composition en train de se faire sous les yeux du public. De plus, la musique acoustique et électronique, telle que déployée ici avec une grande rigueur, joue en finesse sur le contraste entre le son propre des instruments, détournés ou non de leur usage premier, et le bruit ― au sens de la théorie de l’information ― que permet de faire percevoir par des effets de saturation et de brouillage le processus d’amplification.
La voix et les paroles de la lectrice, quant à elles, participent ainsi à une immersion dans un champ sonore de la vibration et de l’étonnement par la sollicitation sensorielle. Peu à peu, s’éclairent alors les raisons du titre de la pièce présentée. La partie musicale, faite de moments aléatoires et de variations inattendues au gré de l’improvisation, souligne non seulement la continuité et la régularité de l’émission vocale, mais aussi la dimension polyphonique et dialogique, bien que parfois heurtée, de la composition textuelle d’Elsa Gribinski telle qu’elle la restitue à l’oral. Les thématiques du fantastique et de l’étrange sur lesquelles elle a beaucoup travaillé pour la conception de son anthologie, outre qu’elles lui sont apparues comme se prêtant à l’ironie autant qu’à la mélancolie, l’ont emmenée à subsumer son propos sous le signe de Paul Valéry. À propos de l’instabilité fondamentale du monde et du réel, celui-ci a noté : "Nous vivons de l’instable, par l’instable, dans l’instable."
"Des siècles durant, le surnaturel fut naturel et l’imagination quotidienne."
Professionnelle de l’édition, de l’écriture et de la lecture, traductrice du russe, Elsa Gribinski a des vues avisées et pénétrantes sur la littérature, dont elle a une connaissance très vaste. Elle est l’auteur de deux autres anthologies dans la même collection au Mercure de France, Le goût des femmes et Le goût des mots. Dans sa préface au Goût du fantastique, elle écrit : "Des siècles durant, le surnaturel fut naturel et l’imagination quotidienne. […] L’invisible résidait alentour, dans le visible, dans l’immédiat, dans l’immédiatement visible." L’histoire du fantastique montre notamment à quel point les bestiaires d’animaux hybridés ont eu maille à partir avec la figure du monstre et la tératologie, jusque bien après l’antiquité. Chez Homère, Hésiode, Ovide, nombre de héros le deviennent en affrontant des bêtes monstrueuses, tels Thésée vainquant le Minotaure. Un autre mythe illustre le même schéma : Saint-Georges terrassant le dragon. Les êtres mi-hommes mi-bêtes ne manquent pas non plus : faunes, satyres, sirènes, attestent tous de mythes faisant bon usage de l’inquiétante étrangeté. L’ouvrage comporte trois sections, Bestiaire & Cie, De l’au-delà d’ici, Rêver à la folie. Chaque extrait est introduit par un préambule le situant dans le contexte d’une œuvre. Il est suivi d’un commentaire plus long sur la teneur de l’extrait cité ou sur l’auteur et son œuvre― certains écrivains ne se sont pas consacrés exclusivement au genre…
Les textes présentés et analysés proviennent de la littérature gréco-latine, puis française, britannique, russe, allemande, américaine… De l’irréel et du surnaturel au rêve, puis à la folie, nous est offert un éventail permettant de prendre la mesure de l’apparition progressive du rationalisme, puis, après le positivisme, du divorce entre science et imaginaire qui, à partir de Jules Verne, marquera pour le meilleur et pour le pire le XXe siècle. Pour Elsa Gribinski, l’altérité est au premier plan dans le fantastique, mais aussi dans notre rapport aux textes littéraires comme manière de raconter le monde, et aussi de se raconter, se mentir, parler sur l’inconnu… Tout en composant son anthologie, elle a travaillé en résidence, accueillie par l’association Obaoba à la cité Henri-Sellier de Cenon, à l’écriture de Tour intérieure et de Surgir du vague, créés ensuite avec Mathias Pontevia. Ils ont enregistré Surgir du vague et Instable, leur troisième création, lors d’une courte résidence à la Station Ausone. Du 21 février au 27 mars prochains, ils se produiront à Toulouse, Tarbes, Bordeaux, Lille, Louvain-La-Neuve, Amiens.
Le goût du fantastique
Textes choisis et présentés par Elsa Gribinski
Collection Le petit Mercure
Mercure de France
144 pages,10 cm x 16 cm
Novembre 2018
ISBN : 9782715243668
Les textes présentés et analysés proviennent de la littérature gréco-latine, puis française, britannique, russe, allemande, américaine… De l’irréel et du surnaturel au rêve, puis à la folie, nous est offert un éventail permettant de prendre la mesure de l’apparition progressive du rationalisme, puis, après le positivisme, du divorce entre science et imaginaire qui, à partir de Jules Verne, marquera pour le meilleur et pour le pire le XXe siècle. Pour Elsa Gribinski, l’altérité est au premier plan dans le fantastique, mais aussi dans notre rapport aux textes littéraires comme manière de raconter le monde, et aussi de se raconter, se mentir, parler sur l’inconnu… Tout en composant son anthologie, elle a travaillé en résidence, accueillie par l’association Obaoba à la cité Henri-Sellier de Cenon, à l’écriture de Tour intérieure et de Surgir du vague, créés ensuite avec Mathias Pontevia. Ils ont enregistré Surgir du vague et Instable, leur troisième création, lors d’une courte résidence à la Station Ausone. Du 21 février au 27 mars prochains, ils se produiront à Toulouse, Tarbes, Bordeaux, Lille, Louvain-La-Neuve, Amiens.
Le goût du fantastique
Textes choisis et présentés par Elsa Gribinski
Collection Le petit Mercure
Mercure de France
144 pages,10 cm x 16 cm
Novembre 2018
ISBN : 9782715243668
André Paillaugue a fait des études de Lettres à Bordeaux et Paris. Il a été critique littéraire et critique d’art pour Spirit, Junkpage, les Cahiers de Critique de Poésie du Cipm. Il a pubilé aux Éditions de l’Attente et en revue : Ouste, Le Festin, Le Bord de l’Eau, les Cahiers Art & Science, L’intranquille, Espace(s)-CNES.