Isabelle Merlet : "La couleur est un travail intuitif, on est loin de la philosophie !"

Coloriste de bande dessinée ayant travaillé récemment sur l’album La République : d’après l’œuvre de Platon que signe en ce mois d’octobre Jean Harambat chez Philosophie Magazine Éditeur, Isabelle Merlet revient sur sa collaboration avec l’auteur-illustrateur landais et sur ses propres projets.

Comment s’est déroulé votre travail de coloriste avec Jean Harambat qui publie La République chez Philosophie Magazine Éditeur ?

Isabelle Merlet : De manière impromptue. Cette collaboration n’était pas prévue, mais compte tenu de la cadence de travail qu’exigeait la prépublication dans Philo Mag, Jean m’a demandé un coup de main. Je ne me rappelle pas précisément de ses indications, mais il a dû m’envoyer quelques images d’art grec en me disant qu’il me faisait confiance pour trouver une solution pour le long dialogue de Platon et ses hôtes. J’avoue ne pas garder trace de ces premiers échanges, tant la couleur est un saisissement intuitif. Les concepts et les discours n’ont que peu de place ici. En ce sens, on est loin de la philosophie ! Il faut avant tout trouver ce qui fonctionnera avec un dessin donné tout en s’ancrant dans le point d’énonciation de l’auteur. Marcher dans ses traces, conserver l’énergie de son trait. Concrètement, une fois les couleurs posées sur quelques pages, je les envoie par mail à Jean, qui les valide en général très rapidement, puis je fais parvenir les fichiers en haute définition à l’éditeur. Pour La République, cela a été très fluide et naturel.

S’agit-il de votre première collaboration avec Jean Harambat ?

I.M. : Non, nous sommes de vieux complices. J’ai travaillé sur sa deuxième BD publiée dans la revue XXI. Un récit intime et poétique qui se passait dans la ferme familiale des Landes, puis j’ai enchaîné avec sa magnifique adaptation de l’œuvre inachevée de Stevensen, Hermiston, parue en deux tomes chez Futuropolis, disponible maintenant en intégrale. Je la recommande d’ailleurs sous cette forme car j’ai revu la couleur. Ensuite, il y a eu Opération Copperhead, chez Dargaud, une comédie so british qui a valu à Jean (avec le reste de son œuvre) le prix René Goscinny à Angoulême en 2018. Mon époux, Jean-Jacques Rouger, a mis en couleur le deuxième tome de la trilogie, Détection Club, car je n’étais pas disponible. Les couleurs du tome 3 seront signées Jean-Jacques, mais j’y mettrai mon grain de sel, je peux difficilement m’en empêcher !

"Cela fait donc longtemps que nous collaborons, et lorsque je ne fais pas ses couleurs, je reste en soutien, comme disent les sportifs."

En 2020, j’ai fait les couleurs de son livre hommage à Black et Mortimer, La Fiancée de Septimus, coécrit avec François Rivière, chez Dargaud Benelux.

Cela fait donc longtemps que nous collaborons, et lorsque je ne fais pas ses couleurs, je reste en soutien, comme disent les sportifs ! Ce fut le cas sur Ulysse, les chants du retour chez Actes Sud, où j’ai partagé une astuce pour qu’il réalise lui-même ses lavis colorés. Ce que je peux dire, c’est que la collaboration avec Jean Harambat est une des plus agréables, simples et fructueuses que je connaisse. C’est un homme brillant, généreux, diligent, qui ne manque jamais une occasion de parler du travail de la couleur, ce qui est aussi précieux que rare. Et puis ses documents de travail sont toujours originaux, j’ai découvert grâce à lui beaucoup d’artistes anglo-saxons de grand talent. Bref, c’est un échange artistique très nourrissant.

Quels sont vos projets de publication, récemment publiés ou à venir ?

I.M. : Le prochain album qui va sortir est La Jeune Fille et la mer, de Catherine Meurisse, chez Dargaud. Un très beau récit initiatique questionnant notre place dans la nature et le recours à l’art pour conserver les paysages. Au printemps 2022 sortira Moon, de Cyrille Pomès, chez Rue de Sèvres, une rencontre amoureuse au milieu d’une bande de collégiens désœuvrés. Également en bord de mer, la Méditerranée, cette fois. J’aime travailler les lumières naturelles, pour moi c’est toujours le personnage principal, celui qui fait vibrer les mots et les corps. En ce moment, j’entame le prochain album d’Hervé Tanquerelle et Hervé Bouhris, qui sortira chez Casterman fin 2022. Il y est aussi question de voyage, dans une comédie clin d’œil à Hergé, mettant en scène la Joconde, le paquebot France et André Malraux…

Après cela, j’aurais grand besoin d’une pause pour recharger mes batteries et réfléchir à mes propres projets, et notamment une série avec J.J. Rouger autour de la spiritualité, Ashram. J’ai aussi écrit un album jeunesse grâce à ma résidence à la Maison de la littérature de Québec, qui s’intitule pour l’heure Rose dans la nuit blanche, et je souhaite trouver son éditeur.

La République : d'après l'œuvre de Platon
Jean Harambat (scénario et dessin), Isabelle Merlet (couleurs)
Philosophie Magazine Éditeur
Octobre 2021
88 pages
20 euros
ISBN : 2900818141