Anna Cazenave Cambet : "Je fais des films que j’aurais eu besoin de voir plus jeune"
Love me tender, adaptation du livre de Constance Debré, est le dernier long métrage de la réalisatrice néracaise. Au casting : l’émouvante Vicky Krieps, qui a déjà tourné dans la région pour Emily Atef dans Plus que jamais, mais aussi Antoine Reinartz, vu dans Anatomie d’une chute de Justine Triet. Ici, Vicky Krieps incarne Clémence, une avocate qui divorce de son mari, quitte sa vie bourgeoise et se tourne vers ses désirs. Cependant son ex-mari, très en colère de sa nouvelle vie, va l’empêcher de voir son fils Paul. Rares sont les cas où la garde des enfants est retirée à la mère mais Anna Cazenave Cambet entend nous "sortir de la paresse" et nous faire voir d’autres histoires. Une voix-off et des dialogues fins caractérisent le film, dont les deux heures défilent en un clin d’œil. Entretien avec la cinéaste.
---
Quelles sont vos premières impressions à la lecture du livre Love me tender de Constance Debré ?
Anna Cazenave Cambet : Je l’ai lu en 2020 dès sa sortie et je l’ai lu pour moi. C’est un livre qui m’a beaucoup touché, remué. J’ai fait face à des questions que je ne m’étais jamais posées. J’étais jeune maman à l’époque et je n’avais jamais lu ces mots-là. Ce n’est que récemment que les femmes s’autorisent à écrire sur la maternité avec liberté et pas de la manière dont la société attend qu’elles en parlent.
Vous avez été approchée par des producteurs pour adapter le livre. C’était quand ?
Anna Cazenave Cambet : Deux ans après sa sortie, en 2022. Une fois que l’autrice m’a choisi pour la réalisation du film, elle s’est tenue loin. J’ai senti toute sa confiance, j’ai eu de la chance.
Vous dites que vous écrivez beaucoup, que vous aviez été touchée par le rythme, la cadence du livre de Constance Debré, que vous aviez eu une "connexion immédiate". Comment avez-vous pensé l’écriture du scénario ?
Anna Cazenave Cambet : Chaque scénario et chaque film s’écrivent dans une énergie différente. Je n’avais jamais écrit une adaptation. Je pensais que ça se passerait plus tard dans ma carrière. Mais maintenant que j’y pense, c’est assez évident car j’écrivais avant de faire des films. L’écriture est un médium qui me permet de structurer ma pensée. Quand j’ai lu le texte de Constance Debré, j’ai été connectée sur une fréquence que je comprenais donc l’adaptation a été très rapide. J’ai écrit ça dans la période de Noël 2022 et début 2023. J’ai finalisé la première version en dix jours. J’ai été très étonnée, je pensais que ça mettrait beaucoup plus de temps. C’était une expérience joyeuse et jouissive. Comme je suis partie d’un texte préexistant et d’un personnage fort, j’ai eu l’impression d’être accompagnée, et donc d’être en état de paix. Adapter un livre c’est faire un pas de côté par rapport à soi-même.
Vous n’avez pas touché au scénario pendant le tournage, vous arrivez donc à que les acteurs ne modifient pas le texte en cours ?
Anna Cazenave Cambet : Oui, ils ont été très proches du scénario mais ce n’est pas une prison, ils peuvent proposer des choses. Je suis toujours à l’écoute de ce qu’ils peuvent apporter. Mais c’est vrai que depuis mes courts-métrages, je me rends compte que mes films ressemblent beaucoup à mes scénarii. Je prépare beaucoup mes découpages, je suis très proches de mes chefs de postes, ce sont des relations qui se construisent depuis plusieurs films. Quand j’arrive sur le plateau, c’est évidemment un endroit de recherche et de souplesse par rapport à ce qui va se présenter mais ce n’est pas un endroit d’improvisation.
Vous avez déjà utilisé la voix-off et vous la réutilisez dans ce dernier film. Qu’est-ce que vous aimez dans la voix off en général et en particulier dans Love me tender sachant que souvent chez les financeurs elle est décriée dès le scénario ?
Anna Cazenave Cambet : J’adore la voix-off, je fais partie des spectatrices qui aiment ça, notamment dans le cinéma américain et dans des films grands publics comme Fight Club. Pour moi ça n’indique pas un cinéma niche, ultra-intellectuel ou austère.
La voix-off c’est aussi la possibilité d’écouter une histoire qu’on nous raconte comme quand on est petit et j’aime bien ce sentiment. Pour moi, c’est un acte généreux. Pour Love me tender, je voulais qu’on retrouve l’essence du texte qui était fort dans sa structure et dans son langage.
Pourquoi est-ce important d’adapter le roman de Constance Debré aujourd’hui en 2025 d’après-vous ?
Anna Cazenave Cambet : Le personnage de Clémence est un personnage que je n’avais jamais vu dans le cinéma. Quand j’ai sauté à pieds joints dans le projet, étant déjà moi conquise par ce personnage principal, je n’avais pas de doute qu’elle avait un droit d’existence au cinéma mais c’est en entrant dans le financement du film que j’ai compris qu’on mettait les pieds dans quelque chose de plus complexe. Il y a eu des résistances politiques dans plusieurs comités de financements qui dénotaient une misogynie systémique. On me demandait sans cesse dans quelle mesure le spectateur allait pouvoir entrer en empathie avec le personnage principal or je n’ai pas l’impression qu’on exige la même chose des personnages masculins. Je pense à Taxi driver, je ne rentre pas en empathie avec le personnage mais j’aime pour autant beaucoup le film.
Il y a eu aussi des résistances vis-à-vis de l’homosexualité du personnage, on me disait que les spectateurs ne voulaient pas voir ça en salle.
Je ne trouve pas que mon dernier film est une histoire sur l’homosexualité mais plutôt comment faire famille, comment à quarante ans, en tant que femme, on se donne le droit de suivre nos désirs, de mettre notre art au centre de notre vie. Clémence refuse une vie bourgeoise de tous conforts et se marginalise… Je fais des films que j’aurais eu envie ou besoin de voir plus jeune.
Vous avez voyagé partout pour la promotion de ce film, aux États-Unis, au Brésil, au Canada… Qu’est-ce qui vous a marqué dans les retours ?
Anna Cazenave Cambet : Les Montréalais. Ils étaient révoltés de la lenteur du système judiciaire français et décontenancés par l’homophobie systémique en France.
---
Love me tender, de Anna Cazenave Cambet, en salle le 10 décembre 2025
Nathalie Man est une poétesse, autrice et street-artiste française d'origine hongkongaise et espagnole. Elle affiche ses poèmes dans les rues de France et d’ailleurs depuis 2013. Ses poèmes à caractère social, politique et féministe sont traduits dans la langue du pays où elle se rend pour les afficher ainsi ils sont disponibles en anglais, mandarin, espagnol et khmer. Son poème féministe Nous serons infatigables se retrouve en deux mosaïques, l'une trencadis et l'autre romaine en face des Citernes et à la Mairie de Bacalan (Bordeaux). Sa démarche est rendue publique par Arte Twist en décembre 2025. Elle a récemment publié Les hommes sont absents aux éditions Lanskine et Insubmersible aux éditions Klac. Elle mène des ateliers d'écriture pour tous les publics dans le monde, elle écrit des piges, fait office de fixeuse et joue parfois pour le cinéma. Elle s'essaie aux cartes blanches radiophoniques.