Josep
En s’emparant de la Retirada, Josep, en salle ce mercredi 19 mars, lève le voile sur un épisode généralement oublié de l’histoire européenne au cours duquel 500 000 Espagnols fuyant la dictature de Franco ont atterri dans des camps de concentration dans le Sud de la France. Mais c’est aussi et peut-être avant tout de dessin dont le film* parle, du trait comme contestation politique, de l’expression d’une représentation satirique de l’actualité. Entretien avec le scénariste Jean-Louis Milesi, le producteur délégué Serge Lalou (Les Films d'Ici Méditerranée) et la productrice exécutive Catherine Estèves (Les Films du Poisson Rouge).
Josep, film soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine et accompagné par ALCA, a reçu le César 2021 du meilleur film d'animation pour le long métrage.
Comment les choix scénaristiques arrivent-t-ils à associer la dimension de témoignage et celle de reconstitution dramaturgique, à marier la grande Histoire à celle du héros principal ?
Jean-Louis Milesi : Très modestement, mon rôle s’est cantonné à écrire un scénario, qu'Aurel s’est ensuite accaparé de manière merveilleuse. Je n’avais aucune idée de ce qu’il allait en faire. Je n’ai fait que lui fournir un support, une histoire. J’aurais pu écrire pratiquement la même histoire pour un film qui n’aurait pas été d’animation. Mon travail s’est un peu adapté, mais pas tant que ça.
Pour ce qui est de la grande Histoire, Aurel m’a contacté et m’a fourni des éléments sur Bartoli que j’ai étudiés. J’avais un peu entendu parler de ce sujet, mais on ne l’a jamais étudié à l’école. Il m’a laissé carte blanche. Aurel avait envie de faire un biopic sur Bartoli, mais je n’étais pas sûr de pouvoir le faire et n’en voyais pas l’intérêt.
J’ai été frappé par l’accueil qui a été réservé à ces réfugiés espagnols par la France et c’est là-dessus que j’avais envie d’écrire. Comme fil conducteur, j’avais de sa part la transmission, le dessin ; c’est un dessinateur voulant rendre hommage à un dessinateur. C’est une fiction et j’ai inventé ce personnage annexe, ce gendarme, qui va nous permettre de raconter l’histoire vu de l’extérieur et de l’intérieur, et de créer des relais sur ce que le gendarme va comprendre de la vie et de l’art par cette rencontre avec Josep et comment lui-même va pouvoir transmettre quelque chose par son petit-fils.
Serge Lalou : Quelles que soient les techniques utilisées, la Retirada était de toute façon au cœur de l’histoire de Bartoli. En revanche, ce qui nous réunit tous les trois, c’est un dessinateur qui fait un film sur un autre dessinateur : comment arrive-t- on à garder cette idée du trait, du dessin, au lieu d’être dans des techniques d’animation classique ? Comme le dit Aurel, en termes de mise en scène, on est juste derrière l’épaule du dessinateur. On ne plonge pas directement dans la fiction et le récit, on a un point de vue différent, qui se traduit techniquement de manière différente.
"Certaines scènes sont plus ou moins animées, c’est une façon d’afficher le dessin, qui soutient le scénario."
Catherine Estèves : Le dessin est un outil de narration à part entière, c’est un élément du scénario. Le trait est narratif. Certaines scènes sont plus ou moins animées, c’est une façon d’afficher le dessin, qui soutient le scénario.
Ce projet est né de la découverte par Aurel du livre de Georges Bartoli qui narre le périple de son oncle, Josep. Comment vous êtes-vous joints à ce projet, et comment s’est articulé le travail entre écriture, production, et fabrication ?
S.L. : J’ai découvert ce projet comme tuteur de développement en Occitanie. Le premier producteur est malheureusement décédé ; on lui rend hommage dans le film. J’avais conseillé à Aurel de contacter un scénariste pour structurer cette histoire. Quand le projet est revenu avec un scénario retravaillé, on est parti dans un long processus de production. Puis j’ai été mis en contact avec Catherine, qui est à la fois arrivée en coproduction et a également assuré la production exécutive. On a ensuite agrégé d’autres personnes. C’est un processus qui a duré 10 ans pour Aurel, 5 ans pour moi…
C.E. : …et 2 ans me concernant.
Le film a été réalisé en conjuguant des talents issus de différents horizons. En quoi le choix de la Nouvelle-Aquitaine a influé sur la réalisation du film et son esthétique, en dehors de l’apport des aides qui ont dû jouer un rôle dans l’économie du film ?
S.L. : Cette histoire a imprégné la Nouvelle-Aquitaine et l’Occitanie, elle est au cœur de nos régions. Les Films du Poisson Rouge, avec Catherine, ont développé un savoir-faire exclusif, qui devient notre point de jonction. Le choix de la Nouvelle-Aquitaine s’est fait sur la base de compétences. Les financements en région ont pour but de renforcer les spécificités des compétences de ces régions.
"Le premier train des réfugiés espagnols qui est parti dans les camps de la mort est parti d’ici. Je me suis dit qu’on se devait de faire ce film ici en région."
C.E. : Sans nos savoir-faire et notre technologie, nous n'aurions pas pu faire ce film dans le temps très court, le budget imparti, ni dans le respect de la volonté d’Aurel. Il fallait une compétence technique très particulière. On est venu à notre rencontre dans cet esprit-là. Nos spécificités et notre savoir-faire particulier sont maintenant reconnus ; on vient nous chercher pour cela avant tout. L’objectif des aides est de soutenir nos savoir-faire et de les afficher, et cela fonctionne. J’ai beaucoup défendu le film en région. Je suis très sensible au dessin de presse et de caricaturiste. Je suis une fan de Gus Bofa et ce projet m’a permis de découvrir son contemporain, Josep. L’idée que ce soit un dessinateur qui affiche un autre dessinateur, j’ai trouvé cela magnifique. Dans mon travail de productrice, j’ai un devoir citoyen et un devoir de mémoire. Le premier train des réfugiés espagnols qui est parti dans les camps de la mort est parti d’ici. Je me suis dit qu’on se devait de faire ce film ici en région.
S.L. : On a des compétences très différentes. Mon expérience de producteur audiovisuel et cinéma est plutôt tourné vers le cinéma d’auteur et à l’international. Catherine a un autre type d’expérience. Les deux ont été très complémentaires pour mener à bien un projet pareil. C’est une forme de travail d’auteur qui ouvre des champs non classiques pour les films d’animation. Le film touche plus largement que ce qu’on pensait au départ, et potentiellement à l’international. Ce sont ces associations de savoir-faire et cette complémentarité qui placent le film dans un endroit singulier et à potentiel.
C.E. : Pour moi qui travaille dans l’animation depuis plusieurs années, la scission entre cinéma et animation m’est insupportable. C’est un film de cinéma, qui a toute ses chances d’être repéré et reconnu.
Josep sort en salle le 30 septembre [Cet entretien a déjà été publié le 29 septembre 2020, à l'occasion de la première sortie en salle du film, ndlr]. Qu’est-ce que la crise sanitaire change dans l’orchestration des avant premières et la commercialisation du film ? Est-ce que le fait d’avoir été dans la sélection officielle cannoise change la donne malgré ce contexte exceptionnel ?
S.L. : Un premier film venu de nulle part sur un sujet peu connu, qui par sa forme fait partie de la sélection cannoise, cela met un coup de projecteur qui fait que ce film va avoir une visibilité très forte. Le fait que le festival n’ait pas lieu est plus problématique. Néanmoins, le film est repéré, et il sera montré l’année prochaine. Il va avoir le problème de tous les films, à savoir qu’il sort le 30 septembre et personne ne sait pas combien de personnes vont venir dans les salles. Tout ceci est inespéré quand on pense au fait que quelques semaines avant de décider si on faisait le film ou pas (car on n’avait pas l’argent pour le faire), on était dans une pizzeria avec Aurel à Montpellier qui me demandait si on en faisait un bouquin…
"Le film joue son rôle mémoriel. On entend dans les projections des témoignages bouleversants. Les échos avec le présent sont forts sur la question de l’exil, du statut des réfugiés, de la construction d’une mémoire collective."
Les avant-premières s’organisent, avec des débats passionnants. Il y a une exposition itinérante. Le film est soutenu par l'Afcae, il plait aux exploitants et à la presse. La seule question est la présence des spectateurs dans les salles. Au-delà de ça, le film joue son rôle mémoriel. On entend dans les projections des témoignages bouleversants. Les échos avec le présent sont forts sur la question de l’exil, du statut des réfugiés, de la construction d’une mémoire collective. On a plus de questions sur le fait que le film intéresse et touche. La singularité de son écriture n’est pas un obstacle, bien au contraire, c’est plutôt une source d’adhésion assez forte au film.
L’animation a ouvert la voie à la collaboration à la fois interrégionale et internationale : ce film s’est fait avec la Catalogne en Espagne, l’Occitanie, la Nouvelle-Aquitaine, les Hauts-de-France, le Grand Est, la Belgique. Dans la production indépendante, l’existence d’un investissement public est absolument nécessaire. Le travail s’est très bien réparti sans que cela ne pose aucun problème artistique. C’est un enseignement important pour la production indépendante. Cela est une force. Sans les régions, le film ne se fait pas, il est trop atypique, alors qu’il est au cœur d’un projet culturel qui est plus que jamais à l’ordre du jour.
J-L.M. : Ce projet vient de très très loin. Au départ, on n’était pas nombreux à y croire. D’ailleurs le CNC ne nous a pas soutenus. Il s’est fait grâce à la ténacité de son producteur. Au début, on disait à Aurel qu’on ne croyait pas à ce dessin. C’est marrant de voir le consensus qu’il y a autour maintenant.
S.L. : À un moment-clé, tous les potentiels partenaires du film, dont la plupart ne se connaissaient pas, se sont réunis à Paris autour d’une table. On s’est dit que pour y arriver, il allait falloir inventer quelque chose tous ensemble, dans une relation artistico-financière inédite, sans quoi le film ne se ferait pas. L’engagement était profond, et les raisons n’étaient pas financières.
C.E. : Le modèle économique de ce film est un exemple. On a fait la preuve que ce modèle économique interrégional fonctionne quand il s’agit de soutenir des aventures humaines et défendre des projets spécifiques et singuliers, et c’est là tout son intérêt. Il faut continuer dans cette voie-là pour proposer quelque chose d’autre en France. Cela permet de nous identifier par rapport au reste du monde.
*Josep de Aurel / Production : Les Films d'ici / Ventes : Doc & Films International / Distribution France : Sophie Dulac Distribution /1h20
Février 1939. Complètement submergé par le flot de Républicains fuyant la dictature de Franco, le gouvernement français ne trouve comme solution que de parquer ces Espagnols dans des camps de concentration où les réfugiés n’auront d’autres choix que de construire leurs propres baraquements, de se nourrir des chevaux qui les ont portés hors de leur pays, et de mourir par centaines à cause du manque d’hygiène et d’eau... Dans un de ces camps, deux hommes, séparés par un fil de fer barbelé, vont se lier d’amitié. L’un est gendarme, l’autre est Josep Bartoli (Barcelone 1910 - New York 1995), combattant antifranquiste et dessinateur.
Film soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine, en partenariat avec le CNC, et accompagné par ALCA