L'Aventurier malgré lui
Et si pendant cette période de confinement, nous reprenions le chemin des romans-feuilletons d’antan ? Attention, dépaysement et humour garanti avec L'Aventurier malgré lui de Camille Debans !
C’est le petit voyage quotidien que je vous propose pour vous évader l’esprit, délaisser notre actualité du XXIe siècle pour vous replonger il y a près de 150 ans dans un temps où la découverte surgissait chaque semaine sous la plume d’écrivains populaires. La grande Histoire a retenu les plus célèbres d’entre eux, Honoré de Balzac, Eugène Sue, Alexandre Dumas, Guy de Maupassant et Jules Verne bien sûr pour n’en citer que quelques-uns. Mais ils furent des dizaines et des dizaines à noircir de la copie pour satisfaire les lecteurs de l’époque. Les journaux étaient remplis de ces colonnes où l’imagination débordante s’en donnait à cœur joie, tenant en haleine des milliers de lecteurs chaque semaine.
Le roman populaire, c’est d’abord, faut-il le rappeler, une révolution technique. Si une certaine tradition nous venait d’Angleterre dans la besace des colporteurs, où s’échangeaient les almanachs et les livres de sorcellerie dès la fin du XVIIIe siècle, la littérature, avec le nouveau siècle, devenait une activité économique importante grâce au développement des techniques de fabrication du papier et des progrès de l’imprimerie. Pour la première fois, des auteurs pouvaient faire fortune dans la carrière littéraire sans le concours de mécènes. Chacun avait sa chance, c’est le succès des ventes des journaux qui parlait ! C’est aux alentours de 1830 que furent réunies toutes les conditions matérielles et psychologiques permettant la naissance d’une littérature populaire, d’une véritable littérature de masse, une "littérature industrielle" (le mot méprisant est de Sainte-Beuve). Tout était ouvert à l’imagination débordante des auteurs, mœurs du temps, intrigues sentimentales, épisodes historiques, voyages dans le temps et l’espace… Le roman populaire, c’est la quête de l’évasion, du dépaysement, c’est la grande aventure du "liseur", ce décathlonien du livre qui dévore les pages comme d’autres dévorent les kilomètres et les étendues d’eau. En nos temps de bidules à lire électroniques et nos liseuses, profitons-en !
Le livre que nous vous proposons aujourd’hui, L’Aventurier malgré lui, est un exemple parfaitement emblématique de cette production foisonnante. Publié au tournant du siècle suivant, en 1899, dans la collection Aventures et Voyages du Livre National chez l’éditeur Tallandier à Paris — celle-ci plus connue pour les amateurs comme la Collection bleue —, il était paru précédemment sous la forme de feuilletons dans le célèbre Journal des Voyages. C’est un "grand roman d’aventures", comme le vante la couverture et sans doute l’argument publicitaire de l’époque. Cet éditeur Tallandier, héritier de la Librairie Polo, devint d’ailleurs en moins de vingt ans l'une des figures de proue de l’édition populaire avec à la barre les deux frères Charles et Jules Tallandier.
L’auteur de cet Aventurier malgré lui, Camille Debans, est né à Caudéran (quartier bordelais) en 1834. Après des études de droit, il devient successivement clerc de notaire, employé de banque puis se tourne définitivement vers l’écriture et le journalisme. À 25 ans, il entre au Figaro et collabore à d’autres revues comme La Revue Internationale et Le Temps. Il gravit rapidement les échelons, puisque six ans plus tard il devient le secrétaire de rédaction du Moniteur, puis le directeur de cette même revue en 1871. Parallèlement à son activité de journaliste, il écrit de nombreux romans le plus souvent dans une veine sociale qui paraissent en feuilletons. Succès au rendez-vous, Camille Debans publiera plus d’une trentaine de titres entre 1859 et 1903, s’essayant à tous les genres, romans historiques, romans de voyage, romans d'aventures, romans sentimentaux, avec toujours un ressort humoristique. Il mourra à Paris en 1910.
"Enlèvements, quiproquos, mensonges, vengeances, explosions, passions se succèdent au fil des pages. Tout y est ! Hommes d’affaires, bandits de grands chemins, cow-boys, peaux-rouges, autant de personnages hauts en couleurs qui ne dépareraient pas une pellicule en Cinémascope."
ALCA Nouvelle-Aquitaine avait déjà republié au format numérique Les Malheurs de John Bull dans la série des Clés du Patrimoine écrit, il y a quelques années. Avec cet Aventurier malgré lui, qui est l’un de ses derniers livres, Camille Debans nous propose les tribulations de Claude Michon, un trentenaire du quartier Saint-Lazare à Paris. Ce dernier déteste les voyages, préférant le confinement de son appartement cossu. Bien malgré lui, il se retrouve à jouer les aventuriers et se lance sur les traces de sa jeune épouse Sophie, partie retrouver en quête d’héritage son oncle en Amérique. En la compagnie du petit noir Boubou, Claude se découvrira donc au fur et à mesure une véritable âme d’aventurier. Tous les moyens de transport seront au rendez-vous de ce grand périple complétement délirant : trains, voilier, paquebot, voitures, automobiles, calèches, carrioles, steamers, bicyclettes, chevaux qui nous mèneront successivement au Havre, sur l’Atlantique, à New York, en Louisiane, sur les bords du Mississipi, à Saint-Louis et dans les confins des déserts du Missouri. Avec un rythme effréné, tous les ressorts seront convoqués au fil de l’histoire qui tient à la fois du vaudeville pour son humour et du roman d’aventure pour ses rebondissements, la variété des paysages sur le territoire américain, entre modernité et tradition. Enlèvements, quiproquos, mensonges, vengeances, explosions, passions se succèdent au fil des pages. Tout y est ! Hommes d’affaires, bandits de grands chemins, cow-boys, peaux-rouges, autant de personnages hauts en couleurs qui ne dépareraient pas une pellicule en Cinémascope. On ne peut d’ailleurs s’empêcher de penser aux films de Philippe De Broca à travers cette histoire qui tient à la fois de l’Homme de Rio et des Tribulations d’un Chinois en Chine. Camille Debans, dans ce dernier livre, joue avec humour en forçant le trait les clichés du genre ; c’est l’auteur malgré lui qui se prend à son propre jeu. Il convient de signaler aussi des portraits de femmes, féministes avant l’heure, particulièrement réussis. Tout cela donc avec une pirouette finale qui, si elle est bien sûr assez attendue, clôt une délicieuse histoire. On comprend qu’elle ait pu tenir en haleine son lot de lecteurs à l’époque, on comprend pourquoi elle vous divertira comme nous aujourd’hui.
Allez, en avant pour L’Aventurier malgré lui !