L’Époque
En salle le 17 avril, L’Époque est bien plus qu’un documentaire sur des jeunes filmé à Paris par Matthieu Bareyre entre 2015 et 2017. Soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine et accompagné par ALCA, c’est un film sur des jeunesses aux destins distincts mais aussi une génération qui connaît sous différentes formes la même souffrance.
Vous filmez la jeunesse française à Paris, de 2015 à 2017, période où les tensions sociales se sont exacerbées avec, notamment, la mobilisation contre la loi El Khomri et la dernière élection présidentielle. Dans quelle mesure ce contexte vous a-t-il incité à faire ce documentaire ?
Matthieu Bareyre : Ce film est une réponse à toutes les humiliations et rappels à l’ordre que j'ai dû encaisser, en tant que jeune, de mon adolescence jusqu'à aujourd’hui. Le contexte politique n'a fait qu'ajouter de la rage à la honte.
M.B. : Une jeunesse ? Rien qu'une seule ? Voilà ce que je crois : soit L’Époque montre la jeunesse, et c’est ce que certains jeunes sous-entendent, en écrivant dans leurs stories Insta que L’Époque est "le film de notre génération". Soit elle montre des jeunesses, issues de différentes classes, aux styles de vie, aux genres et aux problèmes multiples : en gros, tout ce que je ne voyais pas au cinéma depuis des années et que j’ai voulu mettre dans ce film. Mais une jeunesse, vraiment, je ne crois pas.
Que la souffrance soit la seule chose que le monde dont nous héritons propose à la ou les jeunesses, ça, en revanche, je n’en doute pas un seul instant. Nos grands-parents avaient le chagrin et la pitié. Nos parents l’insouciance puis l’impuissance. Il nous reste quoi comme sentiments ? Sans doute la joie et la colère.
Quasiment absente de votre moyen métrage, Nocturnes (2005), la musique occupe une place importante dans L’Époque. Rap, électro et Vivaldi se côtoient tout le long du film, renforçant cette dimension de forts contrastes...
M.B. : Mon plus grand bonheur, c’est de me dire que la forme à laquelle ressemble le plus L’Époque, c’est celle d’un album de rap. Je fus très marqué en 2014 par Adieu au langage de Godard, en lequel je voyais un sommet du cinéma samplé. Je me lance toujours dans un film avec l'envie de faire autre chose que du cinéma. Pourquoi ? Parce que le cinéma ne me semble plus un art très intéressant. Les bons films sont des accidents. Il est devenu ce que dénonçait Elie Faure il y a longtemps au sujet d'une certaine peinture de son temps : "un art de tout repos qui convient aux classes cultivées". Je sens bien que ce n'est plus là que ça se passe pour les jeunes. Alors, bien sûr, on va nous opposer des chiffres, que la jeunesse fréquente toujours beaucoup les salles... Mais pour voir quoi ? Soyons clairs : la cinéphilie est depuis un moment une passion de vieux. Sincèrement, je pense qu'à peine 2 % des centaines de jeunes que j'ai rencontrés dans la rue se sont déjà aventurés dans une salle Art et Essai. Et ce n'est pas le jeune que je fus qui leur donnerait tort. S'ils ne vont plus dans les salles voir autre chose que des Marvels, c'est qu'au fond, ils sentent bien que ce qu'on leur propose ne leur est pas destiné ou ne les concerne pas au plus haut point.
"Le cinéma s'assoupit au sein de frontières que ma génération fait sauter dans d'autres arts."
Le film s’ouvre avec un plan montrant Rose, place de la République, se questionnant : "Bon alors, par quoi je commence ?" Cette interrogation, en quelque sorte l’incipit de votre documentaire, serait-elle l’illustration d’une jeunesse qui se bat contre tant de causes diverses qu’elle en perdrait le fil ?
M.B. : Le fil ou le film ? Personnellement, je trouve toujours plus vite les débuts que les fins. Parce que la fin est toujours dans le commencement. Si on bâtit sur de mauvais fondements, rien qu’en regardant le socle, on peut prévoir la chute. Alors, comme Rose, je suis toujours en train de me dire : "Bon alors, par quoi je commence ?"
L’Époque, comme Nocturnes, a bénéficié du soutien de la Région Nouvelle-Aquitaine et d’ALCA. Qu’a apporté au film cet accompagnement ?
M.B. : Au cours de ces quatre années, j’ai entendu beaucoup d’horreurs au sujet de ma génération dans des commissions de financement : parfois du mépris de classe, le plus souvent du mépris de génération. De l'ignorance à tous les coups. Car évidemment, pas une des personnes décisionnaires n’avait moins de 40 ou 45 ans...
"Le film leur paraissait être 'un risque trop grand', ce qui me parait être une magnifique définition du cinéma."
Vous faites partie des très rares à nous avoir soutenus. La plupart des guichets se sont fermés. Le film leur paraissait être "un risque trop grand", ce qui me parait être une magnifique définition du cinéma. Alors merci : merci d’avoir pris ce risque avec nous, de l’avoir compris et partagé. D'avoir su regarder l'époque et la jeunesse en face.