L'œuvre de Christian Signol à l'honneur chez Bouquins
Christian Signol est né en 1947 dans le Quercy et vit à Brive-la-Gaillarde (Corrèze). Sa carrière d’écrivain a débuté en 1984 avec Les Cailloux bleus (Robert Laffont). Le succès rencontré alors ne s’est pas essoufflé et ses livres ont été traduits dans une quinzaine de langues. Bouquins éditions donne aujourd’hui une nouvelle vie à cinq de ses romans réunis dans un recueil. Ses livres, que ce soit de grandes sagas populaires ou des récits plus intimistes, sont nourris de son enfance dans le causse lotois. Les paysages et la vie des paysans marquent profondément son œuvre. On y rencontre des hommes et des femmes qui ressemblent aux siens, qui expriment leurs idées, leur droiture et leur courage.
Les Cailloux bleus
Le Pays bleu réunit deux romans : Les Cailloux bleus et Les Menthes sauvages. Commençons par Les Cailloux bleus.
1897. Les Laborie sont métayers sur les terres du domaine du maître Johannès Delaval, le maire du village de Quayrac. Homme puissant, il agit tel un seigneur à l’encontre de ses serfs. Alors que le monde paysan s’épuise au labeur sur les côteaux du causse lotois, et vit dans la misère sans autre perspective pour ses enfants, la IIIe République s’ébranle et les grandes idées égalitaires finissent par se propager dans les coins de campagne les plus reculés. Ainsi, si les parents Laborie restent soumis au maître jusqu’à accepter ses humiliations, il n’en est pas de même pour leurs fils. Étienne, l’aîné, est le premier à refuser cet état de fait. Il partira en Algérie, là où la terre s’achète à bas prix, et sera son propre maître. Abel, le plus jeune fils, obtiendra sa liberté en devenant artisan, nourri par les idées révolutionnaires d’Armand, le sabotier du village. La seule Laborie qui saura lire et écrire est Philomène, leur fille, même si le temps de l’école est de la main d’œuvre perdue pour la famille.
Les idées révolutionnaires que fait naître la IIIe République vont scinder le village : certains aspirent à une société plus égalitaire, d’autres, par peur, par conviction ou par croyance, resteront soumis au maître dont leur subsistance dépend. De l’école publique et laïque, de la séparation de l’Église et de l’État jusqu’à la Première Guerre mondiale, les villageois se déchirent et composent entre la perspective d’un monde meilleur et les traditions auxquelles ils sont attachés. Philomène, personnage principal du récit qui se déroule jusqu’à la fin de la guerre de 1914-1918, vit entre ces deux mondes sans savoir lequel choisir. Sans savoir si elle est prête à tant de bouleversement, à abandonner ce qu’elle connaît : sa terre.
Les Menthes sauvages
Vingt ans après la Première Guerre mondiale, Philomène et son mari, Adrien, ont repris leur vie de fermiers. Mais le répit est de courte durée. La crise économique de 1929 oblige les paysans à s’adapter à un monde de plus en plus productiviste : investir et s’endetter auprès des banques pour s’équiper de machines agricoles devient la seule perspective pour survivre. Certains s’engouffrent dans ce système mais Adrien s’y refuse au grand dam de son fils qui ne veut pas continuer à cultiver leurs terres sans l’aide de machines. C’est au milieu de ce conflit de générations que la Seconde Guerre mondiale frappe, emportant avec elle la main-d’œuvre paysanne. Philomène et Adrien voient leur fils aîné se ranger du côté du gouvernement de Vichy pendant que leur fils cadet est arrêté et envoyé en Allemagne dans un camp de travail forcé. La paix sonne le temps des retrouvailles mais également celui des règlements de compte. Les naissances des petits-enfants adoucissent les blessures et donnent à Philomène et Adrien la possibilité d’entrevoir une vie nouvelle sur cette terre qui les a vu naître.
Le Chemin d’étoiles
David s’appellera désormais Daniel. À dix ans, ce petit garçon va changer de vie, quitter Paris où les Juifs sont menacés par les nazis pour Florac, un petit village du Lot. À la ferme où il est caché, il y a Julia et Baptiste, les grands-parents, Rose leur fille et Lisa leur petite-fille. Si tous l’accueillent à bras ouvert, ce n’est pas le cas d’Alfonse, le gendre, un homme bourru et brutal : Daniel est une bouche de plus à nourrir. Cependant, le garçon fait peu à peu sa place dans sa nouvelle famille en participant aux travaux de la ferme. Aux côtés de Baptise, il apprend à lire les étoiles et le chemin qui conduit vers ceux que l’on aime et que l’on a perdus. Julia devient sa confidente, Rose douce comme du miel est son réconfort. Quant à Lisa, elle ne parle pas, elle est une enfant différente. Elle s’attache à Daniel comme une nécessité vitale, Daniel qui lui promet qu’ensemble ils partiront d’ici. Ce lien qui les relie rend Alfonse jaloux, lui qui n’arrive pas à comprendre son enfant, qui la bat pour la faire obéir, parce qu’elle n’est pas "normale", lui qui, dans sa colère, menace Daniel de le livrer aux policiers. Lisa ne trouve pas l’amour de son père. Daniel sait désormais qu’il ne reverra jamais ses parents. Ensemble, ils choisiront le chemin d’étoiles en direction du Grand Chariot pour vivre leur voyage.
Les Amandiers fleurissaient rouge
Soledad et Miguel se sont mariés dans la précipitation, une heure avant que Miguel ne soit enrôlé dans l’armée franquiste. Ils auraient pu fuir si la menace de représailles sur leur famille ne les en avait pas dissuadés. Car la stratégie de Franco est de semer la peur, ici en Aragon comme ailleurs : assassiner les réfractaires, bombarder les villages. La mort, Miguel la trouve quelques jours à peine après son départ. Soledad est désormais seule pour élever leur enfant. Mais ici, cela ne se fait pas, alors elle épousera Luis, un milicien rencontré sur un chemin de montagne. Il faudra attendre qu’il rentre du combat, puis qu’il sorte de prison pour qu’ils se marient et fuient vers Barcelone qui résiste encore. Là-bas, Luis reprend les armes à contrecœur pour défendre la ville menacée par les nationalistes. Mais en vain, Barcelone tombe. Soledad et Luis sont séparés. Ils prennent le chemin de l’exil chacun de leur côté. Vers la France. Ils affrontent la faim, le froid, les camps. Seul l’espoir de leurs retrouvailles les maintient en vie. Elles auront lieu trois ans plus tard, alors que Soledad et son enfant ont été recueillis par des fermiers du Lot, alors que Luis a été enrôlé comme travailleur à soixante kilomètres de là seulement. Grâce à la solidarité des villageois et des paysans, ils pourront s’en sortir, reconstruire leur vie et cultiver la terre même si ce n’est pas celle de l’Aragon où leur cœur est resté.
L’Enfant des terres blondes
Au village, les gens pensent que sa mère est folle parce qu’elle parle aux arbres. Son fils ignore pourquoi elle est comme ça, quelle est la blessure qui la fait souffrir, et pourquoi son père les a abandonnés. Heureusement que Gustave l’a mariée. Mais après la mort de Gustave, comment rester vivre à la ferme ? Vincent et sa mère ne pourront pas y travailler seuls, tout le monde le dit. Quelque chose se prépare, quelque chose qui les séparera, lui et sa mère et, si c’est le cas, Vincent se tuera. Le pitiou, c’est comme ça que les gens appellent Vincent, est alors recueilli par les Cambresou, et sa mère ira vivre chez Léonie, sa parente. Ils se voient tous les jours mais cette situation ne pourra pas durer. Vincent se met en tête de retrouver son père, pose des questions, mais les réponses évasives laissent à penser que le mystère cache des choses honteuses. Pourquoi sa mère regarde avec tant d’instance Luigi, cet ouvrier italien qui travaille dans les champs ? Pourquoi dépose-t-elle des gerbes de fleurs sur la tombe de trois hommes du village tués pendant la guerre ? Pourquoi le feu de la Saint-Jean l’effraie-t-elle ? Tout le monde sait et se tait. Mais le pitiou n’en peut plus de ces silences, au point de vouloir mourir, alors Léonie finira par lui raconter l’histoire de sa mère, pour qu’enfin, le pitiou puisse avoir un nom.
À travers ses romans, Christian Signol récrée le temps perdu. Son enfance fut si dense et si riche qu’elle s’est épanouie dans des livres qui portent le meilleur de lui-même, des vies de gens simples au destin parfois tragique, pour témoigner et résister au temps et à l’oubli.
Le Pays bleu raconte la vie de ses grands-parents maternels et de ses parents. L’auteur dresse ainsi une fresque historique de la vie d’un village du causse lotois, un portrait du monde paysan qui se voit bousculé au fil des années par les lois des Hommes et l’industrialisation.
Le Chemin d’étoiles témoigne de l’histoire d’une femme qui avait recueilli un enfant juif pendant la guerre de 1939-1945. C’est le roman de l’innocence face à la folie du monde et celui de la générosité humaine.
Les Amandiers fleurissaient rouge, écrit bien avant Les Cailloux bleus, s’inspire de l’histoire d’un réfugié espagnol qui lui racontait sa guerre et l’exil en France à travers les Pyrénées en 1939, après la chute de Barcelone. L’espoir y est un fil rouge jamais rompu.
L’Enfant des terres blondes retrace le souvenir d’une femme un peu simple de son village natal, dont on disait qu’elle avait connu un drame familial pendant la guerre. Christian Signol a imaginé ce qui avait pu l’ébranler en s’identifiant à un fils qui aurait cherché à la comprendre. Cet enfant, dont il fait le narrateur, affronte une existence douloureuse dans une période d’après-guerre meurtrie.
Le Pays bleu et les autres romans qui composent ce recueil ont quelque chose d’universel par ce qu’ils racontent de la vie de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants du monde rural. Ils font écho à un pan de notre histoire personnelle. Que nous soyons enfant de la terre ou enfant de la guerre, enfant d’ici ou enfant d’ailleurs, nous sommes avant tout les enfants d’une histoire commune sur laquelle s’est construite l’humanité. Christian Signol, dans la grande tradition des romanciers naturalistes, met en lumière la vie des petites gens et les inscrit au rang de héros de leur temps.
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Le Pays bleu, suivi de Les Chemins d’étoiles, Les Amandiers fleurissaient rouge, L’Enfant des terres blondes, Bouquins, "La Collection", 2023.