La Fameuse Invasion des ours en Sicile
Adaptation d'un conte pour enfants de Dino Buzzati, La Fameuse Invasion des ours en Sicile sort en salle ce mercredi 9 octobre. Son réalisateur Lorenzo Mattotti et le producteur Christophe Jankovic, dont la société Prima Linea est implantée à Angoulême, reviennent sur la fabrication de ce film d'animation soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine et accompagné par ALCA.
Lorenzo Mattotti : J’avais déjà participé à l’Eros de Michelangelo Antonioni (2004) et contribué aux personnages et aux décors de Pinocchio de Enzo Alo (2012), avant de réaliser un des épisodes de Peur(s) du noir (2007).
Christophe Jankovic : Peur(s) du noir était déjà produit par Prima Linea. Travailler avec nous sur La fameuse invasion des ours en Sicile est le fruit d’une étroite et longue collaboration avec mon associée Valérie Schermann.
La beauté du dessin et le travail des couleurs sont à couper le souffle. Comment avez-vous choisi votre palette de couleurs ?
L.M. : Rien de plus difficile que d’expliquer les couleurs ! Ce n’est pas un travail très rationnel. Généralement, dans le cinéma d’animation, on travaille en aplats de couleurs. Moi, au contraire, je voulais une symphonie de couleurs. Des couleurs vivantes. Je crois que les couleurs ont une énergie. Et je voulais ouvrir les espaces, travailler la très grande profondeur de champ. Je déteste les effets de brouillards, ces rayons de lumière flous qu’on retrouve parfois dans certaines animations, qui cachent le paysage. Je voulais une image très nette, qu’on ait la sensation d’un air net et pur qui permette de voir un paysage très lointain.
C.J. : Tes deux mots-mantra étaient "profondeur" et "énergie" ! Tu répétais inlassablement ces mots à chaque membre de l’équipe.
L.M. : Oui, j’avais envie de donner un maximum de profondeur à l’image pour tirer profit des possibilités qu’offre l’écran de cinéma, contrairement à la feuille de papier. Cette profondeur permet au décor d’exister sans le réduire à une simple toile de fond crayonnée. Je me suis aussi beaucoup nourri des dessins de Buzzati lui-même.
Les ombres aussi sont une figure poétique qui se décline tout au long du film…
L.M. : Travailler sur les ombres, c’est travailler sur le mystère. Tout mon travail est basé sur les ombres. L’ombre crée le volume d’un personnage et son rapport au paysage. Pour le travail de création de lumière, j’ai collaboré avec Julien De Man qui a apporté son talent de chef décorateur au film.
C.J. : L’animation des ombres requiert souvent une technique spécifique et une équipe dédiée. Pascal Herbreteau l’a dirigée avec brio.
Le film est aussi très chorégraphique. On pense aux comédies musicales de Busby Berkeley…
L.M. : Oui, c’est un clin d’œil ironique à sa mise en scène des ballets : ces longues perspectives, cette multiplication à l’infini des danseurs. On a beaucoup travaillé sur le mouvement des corps. Les personnages s’expriment moins par leur visage que par leur corps : la façon de marcher des ours ou de danser des fantômes…
"C’était vraiment un beau travail d’équipe. Ce n’est pas le film "de Mattotti", chacun y a apporté sa propre richesse, son goût du détail."
L.M. : Il y a une sorte de magie fellinienne qui dédramatise la bataille et les morts. Plutôt que de faire un montage parallèle banal, j’ai voulu mélanger les deux actions. Il n’y a que le cinéma qui permet ce genre de fantaisie.
C.J. : En cinéma d’animation, le travail de montage se fait en amont grâce aux images fixes du storyboard, avant d’animer les personnages dans les plans. Pour cette étape essentielle d’animatique, il y a eu plus d’un an de travail avec la monteuse Sophie Reine.
L.M. : C’était vraiment un beau travail d’équipe. Ce n’est pas le film "de Mattotti", chacun y a apporté sa propre richesse, son goût du détail.
Comment s’est passée la coécriture avec Jean-Luc Fromental et Thomas Bidegain ?
L.M. : Je connaissais Jean-Luc depuis longtemps et je savais qu’il veillerait à la logique de l’histoire. Quant à Thomas, c’est une grande découverte pour moi. C’est quelqu’un de très généreux. Toute cette période de travail à trois sur le traitement a été très drôle, intense et joyeuse.
C.J. : Les difficultés de l’adaptation ont été de transposer la voix forte et unique de Buzzati narrateur… et d’ajouter des personnages féminins à cette histoire qui n’en comprenait pas.
L.M. : Sans oublier que transposer des dialogues italiens en français était une gageure. En italien, les dialogues jouent sur les accents et les dialectes siciliens et napolitains, les jeux de mots. Sur de la commedia dell’arte aussi, qui apporte une touche comique.
C.J. : J’ai été frappé de constater combien les langues apportent une teinte particulière au film. Les dialogues en français ont quelque chose de poétique et d’élégant, là où le doublage en italien est plus baroque et drolatique. Il faut dire que le texte de Buzzati est écrit en partie en rimes, un peu dans la tradition des cantastorie du sud de l’Italie.
"Dans la version française, on a la chance d’avoir Leïla Bekhti pour Almerina. Et deux scénaristes… Jean-Claude Carrière et Thomas Bidegain, pour interpréter les deux conteurs du film !"
C.J. : La coproduction italienne était symbolique, le film est tellement italien ! Pour les voix italiennes du film, nous avons réuni un très beau casting.
L.M. : Antonio Albanese interprète Gedeone dans la version italienne. C’est un acteur comique sicilien. Pour le personnage du Vieil Ours, c’est Andrea Camilleri, grand conteur sicilien, qui nous a fait le cadeau de sa voix, peu de temps avant de disparaître. Et il y a aussi Toni Servillo et Corrado Guzzanti, deux grandes figures du cinéma italien.
C.J. : Dans la version française, on a la chance d’avoir Leïla Bekhti pour Almerina. Et deux scénaristes… Jean-Claude Carrière et Thomas Bidegain, pour interpréter les deux conteurs du film !
Quel a été l’apport de la Région Nouvelle-Aquitaine ?
C.J. : Grâce à l’alliance entre la Région Nouvelle-Aquitaine et le Département de la Charente, nous avons obtenu l’aide maximum de 300.000€. Certes, le budget s’élève à 11 millions, mais ces 300.000€ nous ont été précieux.
Quel est votre lien avec la Région Nouvelle-Aquitaine ?
C.J. : Notre société de production Prima Linea est implantée à Angoulême depuis 2003, avec son studio d’animation qui s’appelle aujourd’hui 3.0 studio. Le choix d’Angoulême se justifie par la qualité de vie et de l’écosystème professionnel que son pôle a développé depuis des années… Et aussi par son ambiance quasi-monacale qui permet la concentration nécessaire à ce travail au long cours. L’animation est un peu comparable au travail d’enluminure médiévale...
Making of L'INVASION DES OURS from Flux avant-programmes on Vimeo.
(Photo : Quitterie de Fommervault)