"Les Tempêtes" : Une odyssée dans les méandres de la mémoire et de l'oubli
Dans un voyage vertigineux où le réel et l'imaginaire se dissipent aussi inexorablement que les paysages balayés par la poussière, Diana Reymond livre un premier long métrage d'une remarquable maturité. Les Tempêtes est moins un film catastrophe qu'une fresque audacieuse qui ose regarder en face les fantômes de l'Histoire. Il est un hommage poignant, à peine voilé, aux milliers de morts et de disparus après des années de terreur en Algérie.
Au cœur d'un Maghreb imaginaire, le récit s'articule autour de Nacer, journaliste brillamment interprété par Khaled Benaissa, confronté à un phénomène météorologique inexpliqué. Ces tempêtes de poussière jaune, plus symboliques que naturelles, tantôt menaçantes, tantôt mélancoliques, surgissent comme des manifestations tangibles des traumatismes refoulés, des secrets ensevelis que le vent semble vouloir exhumer.
L'apparition de Fajar, son épouse disparue et mystérieusement revenue du Canada, incarnée par Camélia Jordana, bouleverse cet équilibre précaire dans un ballet où chaque regard échangé devient une partition du non-dit. Le couple qu'ils forment traverse l'écran comme une allégorie vivante de cette Algérie meurtrie, où les disparus continuent de hanter les vivants.
La caméra de Diana Reymond filme avec sensibilité cette zone grise entre le souvenir et l'hallucination qui transforme chaque rafale en révélation, chaque tourbillon en confession. Sa mise en scène, d'une élégance rare, fait de ces tempêtes les choreutes d'une tragédie moderne où le surnaturel n'est que le masque porté par l'indicible. La photographie, baignée dans des tons mordorés, sculpte l'espace comme un peintre façonnerait une toile de Turner, où la lumière elle-même semble prisonnière des bourrasques.
Le film transcende les codes du cinéma catastrophe, offrant une réflexion profonde sur l'identité, la résilience et le pardon. Dans cette ville assiégée par les vents, chaque personnage devient le gardien d'une parcelle de vérité, tandis que la folie collective qui s'empare des rues fait écho aux tourments intérieurs de Nacer. Shirine Boutella complète ce tableau avec une présence qui ancre le récit dans une réalité tangible, alors même que celle-ci menace de se dissoudre.
La bande sonore, telle un souffle contenu, accompagne cette descente aux enfers avec une retenue qui n'en est que plus poignante. Les silences, pesants de sens, deviennent aussi éloquents que les dialogues, tandis que le vent murmure les noms des absents.
Les Tempêtes s'impose comme une œuvre à la croisée des genres, où le réalisme magique devient le véhicule d'une réflexion profonde sur le deuil et la mémoire.
Ce long métrage s'annonce comme une tempête nécessaire dans le paysage cinématographique, un tourbillon qui soulève les voiles de l'oubli pour mieux nous confronter à nos propres spectres. Une œuvre où chaque rafale nous rappelle que les plus grandes tempêtes sont parfois celles qui grondent à l'intérieur de nous-mêmes.
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Les Tempêtes, de Diana Reymond-Boughenou
Soutien à l’écriture et à la production de la Région Nouvelle-Aquitaine et du Département de la Charente, en partenariat avec le CNC et accompagné par ALCA.
En salle le 20 novembre 2024