La librairie itinérante, un commerce au plus près des territoires
Elles sont une dizaine à sillonner les routes de nos campagnes ou de nos côtes néo-aquitaines. Camion de pompier, caravane, van à chevaux ont été réhabilités pour présenter une offre de livres majoritairement neufs sur les marchés et autres événements locaux. Rencontre avec ces librairies itinérantes qui renforcent l’accès au livre dans toute la région.
Marie Sabourin "avai[t] envie de ramener le livre sur le territoire rural et d’échanger avec les gens autour". Elle décide ainsi en 2020 de rénover un camion de pompier pour y installer sa librairie Mots volants. Avec Raymond, le camion, elle roule dans différents villages du Haut Val de Sèvre (79), s’installant sur quelques marchés réguliers et participant à diverses autres rencontres, en partenariat avec les médiathèques du territoire, mais pas que. Les municipalités et associations locales jouent en effet le jeu elles aussi et sollicitent fréquemment ces libraires pour proposer des tables de ventes ou pour animer des débats. Véritable commerce de proximité donc, l’itinérance "rapproche la librairie avec le territoire et les gens qui y habitent", comme le confirme à Prologue Nathalie Schreiber, à la tête du Café en l’Eyre basé à Belin-Béliet (33) depuis 2019. Complété par un lieu fixe "au fond des bois", l’itinérance lui permet d’aller à la rencontre du public et de faire un travail de médiation culturelle sur une zone plus élargie.
Bertrand Hugot, qui a repris Le Serpent d’étoiles à l’été 2021 sur l’île d’Oléron (17), définit la librairie comme "un lieu où les gens se donnent le droit de parler et d’échanger". Un leitmotiv partagé par l’ensemble de ces libraires mobiles pour qui l’humain est au cœur du projet : recréer du lien social dans des zones qui en étaient dépourvu, amener le livre dans des territoires où des kilomètres séparent le public de l’offre et, surtout, casser cette vision classique du commerce du livre. "La curiosité est le moteur pour les clients" comme à Oléron où le camion est accueilli chaque semaine par des exclamations de joie. Bertrand Hugot s’est imposé une routine pour que les clients sachent où le trouver et leur permettre ainsi de commander. Un rendez-vous immanquable partagé par les habitués de l'Esprit Nomade, qui roule depuis quatorze ans en Charente-Maritime, en Vendée et dans les Deux-Sèvres. Concernant la création de sa librairie, Muriel Moulin précise : "Le livre m’a toujours accompagnée, c’est mon compagnon de route. Et j’aimais l’idée d’aller vers les gens plutôt que l’inverse." Elle constate que son territoire n’est "pas facile, partagé entre la ruralité et la station balnéaire", et qu’il est "nécessaire de toujours se réinventer pour prolonger l’enthousiasme suscité par la nouveauté" (et par le camion !). Selon les zones de chalandise, les lecteurs ne sont pas forcément nombreux et il faut réussir à trouver le bon emplacement, notamment sur les marchés, pour intégrer la librairie dans leurs habitudes. Comme le résume Marie Sabourin : "On ne peut s’appuyer sur personne donc on doit réajuster son métier". L’itinérance reste un modèle à part, qui nécessite de couvrir un large territoire et d’expérimenter en permanence les tournées les plus utiles, bien souvent en solitaire au volant de son camion.
"Le livre peut encore être scolaire dans sa vision", remarque Nathalie Schreiber, et "nombre de gens sont encore réticents à l’idée de passer le pas d’une porte de librairie". Pour "désacraliser ce lieu", Nathalie Coupé, avec son équipe de La petite marchande d’histoires à Uzerche (19), a adopté Blaise, un camion, en fin d’année 2021 pour étendre son offre sur le territoire et aller vers ceux qui ne peuvent pas se déplacer. Cette version itinérante de la librairie est devenue plus que nécessaire à la suite des multiples confinements et des appels désespérés de lecteurs. Le camion "fait moins peur", il crée une "zone de confort, sans jugements" où tout peut être demandé et les conseils toujours bienvenus.
L'itinérance est également un choix économique. Investir dans un local est très coûteux, un emplacement sur un marché beaucoup moins. "L’itinérance a été une évidence" pour Virginie Lapeyre qui a installé son Camion Photo à Contis-Plage (40) en 2017. Également photographe, elle peut désormais, grâce à l'aménagement de son camion, allier le livre et la photo, le tout au bord de l’eau. "Le but était d’aller vers les gens" et de créer un espace convivial où tout le monde puisse s’y retrouver. Un challenge qu’elle va poursuivre avec l’ouverture d’une librairie classique au printemps 2022. Un choix que Muriel Moulin a également fait en ouvrant quelques après-midis par semaine un local semi-sédentaire à Courçon d’Aunis (17).
En Creuse, La Limou’zine s’est quant à elle lancée à l’été 2021, après avoir rénové une caravane. Paco Vallat, son propriétaire, confirme que la difficulté de trouver un local adéquat face à une zone de chalandise importante a rendu l’itinérance la meilleure option possible : "La Creuse est un territoire morcelé et le livre n’y est pas forcément présent". La librairie-caravane pose ainsi ses roues sur des marchés réguliers et suit les programmations des villages pour être présente au maximum. Ces divers événements induisent une variété des publics et l’offre est donc volontairement éclectique : "On aurait pu jouer sur le côté militant, avec que des sciences humaines mais s’ouvrir aux autres, répondre aux besoins de tous était important". En parallèle, chacune de ces librairies tient à défendre les petites structures d’édition en mettant en avant une grande partie, voire la totalité, de leur fonds.
"Le livre est le point de départ pour créer des rencontres et se retrouver autour d’un débat d’idées. Il rassemble, il peut recréer une vie sociale dans des zones rurales qui n’en avaient plus".
Être libraire itinérant, c’est aussi défendre un engagement militant. Patrick Marty, qui va ouvrir sa "librairie-café itinérante de la Brouette" en septembre 2022 du côté de Bergerac (24), définit son projet comme "un lieu citoyen". "Le livre est le point de départ pour créer des rencontres et se retrouver autour d’un débat d’idées. Il rassemble, il peut recréer une vie sociale dans des zones rurales qui n’en avaient plus". Un point de vue que résume Danielle Herry : "Le modèle de l’itinérance est essentiel car il répond à la question de l’autre". Si la librairie itinérante semble en effet répondre à toutes les questions de consommation locale et de lien social, son modèle économique reste incertain. En roue livre, mené par Danielle Herry, a fermé ses portes en 2021. Après avoir sillonné les routes avec son camion pendant deux ans, la libraire avait choisi de sédentariser son activité à La Souterraine (23). Les confinements auront eu raison de son activité. "C’est difficile d’en vivre" et il faut garder en tête les forts investissements de départ, "le manque de compréhension des banques" et la nécessité d’être en permanence sur le terrain. Virginie Lapeyre constate également que la saisonnalité est un vrai défi. Si l’été amène son lot de lecteurs à Contis, l’hiver y est plus rude. L’offre doit ainsi être adaptée avec un axe fort sur les nouveautés en haute-saison et un travail plus minutieux, agrémenté de rencontres pour fidéliser les clients. "C’est ce qui fait la différence", confirme Bertrand Hugot, qui précise que les habitants sont ravis de trouver la librairie sur les marchés, "même en plein hiver".
Aude Fleury et Frédéric Dufourg, de la librairie L’Hirondelle (33), ont également fait le choix de l’itinérance il y a plus de 20 ans. Après des années en tant que libraires sédentaires, ils ont décidé de monter leur propre structure pour "vivre plus tranquillement et organiser leur quotidien différemment". Spécialisée sur les événements locaux et nationaux, notamment sur les congrès scientifiques, la librairie essaie de ne faire que "des gros coups" afin d’assurer sa pérennité. L’itinérance demande un important travail de manutention et de gestion pour assurer les allers-retours de stock : "Il faut être les rois de la débrouille" pour que chaque événement permette de rentrer dans les frais et dégager de la trésorerie, nous expliquent-ils.
Si la librairie reste une entreprise fragile, l’itinérance est un choix assumé pour aller au plus près du public et défendre l’accès aux livres dans tout le territoire. En comblant certaines zones dépourvues de point de vente du livre ou en réduisant simplement le nombre de kilomètres entre le livre et ses lecteurs impatients.
Mots volants (79)
Le Café en l'Eyre (33)
Le Serpent d'étoiles (17)
Esprit nomade (17 & 79)
La petite marchande d'histoires (19)
lapetitemarchandedhistoires@gmail.com
Camion Photo (40)
La Limou'zine (23)
La Brouette (24)
contact@lesamisdelabrouette.fr
L'Hirondelle (33)