La nostalgie est toujours un mystère
Auteur de plusieurs romans dont deux traduits en français et un troisième, Fleuve, au Castor Astral, le Britannique Jonathan Buckley publie Nostalgia chez ce même éditeur girondin. Une singulière histoire kaléidoscopique dont la toile de fond toscane et la trame mystérieuse ne trouvent d’égal que l'habilité de la construction romanesque.
Nous avions laissé l’écrivain britannique Jonathan Buckley avec le roman que publiait Le Castor Astral en 2017 sous le titre Fleuve. Titre original : The river is the river. On songeait alors à Gertrude Stein écrivant : "Civilization begins with a rose. A rose is a rose is a rose is a rose. It continues with blooming…". ("La civilisation commence avec une rose. Une rose est une rose est une rose est une rose. Elle se poursuit avec une éclosion…") La construction de la trame romanesque et la charpente narrative de ce texte aux étonnants entrelacs nous avaient intrigués. Nous avions retenu une phrase parmi tant d’autres : "On ne peut composer qu’avec une partie de la réalité". Et encore, le projet est-il déjà bien ambitieux...
Cette fois, l’écrivain part à l’assaut du lecteur avec une nouvelle copieuse ambition. Nostalgia – publié en 2013 - est le titre du nouveau roman traduit. Nostalgie de quoi ? De qui ? Du pays natal ? Du lieu essentiel de la peinture ? De l’Angleterre ? De la Toscane, dans le village de Castelluccio où s’est installé le célèbre peintre anglais Gideon Westfall ? De Claire Yardley, sa nièce, qui vient l’y retrouver après des années sans la moindre relation avec lui ? De Robert Bancourt, l’assistant de Westfall ?
Qui saura le dire, y compris quand la lecture des 400 pages de ce roman sera achevée ? Chacun restera alors sur un goût, sur une saveur, plus que sur une certitude. En cela, ce livre est passionnant, il ouvre des centaines de portes, oublie d’en refermer certaines, invite à repasser dix fois, cinquante fois au même endroit en déclinant une partie de la réalité de toutes les façons possibles. Comprenez, qu’outre l’histoire – d’ailleurs de quelle histoire s’agit-il ? La nièce Claire cherche à revoir son oncle Gideon qui doit incarner la figure emblématique du saint patron de ce lieu millénaire, Castelluccio, pendant que disparaît Ilaria une jeune fille qui lui sert de modèle –, outre cette partie d’un réel, mille autres réels s’inventent : historiques, faunistiques, géologiques, floristiques, religieux, artistiques bien sûr. Tout le reste, et plus encore, qui fait le génie de ce lieu imaginaire et, au-delà de lui, de toute la Toscane que Buckley soumet à son pétrin et à son moule.
Cette fois, l’écrivain part à l’assaut du lecteur avec une nouvelle copieuse ambition. Nostalgia – publié en 2013 - est le titre du nouveau roman traduit. Nostalgie de quoi ? De qui ? Du pays natal ? Du lieu essentiel de la peinture ? De l’Angleterre ? De la Toscane, dans le village de Castelluccio où s’est installé le célèbre peintre anglais Gideon Westfall ? De Claire Yardley, sa nièce, qui vient l’y retrouver après des années sans la moindre relation avec lui ? De Robert Bancourt, l’assistant de Westfall ?
Qui saura le dire, y compris quand la lecture des 400 pages de ce roman sera achevée ? Chacun restera alors sur un goût, sur une saveur, plus que sur une certitude. En cela, ce livre est passionnant, il ouvre des centaines de portes, oublie d’en refermer certaines, invite à repasser dix fois, cinquante fois au même endroit en déclinant une partie de la réalité de toutes les façons possibles. Comprenez, qu’outre l’histoire – d’ailleurs de quelle histoire s’agit-il ? La nièce Claire cherche à revoir son oncle Gideon qui doit incarner la figure emblématique du saint patron de ce lieu millénaire, Castelluccio, pendant que disparaît Ilaria une jeune fille qui lui sert de modèle –, outre cette partie d’un réel, mille autres réels s’inventent : historiques, faunistiques, géologiques, floristiques, religieux, artistiques bien sûr. Tout le reste, et plus encore, qui fait le génie de ce lieu imaginaire et, au-delà de lui, de toute la Toscane que Buckley soumet à son pétrin et à son moule.
"Partout dans ce texte, on sent une intrigue, on devine des mystères, des choses tues, on apprend des drames, on en imagine d’autres."
Partout dans ce texte, on sent une intrigue, on devine des mystères, des choses tues, on apprend des drames, on en imagine d’autres. Peut-être se trompe-t-on. Mais à la fin de ce kaléidoscope, de ce zibaldone comme aima le construire Leopardi – avec d’autres arguments littéraires et philologiques toutefois – on se trouve avec une sorte de Vie mode d’emploi à la Perec. Riche de toute une histoire, d’un amalgame d’histoires qui toutes se lient, comme si c’était là, la force des choses. Comme une histoire totale, impossible à dresser quand il s’agit de la réalité, envisageable quand la partie du réel envisage d’être toute une réalité.
Voilà cette Nostalgia difficile à appréhender, sinon en se laissant porter par le flux du récit et des zigzags considérables, sans compter tous les chapitres consacrés à tel ou tel tableau du maître. Voila cette nostalgie. Nostalgie de qui, de quoi ? Peut-être celle partagée par le fou, dans Nostalghia, le film de Tarkovski (1983) dont l’écheveau se situe en Toscane lui aussi ? Du haut de la monture de la statue de Marc-Aurèle, il hurle à la face du monde qu’il faut revenir au point essentiel avant que nous ayons pris le mauvais virage. La via smaritta dont parle Dante. Peut-être est-ce un indice. Peut-être pas. Peut-être faut-il trouver une clé dans ce que dit Gideon au moment de l’effondrement et de la mort soudaine, un jour, une fois, comme ça : "Personne ne sait ce qui a vraiment été au centre de ma vie".
Voilà cette Nostalgia difficile à appréhender, sinon en se laissant porter par le flux du récit et des zigzags considérables, sans compter tous les chapitres consacrés à tel ou tel tableau du maître. Voila cette nostalgie. Nostalgie de qui, de quoi ? Peut-être celle partagée par le fou, dans Nostalghia, le film de Tarkovski (1983) dont l’écheveau se situe en Toscane lui aussi ? Du haut de la monture de la statue de Marc-Aurèle, il hurle à la face du monde qu’il faut revenir au point essentiel avant que nous ayons pris le mauvais virage. La via smaritta dont parle Dante. Peut-être est-ce un indice. Peut-être pas. Peut-être faut-il trouver une clé dans ce que dit Gideon au moment de l’effondrement et de la mort soudaine, un jour, une fois, comme ça : "Personne ne sait ce qui a vraiment été au centre de ma vie".
"Certainement, faut-il aussi prendre en considération tous les indices, faux, fantaisistes, inutiles, que Buckley jette sous nos sabots."
Certainement, faut-il aussi prendre en considération tous les indices, faux, fantaisistes, inutiles, que Buckley jette sous nos sabots. Par exemple cette indication, à propos d’un des tableaux du peintre, comme si elle allait tout résoudre du mystère de la disparition d’Ilaria : "Il est intéressant de noter que Paysage avec cheval mort est le premier tableau de Gideon Westfall où apparaît Ilaria Senesi : elle est la deuxième enfant en partant de la gauche, celle qui tient la hachette". Alors, Ilaria, sous le pinceau de Gideon devient peut-être une Parque. Ou bien peut-être rien de tout cela, simple victime de notre imagination, jouet d’un récit qui avance comme la marée, qui charrie toute la vie. Continuité, discontinuité qui devient elle-même une nouvelle continuité, comme le note Ramuz dans Une main. Et soudain, plus rien, plus rien du tout du monde et de l’art, sinon un chapitre final sur le cyprès italien ou toscan, cupressus sempervirens, à feuillage persistant, qui doit être considéré "comme une variété cultivée et non une sous-espèce". Un dernier chapitre comme il y eut une singulière première séquence consacrée aux scorpions dans L’Âge d’Or, le film de Luis Bunuel.
Dans le livre dix des Métamorphoses, nous assure encore Buckley, Ovide raconte l’histoire d’un prince du nom de Kyparissos qui, en reconnaissance de son adoration, reçut d’Apollon un cerf magnifique. Par accident, il abattit l’animal et implora Apollon d’être transformé en cyprès pour pleurer éternellement des larmes de sèves. Cela aussi, il fallait le dire, l’écrire, le rappeler. Le faire savoir. Parce que jamais ne s’éteint la nostalgie du premier geste, l’acte fondateur de tout.
Nostalgia, de Jonathan Buckley
Le Castor Astral
Traduit de l’anglais par Richard Bégault
416 pages
22 euros
ISBN : 979-10-278-0096-4
Dans le livre dix des Métamorphoses, nous assure encore Buckley, Ovide raconte l’histoire d’un prince du nom de Kyparissos qui, en reconnaissance de son adoration, reçut d’Apollon un cerf magnifique. Par accident, il abattit l’animal et implora Apollon d’être transformé en cyprès pour pleurer éternellement des larmes de sèves. Cela aussi, il fallait le dire, l’écrire, le rappeler. Le faire savoir. Parce que jamais ne s’éteint la nostalgie du premier geste, l’acte fondateur de tout.
Nostalgia, de Jonathan Buckley
Le Castor Astral
Traduit de l’anglais par Richard Bégault
416 pages
22 euros
ISBN : 979-10-278-0096-4
Journaliste de 1991 à 2008 (France Culture, Le Monde, Sud Ouest), Serge Airoldi dirige depuis 2008 les Rencontres à Lire de Dax. Auteur de nombreux livres, dont Rose Hanoï (Arléa, 2017) et Si maintenant j’oublie mon île (L’Antilope, 2021), il collabore à des revues. Depuis 2017, il dirige la collection Pour dire une photographie aux éditions Les Petites Allées.