La Piscine : plonger dans la lecture
Des tapis de sol aux formes et aux couleurs de flaques, des coussins pour s’allonger, des petites commodes à roulettes pleines de livres, des tablettes numériques… Tous ces éléments composent La Piscine, un dispositif de médiation culturelle mobile, soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine, la Drac et La Sofia et dédié aux porteurs de projets d’éducation artistique et culturelle dans les établissements scolaires sous compétence régionale. Un vaste projet collaboratif, ayant impliqué plus d’une centaine de personnes, qui a vu le jour après deux années de travail. Durant le premier semestre 2023, le dispositif est en phase d’expérimentation dans trois établissements de Nouvelle-Aquitaine. Les premiers tests réalisés au lycée professionnel du Mas Jambost de Limoges ont été plus que prometteurs…
Dès le départ, ce projet a été pensé dans une dynamique de coconstruction. La création et la fabrication du dispositif, commanditées et coordonnées par ALCA, ont été confiées à la designeuse Chloé Petitjean. Elle a mené un travail collaboratif avec plus d’une centaine d’élèves de terminale STD2A (sciences et technologie du design et des arts appliqués) et leurs enseignants, dans trois établissements de Nouvelle-Aquitaine : le lycée Charles Augustin Coulomb à Angoulême (16), le lycée Magendie à Bordeaux (33) et le lycée Raymond Loewy à La Souterraine (23). Un processus de création partagée qui répond au mode d’action privilégié de la designeuse : "Cela a été extrêmement riche de pouvoir travailler avec les élèves, car ils seront les premiers usagers concernés. Leurs propositions ont été très intéressantes et diversifiées ; elles ont vraiment alimenté le projet."
Un projet de terrain
Cette démarche collaborative a également été appliquée à la construction des outils et au choix des ressources bibliographiques et numériques accompagnant le dispositif. Pour satisfaire l’un de ses objectifs majeurs – donner l’envie de lire et de faire lire –, La Piscine propose une centaine d'ouvrages répartis physiquement dans les différents éléments du mobilier mobile conçu par Chloé Petitjean. La sélection de ces livres, en lien avec les thématiques retenues pour cette première année (amour, poésie contemporaine et écologie) a été pensée en partenariat avec des professionnels des métiers du livre, de l’éducation et de l’encadrement. Les équipes d’ALCA ont ainsi travaillé de concert avec ces personnes pour répondre au mieux aux besoins des enseignants et des futurs emprunteurs du dispositif, comme l’explique Solène Brun, chargée de mission Transmission à ALCA : "Il était important que les documents fournis soient en adéquation avec le public à qui ils sont destinés, l’objectif étant de construire le projet en cohérence avec le terrain."
Outre les ouvrages, des fiches pratiques et des dossiers développant les trois thématiques choisies étoffent le dispositif. Ces outils répondent aux divers objectifs visés, notamment celui de favoriser et d’accompagner la création de projets d’éducation artistique et culturelle en encourageant la rencontre avec des acteurs culturels du territoire.
Poursuivant l’esprit dans lequel ce dispositif a été conçu, une phase d’expérimentation a été mise en place dans trois lycées néo-aquitains pour le tester et le faire évoluer avant sa mise à l’emprunt auprès de l’ensemble des établissements scolaires sous compétence régionale dès la rentrée 2023-2024.
On n’en apprend jamais beaucoup sur les livres qu’on lit. Il faut se retrouver devant l’auteur pour en savoir un peu plus.
Il n’aura pas fallu longtemps pour convaincre le chef d’établissement, Pascal Robert, et les enseignants du lycée professionnel de Mas Jambost, à Limoges, d’installer La Piscine au cœur du centre de documentation de l’établissement durant six semaines, de février à mars 2023. Autour de l’enseignante documentaliste Valérie Jouhaud, un groupe de professeurs et de personnels éducatifs s’est constitué pour construire divers projets de médiation en lien avec la thématique choisie pour cette première phase de test : l’amour. Certains choix ont présidé à la construction de ces projets : "Notre idée était de faire des BookTubes sur les livres que les lycéens avaient déjà lus lors de leur participation au prix Fauve des lycéens, explique Valérie Jouhaud. Nous avons donc proposé à l’influenceuse Pauline Waters (plus connue sous le nom de 'Lectrice à plein temps' sur les réseaux) d’accompagner les élèves d’une classe de première dans cette réalisation lors de deux ateliers. Parallèlement, Christophe Bigot, professeur de français, souhaitait également travailler sur la bande dessinée ; nous nous sommes donc appuyés sur les propositions d’ALCA et du dispositif pour choisir un intervenant dans ce domaine." C’est ainsi que le scénariste de BD Vincent Brugeas est intervenu auprès d’une classe de seconde Mode pour deux ateliers autour de l’écriture de soi dans un contexte de réalisation de planches. Lors d’une première séance, le bédéiste a présenté son métier en cherchant notamment à désacraliser l’image de l’auteur. Cette première rencontre a suscité l’intérêt des jeunes qui, pour certains, découvraient les coulisses de la création : "J’ai bien aimé qu’il nous raconte une histoire, confie une élève. On n’en apprend jamais beaucoup sur les livres qu’on lit. Il faut se retrouver devant l’auteur pour en savoir un peu plus."
Lecture et amour de soi
Un deuxième atelier de pratique était programmé pour donner aux lycéens des outils leur permettant d’exprimer leur subjectivité, comme l’analyse Vincent Brugeas : "Je vais essayer de les rassurer, car ce qui peut faire peur à leur âge, c’est de devoir parler d’eux, alors que, paradoxalement, ils parlent tout le temps d’eux, ce sont les rois des réseaux sociaux… Mais ils ne le font pas de manière consciente. Ils vont avoir besoin d’un cadre technique pour les aider à dépasser cette appréhension."
Dépasser ses appréhensions et travailler sur l’acceptation de soi étaient aussi les objectifs des deux autres intervenantes : Pauline Waters et la conteuse Joëlle Pascale. Qu’il s’agisse de se filmer ou d’exprimer ses idées, les réticences sont bien là, mais elles ont été contournées avec talent, comme le raconte Valérie Jouhaud : "Joëlle Pascale est parvenue à faire parler les élèves de CAP. Elle leur a raconté une histoire et elle les a fait réfléchir sur les images qui leur venaient à l’esprit lors de cette lecture. C’était très intéressant, car beaucoup d’entre eux pensent qu’ils n’ont pas d’imagination. L’idée était d’encourager les élèves à se montrer et à s’exprimer sans tenir compte du regard de l’autre, ce qui est souvent très compliqué pour eux. Il s’agissait de restaurer l’amour de soi d’une façon détournée, en quelque sorte."
En dehors de ces interventions extérieures, le dispositif a aussi induit de riches expériences au sein du CDI : entre autres, des séances de lectures à voix haute effectuées par les élèves qui s’enregistraient avec les tablettes mises à disposition. Ils ont ainsi pu porter un regard autocritique sur leur lecture.
Créer du débat
Marlène Chadoin Dubail, stagiaire auprès de Valérie Jouhaud, a saisi l’occasion pour nourrir un travail de recherche sur la question de la légitimité des "ouvrages qui dérangent" en centre de documentation et sur la façon dont ils peuvent être mis en évidence ou pas. Elle raconte une expérience menée autour de livres abordant la sexualité : "Nous nous sommes demandé, avec Valérie, comment faire de la médiation avec ce genre de livre ? Si ce qui gêne les adultes dérange aussi les élèves ? Et si, en tant que professeur documentaliste, nous pouvons encourager la lecture de ce type d’ouvrages ?" C’est Marie Blanchot, l’infirmière du lycée et référente en sexualité, qui a mené l’atelier avec un groupe d’une quinzaine d’élèves de CAP. "Cela lui a permis d’aborder ce sujet avec les élèves par le biais de la littérature, poursuit Marlène. La parole était assez libre, car pour ces adolescents, cela leur paraît 'logique', comme ils le disent, d’aborder les questions liées à la sexualité. Le rôle de l’infirmière me semble indispensable ; il donne de la légitimité pour aborder ces questions-là." Marie Blanchot leur a lu un extrait du Goût du baiser de Camille Emmanuelle1, ce qui a déclenché une discussion et un débat entre les élèves autour de la notion de consentement. La séance terminée, l’une des lycéennes du groupe est revenue s’installer sur les coussins de La Piscine pour lire l’un des livres proposés en lien avec les questions qui venaient d’être abordées…
L’un des changements envisagés à la suite de cette première expérimentation en lycée est la possibilité, pour les élèves, d’emprunter les livres du dispositif, à la condition de les ramener peu de temps après. Une boîte a été laissée au CDI invitant les usagers de La Piscine à y déposer leurs commentaires, quels qu’ils soient, "pour nous aider à essayer de comprendre ce qui perturbe ou non les élèves, précise Solène Brun, ce qui leur plaît ou pas, etc."
Des ajustements et des améliorations prévues, donc, en fonction des différents retours d’expérience. Deux autres phases de test suivront au printemps : l’une au lycée professionnel des Chartrons, à Bordeaux, sur le thème de la poésie contemporaine, et l’autre dans un lycée de l’académie de Poitiers, sur l’écologie.
Une chose est sûre : La Piscine – à commencer par son nom… – éveille curiosité et intérêt, car, comme le remarque Valérie Jouhaud, "ce dispositif apporte une nouveauté dans le paysage quotidien des élèves et cela suffit déjà à les interroger."
1 Camille Emmanuelle, Le Goût du baiser, éditions Thierry Magnier, collection « L’Ardeur », 2019 (ouvrage disponible dans le corpus de livres de La Piscine).