Le jour où ma mère toucha Robert Ryman
Publié aux éditions do, Le jour où ma mère toucha Robert Ryman est une invitation à découvrir l’œuvre du peintre minimaliste Robert Ryman. Connu pour ses monochromes blancs appelant à une considération de l’œuvre au-delà de sa couleur, ses créations ont dérouté la mère de Stefan Sulzer. Ce livre d’artiste est le récit de cette expérience proposée par le peintre, liée aux réflexions de l’auteur sur la réception de l’art contemporain.
"Certains discours entourant la production de Ryman ne font rien d’autre qu’ajouter le poids des mots à une œuvre n’ayant jamais exigé une telle attention." Difficile, après avoir lu ces mots, de signer une chronique sur un manifeste revendiquant le silence d’une expérience sensible, de se placer en intermédiaire quand Stefan Sulzer appelle à une réception immédiate de l’œuvre de Robert Ryman…
Le jour où ma mère toucha Robert Ryman raconte l’histoire d’une visite à la Dia Art Foundation, à Beacon, près de New York, où, résume l’éditeur, "la mère de l’artiste s’est sentie si offensée par l’élégante simplicité des peintures de Ryman, qu’elle a laissé glisser lentement et de façon délibérée sa main sur une de ces peintures". Le peintre, qui nous a quittés l’année passée, livre effectivement une œuvre déroutante, constituée de monochromes blancs. Génie ? Snobisme ? Les expériences varient – justement. Citant un article de Libération, Olivier Desmettre rappelle les propos du peintre lui-même : "Mon intention n’a jamais été de faire des peintures blanches. Et ça ne l’est toujours pas. Je n’estime même pas que je peigne des peintures blanches. Le blanc est seulement un moyen d’exposer d’autres éléments de la peinture. Le blanc permet à d’autres choses de devenir visibles." Encore faut-il accepter d’y accéder, à ces choses, de lâcher prise, de "faire confiance à ses sens".
"Servies par la traduction de Stéphane Vanderhaeghe, ces cent-soixante pages nous entraînent dans une contemplation de l’œuvre de Ryman, comme une nécessité pour accéder à son sens profond."
C’est précisément ce qui n’est pas arrivé à la mère de Stefan Sulzer. Né en 1975 en Suisse, lui a étudié les beaux-arts à Zurich, Glasgow, New-York et Londres. Il a donc eu de quoi les éduquer, ses sens. C’est peut-être là l’objectif de son livre : éduquer en livrant une expérience. Puisque l’œuvre n’a pas suffi à sa mère, ces quelques mots ramènent au sens profond du travail de Ryman. Servies par la traduction de Stéphane Vanderhaeghe, ces cent-soixante pages nous entraînent dans une contemplation de l’œuvre de Ryman, comme une nécessité pour accéder à son sens profond.
Il se passe en effet immédiatement quelque chose quand on ouvre les pages de ce livre. On est, au moins, intrigués. Sur une page entièrement piquée de points, se détache un carré blanc. Dans ce carré une phrase, une ligne parfois deux, quelquefois davantage. C’est une impression de silence. Un silence brisé par les mots. Le texte apparaît, brutal. L’auteur rappelle que "Mallarmé disait de la blancheur de la page qu’elle agissait tel un vide qui contrastait de manière apaisante avec l’intensité signifiée par la noirceur des lettres imprimées". Au fil de la lecture, lente et rapide à la fois – rapide parce qu’il y a peu de texte, lente parce que chaque phrase, chaque idée, chaque information est séparée de celle qui la précède par plusieurs pages de pointillés : il se passe quelque chose ; quelque chose grouille sous la surface de ces pages. La maison bordelaise a ajouté ces pointillés à l’édition originale pour recréer l’impression du monochrome. En son centre, chaque phrase se reçoit, s’accepte, se digère comme la matière de ce carré blanc. C’est dans ce temps de la lecture entrecoupé, ralenti, mais habité, que Stefan Sulzer nous entraîne dans les pas de cette femme, dans sa déambulation, son choc, jusqu’au moment où elle touche la toile, refusant d’accueillir l’émotion, refusant de renoncer à la réflexion, à la "spéculation".
"Les éditions do et Stefan Sulzer poursuivent bien le même but que l’œuvre de Robert Ryman – faire appel aux sens –, avec un autre moyen : ici, les mots. "
L’éditeur, Olivier Desmettre, raconte : "Quand j’ai découvert le livre, qui est un livre d’artiste, publié par une maison d’édition qui publie des livres d’artiste, j’ai eu envie de proposer à l’auteur d’en publier la traduction dans une maison d’édition qui publie des textes littéraires afin, peut-être, de faire rencontrer le texte — et bien sûr l’œuvre de Robert Ryman — à d’autres lecteurs. D’abord surpris par cette demande plutôt inhabituelle, Stefan Sulzer l’a très rapidement acceptée."
Les éditions do et Stefan Sulzer poursuivent bien le même but que l’œuvre de Robert Ryman – faire appel aux sens –, avec un autre moyen : ici, les mots. Ce sont eux qui créent le relief, la matière, l’émotion sur ce carré blanc. Nous faisant voyager parallèlement dans son expérience de spectateur et dans celle de sa mère, l’auteur nous invite à entrer, à notre tour, dans la galerie des œuvres de Robert Ryman.