Le Petit Nicolas : qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ?
Le Petit Nicolas : qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? est un hommage tendre au dessinateur Jean-Jacques Sempé et au scénariste-dialoguiste René Goscinny, auteurs du Petit Nicolas, personnage iconique de la littérature jeunesse. Soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine et le Département de la Charente avec l’accompagnement d’ALCA et du Pôle Image Magelis, le film a été présenté à Cannes et primé au festival du film d’animation d’Annecy pour enfin sortir en salle le 12 octobre.
L’occasion de voir le petit garçon espiègle et rieur né dans Sud Ouest Dimanche prendre vie sur les écrans pour nous faire partager son quotidien entre jeux, bande de copains, bêtises et apprentissages dans le Paris des années 50. Mais aussi de plonger dans l’intimité de travail et d’amitié des deux auteurs, qui évoquent leur jeunesse et leurs parcours respectifs en dialoguant avec leur création qui prend de l’ampleur.
Rencontre avec Amandine Fredon, coréalisatrice de ce long métrage aux côtés de Benjamin Massoubre, et Franck Bonay, directeur du studio Shan Too basé à Angoulême qui a pris en charge une partie importante du travail d’animation.
Amandine, pouvez-vous revenir sur la genèse du projet et expliquer comment vous l'avez rejoint ?
Amandine Fredon : Anne Goscinny, coscénariste du film, avait le projet de rendre hommage aux auteurs, à son père René Goscinny et à son ami Jean-Jacques Sempé. Au départ, elle voulait mélanger des images d’archives avec des petites séquences animées du Petit Nicolas. Après discussion avec les producteurs Aton Soumache et Lilian Eche, il a été décidé de tout faire en animation, et donc de représenter les deux auteurs en personnages de dessin animé. Quand je suis arrivée en 2018 pour faire des essais d’animation, des premiers tests avaient déjà été réalisés mais par manque de financement le projet avait été arrêté. Les producteurs se sont battus pour réactiver les choses. Ils ont demandé à Benjamin [Massoubre] s’il voulait venir réaliser avec moi. Il avait une expérience en tant que monteur sur une quinzaine de longs métrages quand de mon côté j’avais plutôt réalisé des séries pour la télévision.
Un des enjeux du projet résidait dans le fait de fondre plusieurs temporalités en un ensemble cohérent – entre la création des auteurs, leurs souvenirs et les moments où le Petit Nicolas est représenté. Comment avez-vous abordé cela côté réalisation ?
A.F. : Quand Benjamin et moi nous sommes intéressés à la vie des auteurs, nous avons lu les interviews et toute la matière disponible. On s’est dit qu’ils avaient eu une vie incroyable (entre l’exil en Argentine, la déportation de certains membres de la famille de Goscinny et le contexte familial de Sempé), et on a eu envie de développer leurs enfances. Il nous semblait important qu’on puisse s’attacher à la vie des auteurs, et de pouvoir rentrer dans leur vie. On a proposé ces rajouts à Anne [Goscinny], qui nous a fourni des informations, photos et documents pour alimenter tout cela. Cela a été un travail d’équipe et de va-et-vient entre scénario et mise en scène et image. Anne avait cette idée première de rendre hommage à ces deux auteurs, mais pour elle tout cela a un vrai poids avec l’héritage de son père qu’elle a perdu quand elle avait 9 ans…C’est dur pour elle de parler de sa vie intime, qui contient une part de tragédie familiale.
Comment et quand le studio Shan Too est-il entré dans la boucle et quel a été son rôle ?
Franck Bonay : Les premiers essais d’animation avaient été faits sur papier. C’était très beau, mais la technique était compliquée. On m’a demandé de faire des tests sur le logiciel Toon Boom pour conserver le même trait que Sempé et en même temps trouver des solutions techniques pour pouvoir rentrer en production.
A.F. : Ces essais ont été assez longs pour à la fois conserver le trait mais aussi la couleur avec le style aquarellé de Sempé. Il fallait que le trait ait un aspect régulier, et la couleur, une matière. On a travaillé avec le studio Shan Too pour arriver à trouver cela de manière efficace.
F.B. : Notre rôle était de s’occuper de la mise en place de l’animation, d’une bonne partie de l’animation des personnages et décors, du clean jusqu’au compositing. Sébastien Hivert Mallet, notre assistant réalisateur, a défini toute la technique, notamment la mise en couleur. Tout a été fait en animation traditionnelle, dessiné à la main, avec une vingtaine d’animateurs à Angoulême et une dizaine à la Réunion pour une fabrication qui a duré deux ans.
Pour vous, ce projet a été l’occasion de lancer le studio finalement ?
F.B. : Exactement. Depuis longtemps, je voulais monter une équipe d’animateurs sur Angoulême. À la suite des discussions avec Lucie Bolze, productrice exécutive, Arnaud Boulard [fondateur du studio Gao Shan Pictures à la Réunion] et moi avons décidé que c’était l’occasion de monter un studio ensemble.
Quel a été le suivi d’Anne Goscinny lors de la mise en production du film ?
A.F. : Elle a coécrit le scénario avec Michel Fessler. Ce projet vient d’elle, donc pour nous il était important de correspondre à ses envies. On avait besoin d’elle car on anime des personnages qu’elle connait très bien. Il fallait être fidèle au caractère des deux auteurs. Anne nous a montré des lettres, des archives, les objets de son père et nous a permis de se plonger dans leurs univers. On a pu s’asseoir au bureau de René Goscinny et voir les objets qui s’y trouvaient. Son étui à cigarettes, son réveil – qui lui servait à mesurer les heures auxquelles il travaillait sur Astérix, sur Le Petit Nicolas, sur Lucky Luke, etc. –, la cocotte en porcelaine offerte par Gotlib…Tout cela on le retrouve dans le film sur son bureau. On a essayé d’être le plus fidèle possible.
"Pour que les équipes créatives aient des références sur l’univers de Sempé, on a fait des dossiers arbres, véhicules, rues, pluie, personnages à vélo, etc. avec tous les dessins de Sempé classés dedans. Il y avait beaucoup de matière à disposition, de quoi remplir une bibliothèque !"
Il y a une part de travail de documentariste dans cette démarche…
A.F. : Oui, complètement, mais avec certaine liberté aussi. Sempé a souvent déménagé d’atelier, et on a fait un mix entre ses différents lieux de travail. On a souhaité conserver le premier sous les toits avec la verrière qui nous semblait bien fonctionner. On s’est réapproprié certaines choses aussi tout en s’inspirant des photos à disposition.
Pour que les équipes créatives aient des références sur l’univers de Sempé, on a fait des dossiers arbres, véhicules, rues, pluie, personnages à vélo, etc. avec tous les dessins de Sempé classés dedans. Il y avait beaucoup de matière à disposition, de quoi remplir une bibliothèque ! On s’est servi de ses dessins mais il a fallu recomposer l’image tout en gardant cette perspective déformée qu’il a créé.
Qu’est-ce que cela représentait pour vous et les équipes de s’attaquer à ces auteurs et comment s’est déroulée la fabrication du film ?
F.B. : Ce sont deux monstres, des auteurs importants que tout le monde connait depuis des générations, cela met la pression. Ce sont deux personnes touchantes aussi, ça donne envie de faire bien. Pendant le confinement, on s’est débrouillé à ce que l’équipe complète reste au studio, avec les masques. Cette période-là n’était pas drôle pour tout le monde, mais pour nous cela s’est bien passé. Il y a eu une belle entente dans l’équipe, ça a été un plaisir de travailler sur ce film du début à la fin.
A.F. : Les gens étaient très enthousiastes de venir travailler sur ce projet, c’était génial. Avec Benjamin Massoubre, coréalisateur, Fursy Teyssier, directeur artistique, Juliette Laurent, cheffe animation, et la production, nous nous sommes rendus régulièrement au studio. J’essayais de venir une semaine par mois. Cela permet de se connaitre. Et pour moi, c’était agréable de revenir à Angoulême, qui est une ville que je connais bien pour y avoir étudié et que j’aime beaucoup. L’équipe était super passionnée, et impliquée. Ils ont mis leur talent au service du film.
Ensuite est arrivé le travail de son… ?
A.F. : On a pu enregistrer les deux acteurs ensemble (Alain Chabat pour René Goscinny et Laurent Laffitte pour Sempé), chose qui ne se fait pas couramment. Cela a permis qu’ils se répondent, et de leur donner une certaine liberté. Simon Faliu qui a fait la voix du Petit Nicolas est un jeune acteur incroyable.
La musique entrainante que Ludovic Bource a composée spécialement pour le film donne une dimension incroyable à l’histoire.
Depuis il y a eu la sélection en séance spéciale à Cannes et le Cristal à Annecy, récompense suprême en animation…
A.F. : Monter les marches à Cannes alors qu’on venait tout juste de finir le film, et recevoir le Cristal à Annecy ont été des instants magiques dont on se souviendra longtemps. Il y avait de très bons films, tout le monde a sa chance et le suspens était à son comble jusqu’au bout. Pour nous c’était tellement important d’avoir un prix à Annecy. C’était du bonheur, on avait qu’une hâte : appeler toute l’équipe pour partager la nouvelle !
"Dès que l’on a fini le film, Jean-Jacques Sempé était la première personne à qui on a voulu le montrer. Il a été très ému de certaines séquences. Il était content et fier de se voir en personnage animé avec son copain René."
Quels retours avez-vous eu du public ?
A.F. : Lors des séances scolaires et des avant-premières en région, on voit que les enfants réagissent positivement. À la fin du film, ils posent plein de questions, ce qui montre qu’ils sont intéressés, notamment par la création du Petit Nicolas et le plaisir de vivre avec lui ces aventures.
F.B. : Les adultes pensent emmener les enfants voir un dessin animé mais ils ne s’attendent pas à voir un film pour eux-mêmes, ils sont généralement positivement surpris.
Avez-vous pu montrer le film à Jean-Jacques Sempé avant qu’il ne disparaisse en août dernier ?
A.F. : On avait montré à Jean-Jacques Sempé quelques planches et personnages avant la fabrication du film, pour qu’il nous donne son avis, son accord. Dès que l’on a fini le film, c'était la première personne à qui on a voulu le montrer. Il a été très ému de certaines séquences. Il était content et fier de se voir en personnage animé avec son copain René.
F.B. : Et nous on est très contents et très fiers de l’avoir fait bouger ce monsieur…
Qu’est-ce que vous aimeriez que le public retienne de ce film après l’avoir vu ?
A.F. : Le film aborde plusieurs sujets. On voulait se mettre à hauteur d’enfant avec ce petit garçon qui pose des questions à ses auteurs comme le font les enfants de cet âge. On aborde le sujet de la création, de l’amitié, de la résilience, mais on montre aussi que ces deux auteurs très connus ne sont pas arrivés là en un claquement de doigts. Ils ont beaucoup travaillé, ils ont traversé des épreuves dures dans leurs vies mais ils ont en fait une force pour rebondir, créer ce qu’ils voulaient. Le message est qu’il ne faut pas attendre que le bonheur nous tombe dessus mais le provoquer pour l’apprécier. On espère que les gens ressortent pleins de bonne humeur, avec des belles images et histoires dans la tête, à la fois émus et avec le sourire.