"Le Pion du Général", une analyse de l’emprise
Rakib, jeune employé de maison en charge du manoir du Général Purna, mène une vie paisible. Le retour de l’homme de guerre pour les élections locales donne son prétexte au film, qui étudie au plus près les mécanismes du pouvoir et de la violence d’un homme sur un autre.
Peut-être est-ce la présence du jeu d'échecs qui accompagne tout le film, ou bien simplement celle des reflets et des obstructions qui parasitent souvent la vue des personnages et la nôtre. Makbul Mubarak parvient dans ce premier long métrage, à infuser une tension subtile, en grande partie à travers la direction de ses acteurs et l’écriture de son personnage du Général Purna, interprété avec talent par Arswendy Bening Swara.
La figure de Rakib - jeune employé de maison qui sert la famille du Général, comme son père et son grand-père avant lui - comme point d’ancrage de son récit, permet au réalisateur de porter un regard naïf sur un constat universel : la pratique du pouvoir est profondément malsaine.
À rebrousse-poil d’un cinéma occidental souvent très explicite, le film ne montre quasiment pas de scène d’affrontement. Il n’y a pas d’éclats de voix, pas de disputes, peu de désaccords. Les personnages ont des échanges calmes et faussement apaisés, dont la seule issue reste un accord fictif ou forcé. En d’autres termes : sous emprise.
Avec une série de dispositifs cinématographiques, Mubarak observe le calme apparent, dont on comprend qu’il est en fait un couvercle posé sur une situation plus bouillonnante qu’il n’y paraît. Le talent du réalisateur consiste à maintenir cette ébullition jusqu’à ce que la soupape saute. Pour y parvenir, il y a d’abord l'importance des regards. Celui de Rakib, qui tente de comprendre les rouages d’un mécanisme ancestral, et celui de Purna, qui suffit à étouffer toute tentative d’opposition. Mais il y a aussi les regards que la population porte sur ces deux hommes, leur ressemblance supposée, la peur qu’ils inspirent et enfin, les regards que ces deux-là portent sur eux-mêmes. L’un à la recherche d’un père de substitution, l’autre dans la construction de sa légende.
Le poids des actes, celui des hommes, convertissent Le Pion Du Général en une expérience sensorielle. C’est un cadre dans lequel entrent et sortent des personnages comme autant de déclarations d’intention, c’est un repas partagé qui pourrait laisser présager d’autre chose, ce sont des odeurs qu’on devine, des textures que l’on peut presque toucher, la chaleur pesante qui englue le film.
"Tu as vu ça ? Le pouvoir fascinant du mot "désolé" ? Il peut transformer la rage en bienfait". On retiendra cet échange, tôt dans le film, qui fait un étrange écho au portrait du Général accroché dans le manoir, lequel semble toiser à la fois Rakib et les spectateurs. Le mensonge des puissants est décidément universel.