"Le Règne animal" – Aux animaux la guerre
Le réalisateur Thomas Cailley signe avec Le Règne animal son deuxième long métrage. Une fable écologique et sociale, traversée par les paysages verts des forêts landaises et la musique douce-amère d’Andrea Laszlo De Simone. Une dystopie initiatique, qui ouvre la voie à une foule d’interprétations.
Et si, à force de prédation et de pollution, l’espèce humaine mutait ? Et si nos corps, que l’on muscle, que l’on maquille, que l’on pare d’atours et de tatouages, se transformaient pour échapper totalement à notre contrôle ? Et si la médecine n’y pouvait rien ? Voilà les interrogations qui servent de point de départ à l’histoire racontée par Thomas Cailley.
En première lecture, c’est le discours écologique qui s’impose. Le film s’ouvre sur la scène classique d’un père et son fils en voiture, le père donnant des leçons de vie à un adolescent récalcitrant aux paroles paternelles. Romain Duris dispute son fils Émile, qui se gave de mauvaises chips à l’huile de palme. Il déclame avec emphase ses préceptes écologiques, en mettant l’alimentation au centre et tout en fumant, dans l’habitacle, des cigarettes tout aussi mauvaises pour la santé. Premier signe d’intelligence : on explique quelque chose tout en montrant sa contradiction. Le film ne sera pas un manifeste écologique doctement asséné aux spectateurs. Même s’il fait semblant de porter des gros sabots, Thomas Cailley avance à pas feutrés.
Père et fils vont quitter la ville pour suivre Lana, la mère, devenue une de ces créatures dont on ne comprend pas la mutation. La "patiente" est transférée dans un centre du sud de la France, où la vie lui sera plus douce, affirme la spécialiste en blouse blanche. En s’installant là-bas, Émile, l’adolescent, commence à voir apparaitre des signes de changements sur et à l’intérieur de son corps. Effrayé, il tente de dissimuler aux yeux de tous sa mutation en "bestiole".
C’est là qu’intervient une deuxième lecture. Émile est en pleine puberté et de fait, son corps change. La fable dystopique écologique retrace aussi un rite de passage, celui de l’état d’enfant à celui d’homme. Car ce sont bien les marques de virilité qui naissent sur la peau d’Émile : des poils sombres et épais s’invitent sur ses bras, sur son torse, dans son dos. Sa force physique le surprend, elle semble décuplée. C’est un changement irrémédiable. On ne peut pas rétropédaler, ce que le personnage essaie pourtant littéralement de faire à plusieurs reprises. Le père, lorsqu’il réalise les changements à l’œuvre chez son propre fils, fait tout pour les ralentir et les minimiser. Il tente en vain de garder l’enfant encore un peu pour lui.
Une remarquable direction d’acteurs tient le film et rend particulièrement émouvant ce portrait de famille monoparentale, qui se bat contre le reste du monde, sourd à sa réalité.
Enfin, toute la vie cachée des créatures, parquées dans les forêts (dont les vues sont éblouissantes) évoque une troisième lecture. Celle de la ségrégation et du rejet de la différence. Cette nouvelle espèce effraie les humains qui n’ont pas muté. Leur premier réflexe sera de les enfermer, de les traquer, et pour les plus violents, de les tuer. La scène de battue nocturne, digne du Moyen-Âge, est peut-être la moins fictionnelle du film.
Tendre mais effroyable, esthétique et cruel, Le Règne animal joue sur tant de registres que personne ne voit vraiment le même film. Et c’est sûrement le présage d’une œuvre accomplie.
Le Règne animal de Thomas Cailley
Fiction / Production : Nord-Ouest Films, Artémis Production / Distribution : Studio Canal France / 2023 / 128 min
Soutien à la production de la Région Nouvelle-Aquitaine et des Départements de la Gironde, des Landes et de Lot-et-Garonne, en partenariat avec le CNC et accompagné par ALCA, Gironde Tournages, les Bureaux d’accueil des tournages 40 et 47 et Ciné Passion en Périgord.
En salle le 4 octobre 2023.