"Le sexisme est une expérience collective"
Dans le cadre du cycle consacré aux violences sexistes et sexuelles dans le cinéma, entamé par la Région Nouvelle-Aquitaine, ALCA et le Collectif des festivals de cinéma et d’audiovisuel de Nouvelle-Aquitaine, le Festival du film francophone d’Angoulême (FFA) s’est transformé en point de rendez-vous pour une nouvelle session d’ateliers. Ils étaient pour cette fois dispensés par l’association La Petite, spécialiste des questions d’égalité et d’inclusion dans le secteur culturel. Le Département de la Charente s’est allié pour l’occasion à cette matinée professionnelle de prévention.
Les prises de paroles officielles qui précèdent aux temps d’atelier témoignent de l’importance de ce moment. 2024 : marquez une croix sur la frise chronologique de l’Histoire du cinéma français. Judith Godrèche a haussé la voix, et les langues se sont déliées. Par centaines, par milliers. Le Directeur du Département, Philippe Bouty, en appelle à "l’égalité et à l’éviction de la violence". Le Président d’ALCA, Bruno Boutleux, précise qu’il existe un facteur "aggravant à ces violences, qui est la précarité des contrats. Il est trop facile d’ostraciser les personnes qui travaillent dans ce secteur." Et Rachel Cordier, Directrice générale, de conclure sur une note d’espoir collectif "J’espère que nous grandirons ensemble".
Mais place à la pratique. Asli Ciyow donne un atelier participatif sur le sexisme dans les affiches de cinéma. Et non, on ne remonte pas jusqu’en 1950. La formatrice a choisi des affiches essentiellement tirées de la sélection du FFA de cette année, ou de films sortis récemment en salle. Les films de supers héros VS les Catwoman ou Supergirl, les films politiques qui mettent en avant des hommes, imprégnés de leurs fonctions et entourés des ors de la République, quand les femmes sont photographiées très près du visage, maquillées, et dont les titres les privent systématiquement de leurs patronymes (Bernadette, Simone, Olympe, une femme dans la Révolution…). Tout l’enjeu de ce temps de sensibilisation est de nous faire réaliser que ces images occupent l’espace public. Arrêts de bus, bouches de métro, devantures des cinémas, magazines : les clichés qu’elles font perdurer et l’image de la femme qu’elles véhiculent s’inscrivent dans les esprits, bien malgré nous, usant du même pouvoir insidieux que celui de la publicité. Questionner, critiquer et analyser les affiches, car aucune image n’est anodine, voilà l’exhortation joyeuse et argumentée de la formatrice de La Petite.
L’autre atelier proposé par l’association de prévention lors du FFA se consacre à deux axes : l’identification des violences sexistes et sexuelles et comment réagir face à elles, que l’on soit victime ou témoin. La Directrice de la communication d’Audiens est invitée en préambule. Le groupe de protection sociale, spécialisé dans les secteurs de la culture, de la communication et des médias, a lancé en 2020 une cellule d’écoute psychologique et juridique dans le but de mieux connaître ces violences, pour mieux les combattre. Les chiffres sont glaçants. 82% d’appels proviennent de femmes, sur les 1400 appels recensés depuis l’ouverture de la ligne. Sur tous ces cas d’agressions recensées, seulement cinquante procédures ont été engagées.
"Le frein financier est majeur, assure Caroline Rogard d’Audiens. L’agresseur est majoritairement l’employeur, le supérieur et les victimes sont les précaires. Le frein réputationnel est aussi très fort dans le milieu de la culture, d’où l’omerta généralisée".
Anne-Lise Vinciguerra, Directrice de La Petite, reprend la parole pour entamer son atelier. Elle commence, elle aussi, par une succession de chiffres et de courbes effrayantes, qui montrent, entre autres, la disparition de 50% des intermittentes entre l’âge de 30 et 40 ans. Elles font des enfants, et se mettent en retrait pour s’en occuper, font moins de réseau puisqu’elles sortent moins, trouvent donc moins facilement du travail. Les tâches domestiques étant toujours assumées 1h28 de plus par jour par les femmes, elles sont effacées du paysage, progressivement. Ce n’est qu’un chiffre, une donnée parmi d’autres, tous assez révoltants. La Directrice de l’association profère alors une phrase forte, qu’elle répétera plusieurs fois durant son intervention : "Le sexisme est une expérience collective et non individuelle (#metoo en est la preuve). Et le sexisme est le terreau des violences." Sachant qu’une femme sur trois a subi des violences graves au travail, on ne peut que tomber d’accord sur l’aspect systémique du sexisme.
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La culture, et le cinéma en particulier, sont-ils plus concernés par les VSS que d’autres secteurs d’activités ?
Anne-Lise Vinciguerra : Le secteur culturel pâtit de ce que l’on nomme "l’illusion d’égalité". Il se perçoit comme progressiste et donc ne réalise pas les problèmes qui le touchent. Pourtant, le rapport explosif de Reine Prat pour le ministère de la Culture, Pour une plus grande et une meilleure visibilité des diverses composantes de la population française dans le secteur du spectacle vivant - Pour l'égal accès des femmes et des hommes aux postes de responsabilité, aux lieux de décision, à la maîtrise de la représentation, date de 2006…
Ce qui est vraiment propre au cinéma, je dirais que ce sont les rapports de pouvoir déséquilibrés, dans un système basé sur l’entre-soi et la réputation, structuré par la cooptation. De ce fait, le secteur culturel facilite les violences plus que d’autres milieux. Mais un autre facteur entre en jeu : des personnalités médiatisées dénoncent, le grand public en prend plus facilement connaissance.
Existe-t-il un phénomène de metoo washing, qui s’appuierait sur la même logique que le greenwashing, (tactique des grandes entreprises qui mettent en avant leur démarche écologique et responsable mais qui s’avère être une totale imposture) ?
A-L. V : Oui, ça s’appelle le purple washing, ce n’est pas nouveau. Certaines structures communiquent sur des positions fermes auprès de leurs publics mais ne traitent pas les signalements en interne. S’afficher comme les plus grands défenseurs des femmes et de l’égalité est parfois même une stratégie des auteurs de VSS pour mieux dissimuler leurs actes. La peur de se faire afficher publiquement sur les réseaux pousse cependant certaines entreprises à réagir. Les réseaux sociaux constituent un outil à double tranchant, car il permet à la fois de mener des actions collectives et de les mettre en lumière, mais c’est aussi un outil destructeur aux mains des masculinistes, qui s’en servent pour nuire aux militantes.
Comment, au sein de La Petite, luttez-vous contre ces violences ? Quels sont les outils ou leviers les plus efficaces ?
A-L. V : Nous avons développé tout un catalogue de formations et d’ateliers et sommes très sollicitées pour les dispenser. On intervient sur tout type de structures, et beaucoup dans les écoles supérieures d’arts. Mais La Petite propose aussi tous les ans un festival de musiques électro, Girls don’t cry, avec une jauge à taille humaine, des artistes de niche, une identité artistique forte et ancrée sur notre territoire (Toulouse, Occitanie, ndlr). On a décliné Girls don’t cry en un média qui ambitionne de mettre tous les jours en visibilité des artistes femmes, queer, non binaires… On propose des playlists sur cette ligne-là, des techniques d’empowerment, de l’info, des séries comme Pardon ?, dans laquelle des personnes témoignent de leurs agressions et donnent leurs techniques d’autodéfense verbale. On a aussi un festival de cinéma féministe, à Toulouse, dénommé Girls don’t cry également. Ce sont toutes nos manières d’agir mais le levier le plus utile, quand on est victime ou témoin, c’est le signalement, auprès de son employeur, ou de son syndicat, ou de l’inspection du travail.