Le sous-bockisme, du vide-greniers à la galerie d'art
Entre autodérision et valorisation d'une pratique accessible à tous, qui s'est développée notamment grâce aux réseaux sociaux, les expositions de sous-bocks dessinés par Laurent Lolmède et consorts font un (bar-)tabac. Rencontre.
Après avoir acquis un stock de sous-bocks dans un vide-greniers, Laurent Lolmède s'est mis à dessiner sur un, puis deux, puis deux cents... Il s'agit d'abord d'un projet personnel, et les œuvres au petit format, réalisées au crayon rouge et bleu, sont regroupées dans le livre Sous-Bock collection aux éditions Alain Beaulet. Puis, à l'occasion d'une exposition, l'idée lui vient de convier d'autres artistes à réaliser chacun leur sous-bock. Après avoir fait appel aux copains, il créée une page Facebook dédiée, et reçoit une avalanche de sous-bocks, donnant finalement corps à une nouvelle exposition, voire à plusieurs expositions, car le nombre de participations est tel qu'il faut opérer chaque fois une nouvelle sélection.
Le succès de son appel a surpris l'artiste lui-même, dépassant largement le cercle de ses connaissances : "Des rencontres inattendues et inespérées, il y en a eu beaucoup : des dessinateurs et dessinatrices très connus qui m'ont fait l'amitié de participer au projet, et d'autres moins connus, que je ne connaissais pas, dont j'ai parfois découvert le travail et avec qui je suis même devenu ami. […] Tout le monde a l'air de bien s'amuser avec ça, moi le premier". Le résultat, que l'on a pu tout récemment admirer au off du Festival de la bande dessinée d'Angoulême, constitue un fantastique aperçu de la création graphique contemporaine et, bien souvent, alternative.
En parallèle de ce projet devenu collectif, Lolmède a construit un langage et une rhétorique toute empreinte d'académisme de second degré, autoproclamant son mouvement le sous-bockisme. Revanche de la bande dessinée sur un certain discours porté par l'art contemporain ? L'auteur nuance : "C'est plutôt une aventure collective qui rassemble tous les médias et à laquelle participe qui veut. Mais oui, ça reste quand-même une entreprise humoristique et décalée, pour le coup."
"C'est l'union qui fait la force, quand on voit ensuite l'ensemble des sous-bocks exposés."
Derrière la parodie d'un mouvement un peu "pompeux", il y a un projet simple et efficace : comme il le dit lui-même, Lolmède n'a pas inventé le fait de dessiner sur les sous-bocks. À l'opposé du discours parodique sur l'art, le projet valorise une pratique éminemment démocratique, désacralisée, et accessible à tous : "Ce qu'il y a de fort dans ce projet, c'est qu'on n'est jamais à l'abri d'une bonne surprise : un sous-bock d'amateur comme celui d'un enfant peut-être tout aussi fort et réussi que celui d'un professionnel... Mais attention, même un dessin raté sur un sous-bock a son charme, c'est pour ça que tout le monde peut participer dans la joie et la bonne humeur !"
Ce ne sont pas des paroles en l'air : tout le monde peut participer. Non seulement parce que l'artiste a désormais ouvert à tous la participation au groupe Facebook Sous-bock collection, y compris amateurs et enfants.
L'interview sous-bockiste
Les sous-bockistes, qui sont-ils ? Quels sont leurs réseaux ?
Laurent Lolmède : Ce sont de drôles d'oiseaux : de jour ou de nuit, Ils viennent de partout pour les grandes migrations sous-bockistes. Leur réseau, c'est Facebook bien-sûr, via la page Sous-bocks collection, où ils se retrouvent pour discuter et échanger autour d'un bon sous-bock à défaut d'un bon bock (de bière !).
La déferlante sous-bockiste envahit salons et galeries : Aix-en-Provence, Angoulême, Paris, maintenant la Belgique... Le Moma vous a-t-il contacté ?
L.L. : Non, mais ça ne saurait tarder. L'Amérique ne pourra pas ignorer indéfiniment ce qui se passe ici. Donald Trump parle déjà d'un embargo et de taxer les sous-bocks européen à 75% par pur protectionnisme. C'est une hérésie et une grave erreur. J'ai envie de lui dire : "Donald, écoute ton cœur et la parole du Christ. N'a-t-il pas dit un jour 'Sous-bockons les uns les autres' ?". L'internationale sous-bockiste est en marche, de toute façon.
Votre mouvement remet les PMU sur le devant de la scène. C'est un lieu très important pour les artistes...
L.L. : C'est très important, en effet ! Quoi de plus agréable, après avoir engraissé la Française des Jeux, que d'aller s'installer à la terrasse du café pour se faire un p'tit sous-bock (comme on dit chez nous) ?
"Le sous-bockisme est plus proche de l'agriculture biologique que de Uber. Il favorise les circuits courts, et n'utilise que des produits naturels. Nous n'utilisons plus de sous-bocks d'élevage, mais des sous-bocks élevés en plein air..."
Le sous-bockisme est ouvert à tous et casse les prix... Peut-on parler d'uberisation de l'art graphique ?
L.L. : Je ne pense pas : le sous-bockisme est plus proche de l'agriculture biologique que de Uber. Il favorise les circuits courts, et n'utilise que des produits naturels. Nous n'utilisons plus de sous-bocks d'élevage, mais des sous-bocks élevés en plein air... On a une éthique, et nous comptons bien la garder. Il faut dire que les sous-bockistes sont très sensibles aux problèmes d'environnement et particulièrement celui du réchauffement climatique. À ce sujet, j'adorerais avoir un sous-bock dessiné par Greta Thunberg, ce serait top !
Les croutistes* revendiquent eux aussi le renouvellement de la scène artistique. Comment réagissez-vous face à cela ?
L.L. : J'en parlai hier avec Piotr Pavlenski : les vrais artistes sont ceux qui se renouvellent et mettent les pieds dans le plat, sinon, ça n'a pas de sens.
En parallèle, le cutterisme, lui, se revendique du sous-bockisme... C'est un mouvement décidément très fécond...
L.L. : Tout ce qui finit en isme est bienvenu chez nous !
Vous faites appel non seulement aux artistes, mais aussi aux amateurs, aux enfants, aux poivrots... Le sous-bockisme flirterait-il avec le communisme ?
L.L. : Absolument, d'ailleurs j'adore la couleur rouge... Seuls les poivrots, que j'aime beaucoup, n'ont pas encore rallié le mouvement, mais tout vient à point à qui sait attendre !
*Moins réputé que le mouvement sous-bockiste, le mouvement croutiste, lui aussi mis sur le devant de la scène par Laurent Lolmède, a néanmoins de beaux jours devant lui. Voir #larevanchedescroutes