"Le Terroriste joyeux" ou l’art de détourner la conversation et de poser les vraies questions selon Rui Zink
En 2016, Agullo Éditions a déjà publié de Rui Zink L’installation de la peur, qui a obtenu le Grand prix des Utopiales 2017. Autant dire que la thématique du terrorisme et des problèmes qu’il pose, ajoutés à d’autres, dans les sociétés contemporaines, n’est pas négligée par cette jeune maison d’édition.
À travers un dialogue entre un terroriste arrêté et ses interrogateurs, le présent livre de Rui Zink explore au prisme de l’absurde, sous la forme d’un interrogatoire non dénué de parfums voltairiens pour la fausse naïveté, la problématique du terrorisme qui ponctue avec trop de constance l’actualité contemporaine. Les répliques de l’étrange personnage interrogé, signant à la fois sa propre désinvolture comme aussi bien les partis pris de l’auteur, peuvent passer en apparence arbitrairement du "Madame" au "Monsieur" dans ses interpellations au fil des réponses qu’il fournit… et encore lors des impertinentes questions qu’il s’autorise à formuler. Car, en effet, celui-ci non seulement répond, mais pose aussi beaucoup de questions lui-même, la plupart du temps très habilement déstabilisantes pour ses interlocuteurs. Arrêté à son arrivée dans un aéroport en raison de la bombe que contenaient ses bagages, il soutient ne pas avoir eu pour sa part l’intention de commettre un attentat, ce qui évidemment n’est guère prouvable à moins de découvrir des complices qui à leur tour passeraient à des aveux extrêmement convaincants. Sur la question des faits incriminés et de leur sens, on apprendra donc seulement que le transport de la bombe avait pour commanditaire le cousin du personnage arrêté, dont la mission consistait uniquement en ce transport. Il n’avait nulle autre motivation que son désir de voyager, les éventuelles formalités d’émigration ou d’acquisition du statut de réfugié ne représentant pas pour lui, loin de là, les meilleures solutions requises. En dépit des stratégies protocolaires des interrogateurs et des tortures que chemin faisant ils infligent bel et bien à l’interrogé en enfreignant avec cynisme les règles admises, on n’en saura pas tellement plus sur le plan factuel.
"Quant au sens de l’humour et au redoutable pouvoir de séduction enjouée du personnage clé, il est sans nul doute à ranger au rayon des armes du désespoir de qui n’a pratiquement plus rien à perdre."
En guise d’indications supplémentaires tout à fait suggestives quoi que d’un autre ordre du point de vue narratologique, les dialogues scindés en chapitres sont introduits par des titres numérotés annonçant chacun une nuance thématique différente, tels que «1. Forme", "2. Vide", "3. Une idée", "4. Amitié"… Quant au sens de l’humour et au redoutable pouvoir de séduction enjouée du personnage clé, il est sans nul doute à ranger au rayon des armes du désespoir de qui n’a pratiquement plus rien à perdre. En termes de la facture du texte et de ses enjeux logico-énonciatifs cependant, y correspond la solide mise en œuvre d’une ironie baroquisante assortie d’une charge de réflexion critique que le parti pris de l’absurde jusqu’à la dérision permet à Rui Zink de magistralement déployer tout au long de ces surprenants dialogues. Ainsi, là où de glissements en glissements son personnage, joyeux pour qui veut ne l’envisager que sous cet angle, s’entend à merveille à noyer le poisson en détournant systématiquement la conversation par ses malices afin d’humaniser autant que possible ses partenaires dans la situation où il se trouve pris, se dégagent peu à peu de leur gangue sociopolitique convenue d’autres aspects de la problématique du terrorisme. En particulier, seront évoqués plus ou moins en creux la généralisation de l’état d’esprit, des mesures et des dispositifs sécuritaires, puis des conséquences potentiellement néfastes de ceux-ci. C’est que l’absurde en tant que ressort principiel de l’expression littéraire provient le plus souvent de la conscience aigue d’une dimension d’absurdité patente du réel – absurdité avec laquelle, comme Eugène Ionesco, Samuel Beckett et beaucoup d’autres ont su nous l’apprendre, c’est généralement le tragique qui a le plus intimement maille à partir. Néanmoins, pour les besoins de cohésion de la trame narrative qu’induisent les dialogues et la situation dépeinte, le récit allant à sa conclusion dérive vers le genre fantastique. Le désir d’évasion du terroriste s’est finalement réalisé, en vertu d’on ne sait quels sortilèges, en ce sens que lui et l’un de ses interrogateurs se retrouvent ensemble en liberté dans la ville. Tout irait pour le mieux, au bémol près que les deux acolytes sont devenus invisibles aux yeux du commun des mortels, sinon imperceptibles, et a priori ne peuvent plus se faire entendre de quiconque. À moins que, en participant tout de même au grand concert quotidien de l’absurdité universelle…
À cette composition aussi forte que singulière, succède dans l’ouvrage Le virus de l’écriture, bref récit d’un narrateur en première personne à mi-chemin entre fantastique et science-fiction. Une bonne dose d’humour noir contribue à en faire un texte non moins satirique que celui consacré à la figure du terroriste par la force des choses joyeux. Dans ce récit, une pandémie d’écriture et de création littéraire ravage une société entière. Seul en est exonéré le narrateur, qui lui préfère la lecture et constate, horrifié, que plus personne ne prend le temps de lire quoi que ce soit, trop obnubilés et mobilisés par leur fièvre d’écrire et de conter que sont les uns et les autres.
L’ensemble a été traduit dans le cadre d’un cofinancement par le programme Europe créative de l’Union européenne. La traductrice de l’espagnol et du portugais Maïra Muchnik, anthropologue originaire d’Argentine, est aussi diplômée de l’École de traduction et éditrice. Rui Zink enseigne la littérature et la théorie de l’édition à l’Université de Lisbonne. Agullo Éditions se consacre à faire découvrir en France une littérature étrangère de divers horizons européens et autres et en est à son 15e titre paru dans la seule Collection Agullo Fiction. Dans la Collection Agullo Noir, a paru en mars 2019 Prémices de la chute, de Frédéric Paulin, roman policier sur l’historique des réseaux djihadistes.
Le Terroriste joyeux, de Rui Zink
Agullo Éditions
Collection Agullo Fiction
14 x 20 cm
112 pages
Août 2019
ISBN 979-10-95718-60-4
À cette composition aussi forte que singulière, succède dans l’ouvrage Le virus de l’écriture, bref récit d’un narrateur en première personne à mi-chemin entre fantastique et science-fiction. Une bonne dose d’humour noir contribue à en faire un texte non moins satirique que celui consacré à la figure du terroriste par la force des choses joyeux. Dans ce récit, une pandémie d’écriture et de création littéraire ravage une société entière. Seul en est exonéré le narrateur, qui lui préfère la lecture et constate, horrifié, que plus personne ne prend le temps de lire quoi que ce soit, trop obnubilés et mobilisés par leur fièvre d’écrire et de conter que sont les uns et les autres.
L’ensemble a été traduit dans le cadre d’un cofinancement par le programme Europe créative de l’Union européenne. La traductrice de l’espagnol et du portugais Maïra Muchnik, anthropologue originaire d’Argentine, est aussi diplômée de l’École de traduction et éditrice. Rui Zink enseigne la littérature et la théorie de l’édition à l’Université de Lisbonne. Agullo Éditions se consacre à faire découvrir en France une littérature étrangère de divers horizons européens et autres et en est à son 15e titre paru dans la seule Collection Agullo Fiction. Dans la Collection Agullo Noir, a paru en mars 2019 Prémices de la chute, de Frédéric Paulin, roman policier sur l’historique des réseaux djihadistes.
Le Terroriste joyeux, de Rui Zink
Agullo Éditions
Collection Agullo Fiction
14 x 20 cm
112 pages
Août 2019
ISBN 979-10-95718-60-4
André Paillaugue a fait des études de Lettres à Bordeaux et Paris. Il a été critique littéraire et critique d’art pour Spirit, Junkpage, les Cahiers de Critique de Poésie du Cipm. Il a pubilé aux Éditions de l’Attente et en revue : Ouste, Le Festin, Le Bord de l’Eau, les Cahiers Art & Science, L’intranquille, Espace(s)-CNES.