Le Vieil Homme et la mare
Le peintre, illustrateur et auteur bordelais Max Ducos publie son dernier album Le Vieil Homme et la mare, une histoire d'eau et d'amour, chez la nouvelle maison béarnaise Poids Plume Éditions.
Toute sa vie, le vieil homme a pris soin de sa mare. Elle a grandi et verdi dans un monde tout gris. Mais le voilà délogé de son coin de verdure, forcé à quitter le fauteuil pliant dont la toile rayée de bleu s’était confortablement assouplie au fil des années passées à observer pousser les nénuphars. La mare doit laisser sa place aux voitures garées, l'odeur du bitume viendra bientôt remplacer celle de la menthe aquatique et de la sauge des marais. Le Vieil Homme et la mare fait écho à ces parcelles sauvages et fleuries que l’on voit parfois résister longtemps en ville avant de les retrouver totalement grignotées par le béton. Seulement, dans cette fable de Max Ducos, le vieux enroule soigneusement sa mare. Nénuphars, libellules, lentilles d’eau, grenouilles, têtards, roseaux, et même moustiques se retrouvent juchés sur l’épaule de la silhouette voûtée. L’homme au chapeau de paille, clopinant, emporte sa vieille amie, déterminé à lui trouver une nouvelle résidence. Et pourquoi pas ? Le Colin de Boris Vian, ne jouait-il pas à pêcher des anguilles avec du dentifrice à l’ananas ? Le surréalisme ouvre toutes les portes et l’auteur confie lui-même avoir trouvé l’inspiration dans un tableau de Salvador Dalì, Enfant soulevant avec précaution la peau de l’eau pour observer un chien dormir à l’ombre de la mer (1950).
Le vieil homme dont le profil n’est pas sans rappeler celui du Bon gros géant illustré par Sir Quentin Blake émerveille avec sa mare des enfants aux grands yeux noirs qui nous renvoient à ce code graphique affectionné par le Alain Grée de notre enfance. Le temps d’un album, Max Ducos a mis ses traditionnelles gouaches de côté. Nous voyageons dans de délicates aquarelles. Nous sommes surpris par cette nature déposée dans des endroits si familiers et domestiqués. La fraîcheur et les couleurs rassurantes de la mare viennent contraster avec le gris austère des paysages artificiels. Les deux amis se retrouvent systématiquement chassés ou malvenus.
Pourtant, souvent, lorsqu’ils s’arrêtent, ils sèment un peu d’eux-mêmes. Dans chaque dessin, nous nous prenons au jeu. Celui de retrouver parmi ce gris si bien rangé un détail portant l’empreinte de la mare. Les habitants prennent des couleurs… Au centre commercial, un tout petit dans sa poussette frôle un papillon citron. Dans la salle de classe, les enfants plongent les mains dans l’eau, touchent les salamandres et tentent d’attraper les coccinelles. Dans l’appartement, les chats domestiques goûtent, peut-être pour la première fois, une eau sauvage… Mais la mare souffre d’être rejetée, elle s’épuise et rétrécit, si bien qu’au fil des pages, les couleurs menacent de disparaître.
"Nous pourrions demander à nos petits : aimerais-tu découvrir une mare dans le train, au supermarché, ou encore au musée ?"
"Des Livres et des jeux qui interrogent notre manière d’habiter le monde", annoncent les éditions Poids Plume. Une toute nouvelle maison d’édition pour l’illustrateur, auteur et peintre chevronné, Max Ducos. Le Vieil Homme et la mare, publié en avril 2022, constitue le tout premier titre de leur catalogue. Gaëlle Perret, l’éditrice, nous propose d’inviter la nature sauvage dans notre vie artificielle. Le récit, destiné aux enfants de cinq à huit ans, nous enjoint à questionner la place de ce drôle d’animal qui, marchant sur deux pattes, s’est dressé pour dominer toute cette beauté, au point de ne plus la remarquer ni même la respecter.
Nous pourrions demander à nos petits : aimerais-tu découvrir une mare dans le train, au supermarché, ou encore au musée ? Trouverais-tu joli d’entendre le clapotis de l’eau dans la cour de récré ? Dans le monde si ordonné que nous avons créé, ferais-tu une place à ce vieil homme singulier et à ce qu’il a passé sa vie à cultiver : son jardin, sa mare ? Car ce que nous conte Max Ducos n’est pas seulement une fable écologique. En creux, cela raconte beaucoup plus. La mare se vide et c’est comme une petite mort.
La construction dramaturgique est là : le personnage est "pendu", car nous le comprenons, le vieil homme et sa mare ne font qu’un. Nous tournons fébrilement la page avec l’espoir de pouvoir à nouveau contempler les couleurs lumineuses de nos personnages. L’auteur nous confie la difficulté de retrouver une place lorsque la vie nous force à faire un pas de côté. L’accident ne nous laisse pas le choix. À l’image de ce vieux qui prend soin de sa mare, il nous faut alors prendre soin de nous, nous mettre en mouvement, parcourir le monde qui nous entoure à la recherche d’un lieu, d’un livre ou d’un ami qui nous aidera à recréer un équilibre, un chez-soi.
(Photo : Quitterie de Fommervault)