Les comités d'expertise, lieux d'appréciation du soutien à la création cinématographique et audiovisuelle
Avec près de 10 millions d'euros engagés en 2021, auxquels contribuent les Départements et en partenariat avec le CNC, la Nouvelle-Aquitaine est l'un des principaux financeurs régionaux de la création cinématographique et audiovisuelle en France. Prologue vous propose un éclairage sur les modalités d'attribution de ces aides et notamment sur le travail des professionnels qui mènent l'expertise des dossiers déposés.
Depuis 2020, ALCA assure l'intégralité de l'instruction du fonds de soutien à la création cinématographique et audiovisuelle de la Région Nouvelle-Aquitaine. Ce fonds, doté de 6,37 millions d'euros et abondé par les Départements partenaires à hauteur de 3,27 millions, a permis en 2021 de soutenir 166 projets d'animation, de fiction et documentaires, à l'étape de la conception ou de la production. Ces 166 projets représentent 23 % des 760 qui ont été déposés, des chiffres illustrant une sélectivité importante opérée dans le cadre d'un règlement soucieux du principe d'égalité d'accès aux aides publiques.
Quant à l'attribution même des aides, celle-ci s'organise en quatre étapes. L'éligibilité des dossiers déposés est d'abord étudiée par les équipes d'ALCA, comme l'explique Guillaume Menesplier, en charge du fonds de soutien pour le documentaire : "À ce stade, nous vérifions que les demandes répondent aux critères du règlement d’intervention de la Région et à celui du CNC avec lequel la Région Nouvelle-Aquitaine est liée par convention. C’est après cette première étape que les projets sont envoyés en lecture." Les dossiers sont donc ensuite expertisés par des professionnels du cinéma et de l’audiovisuel, qui établissent des recommandations en vue du soutien. Celles-ci sont transmises à un comité de chiffrage réunissant des techniciens de la Région, des Départements partenaires et d’ALCA. Le Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine vote finalement l’attribution de ces aides sur la base des travaux des différents comités.
Nommés pour deux ans par ALCA et ses partenaires et officiant dans des comités d'expertise constitués selon les typologies de soutien, les lecteurs présentent des profils variés et représentatifs de la filière du cinéma et de l'audiovisuel.
Des critères d'expertise
Proposé par le Pôle image Magelis, partenaire d'ALCA associé à l'instruction des dossiers pour l'animation, Nicolas Blard a intégré en 2020 son premier comité de lecture. Vivant à Chalais (16) et travaillant entre Bordeaux et Angoulême, il est le réalisateur notamment de la série Toc Toc ! diffusée récemment par France Télévisions. À l'instar des neuf autres professionnels composant le comité Animation pour l'audiovisuel, son travail de lecteur consiste à étudier les dossiers, dont l'éligibilité a été au préalable vérifiée par ALCA, selon des critères artistiques, techniques et territoriaux. "Je commence par lire absolument tous les éléments des dossiers avant de me focaliser principalement sur l'artistique, la technique, les budgets et notamment l'emploi en région", détaille-t-il.
La part de l'emploi prévue en région, la faisabilité technique et financière, les éventuels précédents dépôts des porteurs de projet sont parmi les critères objectifs fondant l'expertise. Pour Vincent Gaullier, journaliste scientifique devenu réalisateur et producteur au sein de la société parisienne Look at sciences, membre du comité dédié au documentaire de création pour l'audiovisuel, "l'expertise se vit plus largement comme un travail d'accompagnement." "Bien sûr il y a une démarche de sélection des projets jusqu'à la décision finale de soutien en fonction de critères définis, poursuit-il, mais cela se fait dans une logique d'accompagnement : comment des projets qui sont fragiles à l'écriture peuvent se révéler des moments de rencontres extraordinaires, comment amener vers des narrations et des réalisations plus documentaires, cinématographiques."
"Il y a des moments où l'on est particulièrement touché par un court métrage, son écriture, ses fragilités. Plus que de la subjectivité, je pense que la sensibilité nous pousse à défendre aussi des projets pensés et proposés différemment, avec parfois peu de moyens", abonde Julie Lecoustre, scénariste et réalisatrice dont le premier long métrage, Rien à foutre, a été présenté au Festival de Cannes 2021 dans le cadre de la Semaine de la critique, et qui expertise les projets de courts métrages. La primauté de la dimension artistique d'un projet dans ce travail d'appréciation est partagée par Bénédicte Thomas, fondatrice et directrice d'Arizona Distribution, à Paris, membre du comité en charge de l'expertise des longs métrages de fiction pour l'aide à la production : "L'intérêt de notre intervention se concentre d'abord sur la subjectivité, sur la dimension artistique des projets à partir de la lecture du scénario. Même si ce ne sont pas des œuvres que je distribue, il m'est arrivé de défendre des films grand public lorsque je trouvais l'écriture intelligente et efficace. Dans les comités, on ne prêche pas forcément chacun pour sa paroisse puisque nous soutenons aussi des films qui nous plaisent en tant que spectateur."
Évaluer la cohérence de la proposition
De nombreux sujets et traitements étant expertisés, les lecteurs ne sont donc pas toujours familiers de ces propositions, comme l'explique Vincent Gaullier : "J'ai pu avoir du mal à appréhender des projets avec de très forts dispositifs, que je ne pratique pas moi-même comme le film dit expérimental, mais j'ai appris dans ces comités à apprécier ce type de réalisations." Productrice chez Merlin Productions, en Île-de-France, auparavant productrice indépendante de films d'auteur, Claire Bodechon assure quant à elle l'expertise des dossiers de fiction audiovisuelle en se focalisant sur le travail engagé : "Mon expérience sur des œuvres diverses me pousse à évaluer d'abord la cohérence du projet. Quels que soient le public auquel s'adresse le projet, le positionnement de ce dernier en matière industrielle, sa singularité et les compétences engagées, je m'attache en premier lieu à étudier le travail qui a été fourni."
Un élément essentiel de l'appréciation de la proposition artistique est sa cohérence, à la fois dans la clarté de ses intentions mais aussi dans le parcours de l'auteur. "On essaie de ne pas lire qu'un seul scénario mais de voir le travail de l'auteur, aussi celui du producteur, dans son ensemble, avance Bénédicte Thomas. Un scénario génial proposé après un premier film très mauvais, c'est compliqué à analyser. À l'inverse, on peut avoir été séduit par un premier film et être déçu par le scénario suivant."
"Il faut nous donner tous les points d'entrée, toutes les clés qui vont nous permettre d'être le plus au clair avec ce qui est présenté."
Pour Claire Bodechon, le porteur de projet doit être d'abord "capable de communiquer la substantifique moelle de ce qu'il veut faire sans nécessairement trop écrire." "Il faut nous donner tous les points d'entrée, toutes les clés qui vont nous permettre d'être le plus au clair avec ce qui est présenté, précise-t-elle. Et ce travail ne consiste pas à noircir de la page mais simplement à se faire comprendre."
"En tant que lecteur ou lectrice, nous avons aussi la charge d'encourager et de défendre une confiance auprès de réalisateurs et de réalisatrices dont les projets ne présentent pas forcément une pure maîtrise scénaristique mais qui vont déployer un cinéma empreint d'une grande liberté d'invention", ajoute Julie Lecoustre. "À l'étape de la conception, il faut déposer au bon moment : un projet trop peu avancé a ses faiblesses autant qu'un projet trop écrit sur lequel nous ne pouvons rien apporter", résume Vincent Gaullier.
La rencontre avec un auteur et un producteur
Réunis lors de trois sessions ou plus chaque année, les membres des comités échangent leurs lectures et avis sur les dossiers en vue d'en présélectionner. Les professionnels dont les propositions ont été retenues lors de ce premier tour sont ensuite invités à une audition. "Cette rencontre se déroule avec bienveillance, précise Nicolas Blard. Les personnes que nous accueillons ont besoin de cet argent pour lancer ou développer leur projet, ils ont forcément travaillé et probablement peu dormi les heures précédant l'audition."
Ce deuxième tour est l'occasion pour les membres des comités d'expertise de vérifier leur choix en échangeant avec les auteurs et les producteurs, et surtout de lever d'éventuels doutes quant aux intentions présentées à l'écrit. " Au premier tour, il arrive que le scénario soit un peu bancal mais que l'on souhaite tout de même auditionner le réalisateur et le producteur parce que l'on a connaissance de leurs œuvres préalables, que l'on a confiance, développe Bénédicte Thomas. Mais très souvent, quand le texte n'est pas abouti, les porteurs de projet nous expliquent à l'oral des intentions qui sont éloignées de ce que l'on a lu. Cela ne nous met pas en confiance de voir des changements ou des questionnements non arrêtés."
"Si j'ai un conseil à donner aux porteurs de projet, c'est d'être capables d'apporter à l'oral des solutions aux éventuelles fragilités du scénario", conclut Bénédicte Thomas. "Je crois que la meilleure option pour présenter un projet est qu'il y ait à la fois l'auteur mais aussi le producteur," complète Nicolas Blard, rejoint par Vincent Gaullier : "Le réalisateur et le producteur portent chacun le film à la hauteur de leurs idées. En commençant à travailler dans le cinéma, j'ai appris que les films sont avant tout des œuvres collectives."
Le fonds de soutien en chiffres
9,64 millions d'euros
23 % de sélectivité
166 projets soutenus sur 760 déposés en 2021
49 projets d'animation soutenus
56 projets documentaires soutenus
61 projets de fiction soutenus