Les éditions vagabonde s'installent à la Cité de l’écrit et des métiers du livre de Montmorillon
Bientôt vingt ans d’existence pour les éditions vagabonde et toujours la même volonté de publier selon des critères alliant la curiosité personnelle, les suggestions professionnelles, les rencontres et un sens aigu du besoin de diffuser des voix créatives. Exigence et liberté.
Avec une quarantaine de livres et une moyenne de trois à quatre titres par an depuis quelques années, le catalogue témoigne d’une acuité de choix en matière d’essais littéraires, de fiction ou de poésie. Des textes contemporains côtoient des classiques. L’enquête de Céline Curiol en Sierra Leone – Route rouge – accompagnait les débuts, ainsi que L’Art de naviguer, le (faux) manuel d’Antonio de Guevara, qui bénéficie aujourd’hui d’une réédition augmentée de l’essentielle contribution de Pierre Senges avec sa fiction L’Art de faire naufrage. C’est aussi l’incontournable présence du poète allemand Hans Magnus Enzensberger et du poète et romancier Hugo Ball, cofondateur du mouvement Dada, ou de l’américain Carl Watson, dont quatre fictions ont été publiées. Idem pour Pierre Lafargue, autre écrivain phare de la maison, né à Bordeaux, avec quatre textes également. C’est l’une des particularités du catalogue vagabonde et peut-être à rebours d’une tendance actuelle. Si l’affinité est là, la maison n’hésite pas à s’engager avec les auteurs sur plusieurs livres, "quel que soit le nombre de ventes".
"Quel projet éditorial ? Notre limite est celle de notre liberté."
Pour autant, la maison d’édition est extrêmement consciente de la fragilité de l’aventure, qui ne saurait exister sans l’appui du réseau indépendant du livre en France.
Curieuse de la production de nombreuses maisons indépendantes, telles les éditions Tristram ou Anacharsis en Occitanie, de Monsieur Toussaint Louverture ou de L’Arbre vengeur en Nouvelle-Aquitaine, ou encore des éditions du Sonneur à Paris, parmi tant d’autres, vagabonde, ce sont quatre personnes. Benoît Laudier gère la logistique, l’administratif et la ligne d’écoute pour les écrivains, communément appelée "relations auteurs". Denis Lambert et Stéphane Laudier organisent l’événementiel, la communication, la présence sur les salons, les liens avec la scène (par exemple la récente lecture de poèmes de Hans Magnus Enzensberger à la Maison Heidelberg à Montpellier). Et tout le monde lit. Économiquement à l’équilibre, auteurs, traducteurs, graphiste sont évidemment rémunérés. Pour les éditeurs, on verra plus tard. Même si Lenz de Georg Büchner fut un "succès", cela ne représente qu’environ 3500 ventes…
La Cité de l’écrit et des métiers du livre de Montmorillon (86) devrait offrir de belles perspectives à la maison d’édition, à commencer par un pas-de-porte. Quittant Gaillac et les liens qu’elle avait avec le Centre régional du livre, Occitanie Livre & Lecture, qui apportait souvent un soutien financier à la fabrication des livres, vagabonde s’attend à trouver le même type de soutien en Nouvelle-Aquitaine avec le Contrat de filière associant la Région Nouvelle-Aquitaine, la Drac Nouvelle-Aquitaine et le Centre national du livre.
Denis Lambert et Benoît Laudier ont étudié la philosophie et ont longtemps travaillé dans l’édition et la librairie. Lorsque je demande à B. Laudier s’il y a eu une bonne rencontre au bon moment, il me répond : "Ne soupçonnez rien, je ne m’en souviens plus". Avec Denis Lambert, ils se disent : "Essayons, pour voir". Ils tiendront trois ans sans diffuseur, plaçant leurs livres en dépôt dans les librairies, principalement à Paris, où ils habitaient à ce moment-là. Puis vagabonde s’adosse à un diffuseur/distributeur, Les Belles-Lettres. Depuis 2013, le catalogue est chez Vrin qui propose une gestion un peu différente, occasionnant notamment moins de retours de la part des libraires.
"Vagabonde, dont le logo intègre un g graphique, sorte de yin/yang délié, est effectivement un substantif/adjectif qui signifie entre autres : qui se déplace sans cesse, qui mène une vie nomade, errante ; qui, par goût ou par nécessité, se déplace, voyage."
Pour la charte graphique, le catalogue présente en général une unité visuelle dans une gamme de couleurs pastel et de dessins en empreinte, une identité au charme discret, "l’art du trait dans le retrait". Refus de la surcharge, pas de photographie. Le graphiste – Fabio Lapiana – est Italien et il est possible que les pochettes de disque de jazz des années 50 comptent parmi ses inspirations. Les libraires apprécient plus ou moins car les livres n’attirent pas immédiatement le regard et la main sur les tables, mais un autre type de regard s’attarde, au contraire, attiré par le dessin ouvert à toutes les interprétations. À titre d’exemple, la couverture de À contre-courant rêvent les noyés de Carl Watson suggère aussi bien un tunnel routier que des rails, ou la bobine d’un film.
Aussi, dans ce qui fut annoncé dès le début de l’entretien comme une navigation à vue, s’entend au fond une intention de diffuser des voix littéraires et poétiques "décalées", hors-normes, "dans des tonalités différentes, mais avant tout puissamment impliquées dans la langue française". C’est même un choix affirmé. "Vagabonde, dont le logo intègre un g graphique, sorte de yin/yang délié, est effectivement un substantif/adjectif qui signifie entre autres : qui se déplace sans cesse, qui mène une vie nomade, errante ; qui, par goût ou par nécessité, se déplace, voyage", dixit Benoît Laudier.
Au moment de l’entretien, il est au milieu de cartons de déménagement mais c’est avec enthousiasme qu’il m’annonce les deux prochaines parutions. Le Souci d’exister : aphorismes dans l’ordre du temps, journal philosophique et littéraire du Polonais Henryk Elzenberg, est prévu pour octobre. Et en février-mars 2022 paraîtra Un homme dos à la mer, roman du Taïwanais Wang Wen-Hsing, un texte bâti comme une partition musicale, un écrit expérimental que "les commerces essentiels vont adorer".