Les luttes en héritage, vues par Mathilde Larrère
On s’est battu·es pour les gagner. C’est ce slogan du printemps 2023, scandé contre la réforme des retraites du gouvernement Borne, mis en musique par le groupe Les Vulves assassines, qu’a retenu Mathilde Larrère pour intituler son nouveau livre. Après Guns and Roses, Les objets des luttes féministes, l’historienne spécialiste des mouvements sociaux et des questions de citoyenneté en France au XIXe siècle, nous amène à regarder la conquête de nos droits dans une temporalité étendue, loin de l’événement.
"Non, les lois, les droits ne tombent pas tout rôtis des ministères. Derrière les droits, il y a des foules de femmes et d’hommes" écrit Mathilde Larrère. Des foules pour conquérir des droits, et des combats au long cours.
Cette temporalité, faite de nombre de petites victoires, de grandes conquêtes arrachées par la rue, et dizaines de reculs, c’est celle de la lutte. Parce que l’historienne n’en peut plus d’entendre que "De Gaulle a donné le droit de vote aux femmes tant la formule, souvent répétée dans les médias, efface ces années de lutte, ces armées de combattantes."
Armées de combattantes et de combattants, militantes et militants, anonymes ou personnalités publiques, trouvent ainsi leur place dans cette histoire en mouvement où chaque action compte, jusqu’aux pancartes portées lors des luttes récentes, comme celle-ci, vue lors d’un rassemblement pour le Mariage pour tous, à Marseille, en décembre 2012 : "Je veux les mêmes droits que les homophobes. Pas leur avis."
Ainsi de la "campagne d’ironie" de la militante Louise Weiss en 1936, qui distribuait des chaussettes reprisées aux sénateurs pour réclamer le droit de vote pour les femmes, avec l’inscription : "Même si vous nous donnez le droit de vote, vos chaussettes seront raccommodées", à Ambroise Croizat, ancien métallo devenu ministre du Travail en 1945, qui a lancé la "Sociale" – car, non, "De Gaulle n’a pas non plus créé la Sécu"… toutes les actions s’inscrivent dans l’histoire de la conquête des droits.
On avance ainsi de marches en piquets de grève, de publications en pétitions, articles, tracts, journaux, mobilisations syndicales… En traversant les luttes pour les droits des LGBTQIA+, les droits naturels, les droits politiques, sociaux, droits des travailleurs et des travailleuses, les luttes pour les droits reproductifs, et celles pour les droits des – entre de nombreux guillemets – "sans-papiers", Mathilde Larrère nous livre un véritable "répertoire d’actions".
"Mon projet est de rassembler tous ces combats pour tous ces droits afin d’aider celles et ceux qui se battent aujourd’hui à mieux connaître les luttes dont ils et elles héritent et qu’ils ou qu’elles perpétuent." La compilation de ces luttes, de la Révolution française à nos jours, constitue un nouveau récit d’émancipation collective. Et Mathilde Larrère de citer encore Ambroise Croizat, en 1950 : "Ne parlez pas d’acquis sociaux, parlez de conquis sociaux, parce que le patronat ne désarme jamais."
Car il faut encore et encore le rappeler : voter, vivre et travailler dignement, s’instruire, s’associer, publier librement, manifester, avorter… La conquête de ces droits a une histoire. Et les luttes pour les défendre une actualité.