"Les Mains dans la terre" : portraits sensibles de jardiniers
Au cœur du quartier prioritaire de Coulounieix-Chamiers, dans la banlieue de Périgueux, en bordure de la cité HLM Jacqueline-Auriol, se logent les jardinots, une centaine de petites parcelles de terre arable autrefois réservées aux agents de la SNCF. Michel, Denis, Bernard, Milou et les autres s’y rendent chaque jour pour cultiver leur jardin, “les mains dans la terre”. Le phonographe Marc Pichelin et l’artiste Louise Collet sont allés à leur rencontre. Il en ressort une série de dix portraits sensibles, qui s’égrènent en textes et en images dans une sorte de temps suspendu.
Par le biais de médiums différents, Marc Pichelin et Louise Collet sont néanmoins dans la même démarche artistique : une recherche intime de la poésie contenue dans le réel. Par l’écoute attentive ou l’observation méticuleuse, ils saisissent le monde proche, celui d’hommes et de femmes ordinaires qui, sous leurs regards, prennent les allures de héros du quotidien.
Ici, ce sont des jardiniers. Il n’y a que des hommes, pour la plupart d’anciens cheminots ou ouvriers à la retraite, qui cultivent avec passion leur petite parcelle de terre, mettant en pratique des savoirs acquis de génération en génération. Ils rapportent à leurs femmes leurs récoltes – fruits, légumes ou fleurs –, qu’elles cuisinent ou disposent pour embellir leur maison. Une plongée dans un monde un peu suranné, où l’on suit les cycles lunaires, où l’on cultive des cépages anciens, tel l’Othello résistant au mildiou et venu des États-Unis, comme le raconte Yves.
Petit à petit, mais toujours avec retenue et de façon détournée, on entre dans l’intimité de ces hommes. En s’attachant à décrire leurs gestes, leurs outils, et parfois par l’évocation pudique de quelques souvenirs biographiques, Marc Pichelin et Louise Collet dressent des portraits en creux qui en disent souvent plus long qu’une représentation directe et frontale.
Il aura fallu, on l’imagine, du temps et de la patience aux deux auteurs pour gagner la confiance de ceux qu’ils observent et qui, ce faisant, leur transmettent peu à peu leurs savoirs. Ce sont le respect et l’écoute que l’on perçoit entre ces lignes et à travers les dessins minutieux de Louise Collet. L’alternance entre des vues d’ensemble sur des grandes planches en noir et blanc, où la végétation abonde, et des gros plans sur des détails en petits formats couleurs peints à la gouache, comme des cartes à jouer qui ponctuent le texte, offre au lecteur un changement de point de vue qui rythme le livre.
De la même manière, le texte alterne entre une voix off ténue et discrète, et la parole rapportée des jardiniers. Ils parlent de leur histoire, un peu, mais surtout de leur manière de cultiver la terre, qui reflète leur personnalité. Au jardin désordonné, voire anarchique d’Albert s’oppose l’organisation rigoureuse du jardin de Milou. Une connaissance tacite et un certain rapport à la nature relient ces hommes, qui vont jusqu’à faire preuve, parfois, d’un militantisme affiché. Yves explique ainsi la technique de l’amendement à laquelle il faut nécessairement revenir si l’on veut retrouver des sols fertiles. Un vent de connivence semble souffler entre les différentes parcelles, même si, pour certains, comme René, il s’agit surtout d’un refuge solitaire : “J’adore jardiner. Je suis bien là. Je suis isolé. Quand je m’occupe comme ça, j’aime bien la solitude.”
Se crée ainsi une sorte d’osmose entre les personnes et leur milieu, dans un respect de la temporalité de chacun. Marc Pichelin et Louise Collet nous offrent peut-être aussi une façon de rêver le travail autrement dans la société, dans un lien plus proche de son environnement et un rythme plus doux. Une douceur qui flotte encore dans l’air après avoir refermé le livre.
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Les Mains dans la terre, Marc Pichelin, Louise Collet, éditions Ouïe/Dire, sortie le 10 mai 2024